Desproges, l’anti-quenelle

par Pale Rider
samedi 4 janvier 2014

On se l’est presque tous posée, la question : pourquoi refuser à Dieudonné de faire de l’humour sur les Juifs alors qu’on l’a accepté de la part de Pierre Desproges ? Il suffit de comparer l’état d’esprit et les relations de Dieudonné et de l’ami Pierre pour saisir qu’ils sont aux antipodes l’un de l’autre.

Il est clair que le très mal nommé Dieudonné (appellation qui frise le blasphème chez celui qui récite par cœur le Notre Père pour tenir ensuite des propos équivoques sur Jésus-Christ) ne tient pas sur les Juifs des propos qu’on puisse qualifier d’humour. En fait, ce sont des attaques ad hominem, plus exactement ad judaeum, des propos qui grincent, et qui sont faits pour cela.

 Je me suis alors demandé pourquoi le fameux sketch de Pierre Desproges, « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ? » me faisait plier de rire, tant à l’écrit qu’à la video,[1] et pourquoi il continue à ne pas me causer de gêne.

Une colère déguisée

 D’une part, l’ami Desproges avait un talent exceptionnel, ce qui n’est pas (dieu)donné à tout le monde.

 Ensuite, on s’aperçoit qu’il recycle, pour s’en gausser, tous les préjugés éculés de la France blanc-cassis : « [Le Juif] renâcle à l’idée de se mélanger aux gens du peuple non élu. En dehors des heures d’ouverture de son magasin. »

 Cette citation, et presque toutes les autres, valent autant pour les Juifs que pour les goyim, y compris les Limousins. Ayant évoqué une belle journaliste de télé qui eût rechigné à épouser un non-Juif (anecdote vraie, dont elle avait été prévenue, et à la diffusion de laquelle elle n’était nullement hostile), Desproges se fait plus Juif que les Juifs : « Moi-même, qui suis Limousin, j’ai complètement raté mon couple parce que j’ai épousé une non-Limousine. Une Vendéenne. Les Vendéens ne sont pas des gens comme nous. »

 En fait, ce sketch apparaît beaucoup plus comme une remise en cause du Français moyen, voire du Français au-dessus de la moyenne, que du Juif, comme en témoigne cet aphorisme : « Depuis que le port de l’étoile jaune est tombé en désuétude, il n’est pas évident de distinguer un enfant juif d’un enfant antisémite. » Le seul malaise réel que cause Desproges, c’est qu’on se reconnaît dans les préjugés évoqués par le rire. C’est donc de l’humour de première classe, admirablement ciblé.

L’impensable

 Dans une très longue interview sur lui-même, où Desproges, pour une fois, parvient à être directement sérieux (mais heureusement très marrant par bouffées), il est interrogé sur ce fameux sketch.[2] Il reconnaît qu’il est « ambigu » : « d’ailleurs, les antisémites n’osent pas rire dans ce sketch… Et les Juifs se croient obligés de rire. »

 Ensuite, Desproges se livre sur le traumatisme qu’a représenté pour lui l’Holocauste, bien qu’il ne l’ait pas vécu directement ; et j’avoue ne pas avoir été surpris de son atterrement devant un fait historique qui dépasse l’imagination : « …que des gens, des administrateurs justement, aient envoyé des gens par paquets de mille se faire occire au nom du racisme, c’est un truc, je ne comprends pas… Que mes parents, par exemple, aient vu ça, à une époque qui est la mienne. Ce n’est pas les Huns, ce n’est pas Attila, c’est la semaine dernière. […] Par rapport à mes quarante-sept ans, presque mon demi-siècle sur terre, c’est la chose sur laquelle je reviens souvent parce que je ne comprends pas. Je trouve ça fabuleusement inimaginable que des êtres humains puissent commettre ça… »

 Et Desproges de bien préciser sa pensée (car lui, il en a une) : « Dire que les Juifs sont plus doués pour la banque que les Bourguignons, c’est complètement con, c’est parce qu’on les a mis dans des situations où on les a empêchés de faire autre chose. Ils étaient bien obligés d’être usuriers, on ne voulait pas les laisser planter un chou. Mais ce n’est pas dans les gènes, ça. »

Problème de fréquentations

 Enfin, pour chacun d’entre nous, le contexte de nos relations éclaire toujours ce que nous disons. Dans son célèbre Réquisitoire contre Jean-Marie Le Pen, prononcé sur France Inter le 28 septembre 1982 au Tribunal des Flagrants Délires, Desproges fit cette remarque demeurée fameuse : « Premièrement, peut-on rire de tout ? Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ? À la première question, je répondrai oui sans hésiter. [À la deuxième question] peut-on rire avec tout le monde ? C’est dur… »

 Et, en postface de ce réquisitoire, Desproges commente, à l’endroit du futur parrain de la fille de Dieudonné : « Jean-Marie Le Pen : Ce vieil homme politique d’extrême-droite a le don singulier de rendre sérieux les rigolos les plus chevronnés. La preuve. »

 Je reconnais que Dieudonné a quelque talent, au point de me faire rire même quand je n’en ai pas envie. Mais c’est jaune que je ris. Car je n’aime ni ses attaques, ni ses fréquentations, ni ses allégeances, ni M. Le Pen, ni M. Faurisson.

L’humour de Desproges est clairement « la politesse du désespoir » (il reprend l’expression dans le réquisitoire).

L’humour de Dieudonné est la vomissure de quelqu’un qui se sent mal dans sa peau (peau que, personnellement, je trouve très bien en soi). Une psychanalyse, un solide contrôle fiscal (sur les amendes pour lesquelles il fait appel aux dons alors qu’il ne les paye pas) et, mieux encore, une conversion réelle au Juif Jésus-Christ, tout cela devrait lui faire le plus grand bien.

Tout ce qu’on peut regretter, c’est qu’au lieu de mobiliser en sourdine l’Administration judiciaire et fiscale contre M. M’bala M’bala, Manuel Valls lui ait fait une pub d’enfer et ait appris à plein de gens qui l’ignoraient l’existence de la quenelle.



[1] Tout Desproges p.590 ss (si j’ose dire). Seuil, 2008.

[2] « La seule certitude que j’ai, c’est le doute », op.cit., notamment les pp. 893 ss (si j’ose dire).

 


Lire l'article complet, et les commentaires