Disparus d’Orvault : vive l’ADN, tchao Columbo

par Cazeaux
mercredi 8 mars 2017

Le beau-frère a avoué, horrible meurtre sur fond de querelle d’héritage. L’affaire est bouclée, bravo la police scientifique, circulez ! On parle déjà d’un cas d’école, un ancien patron de la police en a fait le sujet d’une conférence…à ceci près qu’on ignore tout de ce qui s’est réellement passé. 

Si cas d’école il y a, c’est celui d’une presse qui retranscrit presque mot pour mot une dépêche de l’AFP, laquelle reprend sans le moindre questionnement, la déclaration du procureur. J’ai passé en revue toute la presse nationale, une grande partie de la presse régionale ainsi que des sites sensés spécialisés en faits divers ou affaires criminelles : le contenu ne varie pas d’un iota.

Les aveux du tonton tronçonneur sont rapportés comme des faits établis. Après avoir unanimement accrédité la piste du fils féru d’internet qui se transforme en monstre, l’on se jette tête baissée dans celle que voudrait nous faire avaler l’auteur présumé du probable assassinat de la famille Troadec.

VICTOIRE DE L’ADN

Le procureur a salué l’efficacité des enquêteurs mais c’est avant tout l’ADN qu’il faudrait féliciter. Cela ne peut que ravir un public habitué à des séries policières où les combinaisons blanches de la police scientifique ont remplacé l’imperméable du lieutenant de Los Angeles ou le lourd manteau du commissaire du quai des Orfèvres. Les petits détails ne « chiffonnent » plus le bon sens du flic armé de sa seule curiosité. D’auxiliaires, les gens du « laboratoire » sont devenus les héros de la police moderne. Grâce à eux, pour paraphraser Michel Delpech, on pourrait dire à propos de l’accusé Caouissin : « Voilà pourquoi, ce lundi-là, il avoua. » Certes, il s’est vite retrouvé coincé, le beau-frère jaloux, le tonton démoniaque, l’ingénieur dépressif. Son dur labeur de nettoyeur de scène de crime n’aura pas suffi à le mettre à l’abri. Les résultats d’analyse sous le nez, dos contre le mur, il a compris qu’il était préférable de ne pas tarder à avouer, allant jusqu’à livrer des détails sordides sur son modus operandi. Ainsi le croirait-on plus facilement, c’était sans doute son pari. Il semble qu’il ait gagné, tout au moins provisoirement.

 

DES AVEUX OPPORTUNS

« Arthur, où t’as mis le corps ? » chantait Serge Regianni.

Ce lundi donc, Caouissin avoue mais demeure sans réponse sur la question des cadavres. Sans cadavre, on peut néanmoins le condamner. Oui, mais de quel crime ? Si les choses se sont passées telles qu’il les a décrites, son avocat n’aura pas de mal pour plaider la non préméditation. Caouissin était venu pour espionner les Troadec dans le but de mettre la main sur l’or qu’il croyait dissimulé quelque part dans le pavillon. Il n’avait donc pas l’intention de tuer. Hélas, il a été surpris en train de chercher cette hypothétique clef repérée par lui depuis l’extérieur. Pour assurer la protection de son bercail, Troadec conservait un pied de biche au chevet de son lit. Il descend donc au rez-de-chaussée muni de son arme. Il tente de frapper l’intrus, mais ce dernier, d’une grande habileté et d’une vigueur sans pareil, parvient à s’emparer du lourd objet contendant avec lequel il va tuer un à un les quatre membres de la famille. Il faut croire que le bon vieux pied de biche est aussi efficace qu’un pistolet mitrailleur Uzi.

La mère Troadec, ni la fille ni le fils « geek » n’ont eu le temps de composer 17 sur leurs téléphones mobiles. Le seul fait de saisir 17 puis d’appuyer sur la touche « appel » aurait suffi pour que la police identifie la source et vienne rapidement sur les lieux. Mais non. Les malheureux n’ont pas eu le temps de faire ce geste. Tonton Matrakor, le Bruce Lee du Finistère, a dézingué tout le monde en un tournemain. De plus, malin comme pas deux, il a forcément vérifié sur chacun des téléphones, l’absence d’appel de police secours. Ainsi a-t-il pu rester tranquillement sur place jusqu’au matin, probablement hébété, dira-t-il à la barre, par son acte fou.

Moralité, pas de préméditation, mais crime consécutif à une bagarre et aggravé par la panique. Sans les cadavres, les « hommes en blanc » ne pourront rien infirmer. Il faudra se contenter de la version des faits exprimée par l’inculpé, lequel ne pourra pas écoper de plus de vingt ans. Au secours ! Quel numéro faire pour appeler Columbo ?

 

DES PETITES CHOSES QUI CHIFFONNENT

Pour réaliser que les aveux de Caouissin sont farfelus, est-il besoin d’être aussi futé que le fameux lieutenant de la brigade « homicide » de la police de Los Angeles ?

 

Commençons par le début, l’espionnage au stéthoscope.

Où notre « bon » Breton a-t-il été chercher ce procédé ? Dans un épisode de Mission Impossible ? Il est pourtant un peu jeune pour avoir connu la série culte des années soixante. Comme dirait Bigard avec sa chauve-souris, « admettons ».

Caouissin débarque donc ce soir-là, pourquoi précisément un soir où toute la famille est réunie ? Afin d’entendre, depuis l’extérieur du pavillon, une conversation qui allait forcément porter à un moment sur le fameux magot. Bien sûr les deux enfants étaient dans la confidence. Dans la famille Troadec, on ne parle guère aux voisins mais entre soi c’est la totale transparence, on se dit tout, on creuse un trou au sous-sol ensemble et on y dépose en toute confiance pour 40 000 euros de pièces ou lingot d’or. C’est l’hiver, il fait nuit à dix-huit heures, mais les Troadec sont comme ça, ils ne ferment pas les volets. C’est tellement plus sympa de dîner avec vue sur un jardin tout sombre. Caouissin connaissait parfaitement leurs habitudes et il a pu ainsi tout capter depuis un bout de la baie vitrée, avec son stéthoscope. Ainsi a-t-il découvert l’existence d’une clé posée sur un meuble à l’entrée du pavillon. Clé de la salle du trésor, ou celle du coffre ? nous saurons bientôt ce qu’il en est, Caouissin aura sans doute la gentillesse d’enrichir son récit. 

 

Intrusion subreptice

Muni de cette information capitale, il ne reste plus qu’à tonton l’espion d’attendre que la charmante petite famille soit couchée pour s’introduire dans le pavillon.

Notre papa Troadec est assez prudent pour avoir à portée de main un pied de biche, instrument très commode d’autodéfense, mais beaucoup trop étourdi pour aller, chaque soir, fermer à clé le garage ainsi que la porte qui le relie à l’intérieur du logement. Parfois il y pense et parfois pas. Coup de chance pour Caouissin, c’est un jour sans. Ainsi peut-il passer du jardin au garage, puis vers 23h, heure d’extinction des feux quasi rituelle chez les Troadec, du garage au couloir de l’entrée où, bien en évidence, se trouve la fameuse clé. Notre espion jardinier est sur le point de faire un sans-faute, récupérer le magot et repartir ni vu ni connu, quand il heurte un obstacle quelconque. Imaginons un discret vase à fleur qui se va se briser au sol.

 

Le massacre

Ni une ni deux, Troadec a sauté du lit, attrapé sa barre de fer, et foncé dans la cage d’escalier. Ne laissant pas une seconde à l’intrus pour retraiter - garage, jardin, rue, voiture, retour maison – le courageux père de famille est au bas des marches, prêt à frapper l’inconnu. Il reconnaît alors son beau-frère maudit et s’engage dans un échange verbal très vitupérant qui aboutit à l’affrontement physique. Il n’a pas pu s’écouler moins d’une minute tout compris pour en arriver là, et il faut ajouter quinze-vingt secondes pour permettre à Caouissin de maîtriser le bras armé, récupérer le pied de biche et commencer à tabasser le beau-frère à double face, commando de marine pour la célérité de sa réaction face au danger, demi-sel quand il s’agit de se battre. Caouissin, qu’il faut s’imaginer fort comme un Turc, fend du premier coup le crâne de son adversaire qui tombe raide mort.

Durant ce laps de temps, une minute vingt secondes, que s’est-il passé à l’étage ?

Mme Troadec, d’après les aveux, serait descendue derrière son mari. Bizarre, bizarre…Employée aux impôts, dépeinte par sa sœur comme quelqu’un de très rationnelle, on la voit mal bondir du lit et foncer tel un légionnaire, « à l’ennemi. » De fait, elle avait deux options. Prendre son mobile et s’apprêter à faire le 17 ou aller vers les chambres des enfants pour les avertir ou recueillir leur aide. Parallèlement, les enfants, à supposer qu’ils n’aient pas été réveillés par le bruit initial, l’auront forcément été par celui de leur père dégringolant les escaliers ou par les éclats de voix qui ont suivi.

Somme faite de toutes choses, Troadec n’est pas encore mort quand l’épouse, la fille et le fils sont debout et conscients de la gravité extrême de la situation. Comment imaginer alors que les trois attendent, sidérés sur le palier, que Caouissin monte, tel Jack Nicholson avec sa batte de Base-ball dans Shijing, et qu’ensuite, sans aucun geste ni cri, se laissent fracasser la tête, chacun son tour ?

Entre la mort de Troadec et celle du dernier enfant, il n’a pas pu s’écouler moins de vingt, trente secondes, toujours supposant Caouissin doté d’une énergie et d’une précision hors du commun.

Dans ce laps de temps, au moins un appel de détresse avait le temps d’être lancé.

Par ailleurs, dans un tel climat de furie, il n’est pas d’être humain qui se garderait de hurler. Hurlant à la mort, l’homme redevient l’égal d’un quelconque mammifère, ce qui signifie des sons pouvant atteindre ou dépasser les 35 décibels. Si l’on ajoute le fracas des objets environnants, le bruit d’un meuble déplacé etc. comment imaginer que dans un quartier résidentiel non passant, les voisins, distants de part et d’autres du pavillon de pas plus de trois, quatre mètres, n’aient rien entendu ?

Le nettoyage

Caouissin dit être resté jusqu’au matin avant de repartir puis de revenir un jour plus tard avec son ex-épouse, la sœur de Troadec.

S’il y a vraiment eu démembrement des corps, c’est à ce moment-là que cela s’est produit. Caouissin ayant estimé que quatre cadavres ne pouvaient pas s’entasser tels quels à l’arrière d’une berline moyenne, la 306 du fils, nécessairement la plus volumineuse des trois voitures de la famille, il a pu avoir l’idée de découper jambes et bras, comme on le ferait avec une grosse branche d’arbre afin de la rendre plus facile à loger dans un coffre. Il faut songer au labeur aussi difficile qu’épouvantable qu’exige une telle entreprise. Difficile là aussi d’accréditer la thèse du meurtre non prémédité. Face à l’horreur de la situation et à la crainte d’être surpris par un visiteur au matin, il y a fort à parier qu’il serait parti en catastrophe dans une telle hypothèse.

 

Une explication alternative

Pour les raisons que je viens d’exprimer, je ne crois pas au récit fait par Caouissin aux enquêteurs. Il a construit ce scénario pour faire croire à la non préméditation et donc s’exposer à une moindre peine. La vérité est à rechercher au contraire dans un calcul de longue haleine, ou tout, du moins presque, a été prévu. Le plus difficile n’était pas de nettoyer et c’est ce qui a peut-être fait échouer le plan, un peu comme après l’escalade d’un sommet, l’on a tendance à sous-évaluer la dangerosité de la descente.

Le plus difficile était de tuer les quatre Troadec sans se faire remarquer.

Pourquoi les quatre ? Le mobile constitué par les pièces d’or de l’héritage semble insuffisant. L’enquête n’est pas achevée sur ce point capital.

Le fait est que Caouissin avait prévu de massacrer l’ensemble de la famille. Il lui fallait pour cela trouver un moyen de les trouver réunis, le plus simple étant de provoquer lui-même le motif de la réunion : mettre un terme au conflit moyennant un dédommagement modéré, par exemple.

A partir de là, il fallait trouver un mode d’exécution non sonore et très rapide. Une arme de poing automatique munie d’un silencieux ? Pas simple à acheter, il lui aurait fallu se rendre dans un ex pays du bloc soviétique, muni de renseignements pour savoir à qui s’adresser. Pas simple, mais possible.

Il y a aussi le recours à du gaz asphyxiant ou paralysant. L’on peut acheter des armes d’autodéfense autorisées, capables de paralyser un agresseur durant plusieurs minutes. Dans ce cas de figure, Caouissin peut avoir commencé par les époux au rez-de-chaussée, puis monter dans les chambres et faire de même avec chaque enfant : je paralyse avec mon pulvérisateur, puis je tue au couteau par égorgement ou coups au cœur. Le procédé est très rapide et ne produit aucun bruit.

Ayant anticipé le démembrement des corps, Caouissin serait ensuite aller chercher le matériel approprié : une grande bâche ou plusieurs pour y installer les cadavres et des outils pour les découper le plus « proprement » et le plus rapidement que possible.

La suite fut le nettoyage des traces de sang avec l’aide de son ex-épouse. Ils ont dû y consacrer beaucoup de temps, mais ce fut peine perdue étant donnée l’ampleur de la tâche. En revanche, le nettoyage de la Peugeot du fils a été plus efficace, aucune trace de sang n’ayant été découverte.

Les objets découverts dans le Finistère restent un point sans réponse. Faut-il croire que le duo criminel s’est effiloché au bout de quelques jours de sorte que le plan initial n’a pas été jusqu’à son achèvement.

 


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