Divorce contentieux : quelques réformes simples pour que cesse le traitement inhumain des justiciables
par Jacques Mathieu
mercredi 29 novembre 2017
La procédure de divorce a déjà connu de nombreuses simplifications. Mais le divorce contentieux reste quant à lui d'une complexité redoutable. Est-il concevable de continuer à faire subir plus de dix années de procédure conflictuelle à un couple dont la durée moyenne est de quinze ans ? Alors que la volonté de l'exécutif est de refonder et de moderniser la justice, nous dressons un état des lieux sans concession du divorce contentieux qui pourrait servir de point de départ à un lifting plus que nécessaire.
La procédure de divorce a déjà connu de nombreuses simplifications. La mise en place, fin 2016, du divorce sans juge en est l'exemple le plus récent. Mais cela ne doit pas faire oublier que, dès qu'il n'est pas mutuellement consenti, et surtout dès qu'il y a un peu d'argent en jeu, le divorce peut durer plus d'une dizaine d'années, c'est à dire aussi longtemps que le procès d'un crash aérien et à peine moins longtemps que la durée moyenne de l'union qui l'a précédée. On ne dit pas assez que ceux qui traversent cette épreuve, dont le seul tort est bien souvent d'être en instance d'un divorce qu'il n'ont même pas forcément souhaité, vont pendant cette incroyablement longue période vivre dans la précarité, sous surveillance judiciaire, et connaître les pires injustices. Certains (nombreux ?) en sortiront marqués à jamais, dépressifs, ou ruinés, tout cela dans l'indifférence générale ou peut-être même avec la complicité d'un système qui veut punir sans le reconnaître le droit à la séparation.
Officiellement, juges, avocats et notaires œuvrent de concert pour pacifier le conflit conjugal ; le manque de moyens dont souffre la justice serait seul responsable de cette situation inhumaine. En pratique, il apparaît au contraire que rien n'est fait pour favoriser la médiation ou la transaction et que c'est la façon même dont est pensée et organisée la procédure de divorce qui concourt à l'exacerbation du conflit et à la complexification du dossier. L'arsenal juridique à disposition, couplé à de redoutables délais d'attente, permet aujourd'hui à celui qui s'estime blessé, ou à l'avocat belliqueux en manque d'honoraires, d'entraîner le couple et ses enfants, quelles que soient les fautes qu'ils aient pu commettre ou ne pas commettre, dans un engrenage long, coûteux et inextricable. La justice ne sert plus à dire le droit, elle est utilisée à des fins vengeresses.
Tout débute lors de la première audience dite de « conciliation ». Entre autres sujets concernant la famille, le JAF (juge aux affaires familiales) va décider, pour la durée de la procédure, soit de maintenir les deux époux dans le logement (c'est rarissime), soit d'attribuer ce dernier à l'un ou à l'autre. Aucune autre solution n'est prévue par la loi. Le législateur entend ainsi protéger le « cocon » familial. Noble en apparence, cette décision est à notre avis une erreur fondamentale qui aura, nous le verrons, de multiples répercussions tout au long de l'instance. Ainsi, à partir du moment où il a attribué le logement à l'un des conjoints, le juge ne peut que constater que l'autre est sans domicile. Il est donc impossible de lui attribuer la garde des enfants, même alternée. Les textes auraient pu la prévoir automatiquement dès relogement à proximité mais il n'en est rien. S'il veut voir ses enfants, l'époux chassé devra ressaisir le JAF ce qui peut, dans certaines juridictions, prendre plus d'une année. Il est donc surprenant d'entendre ici et là l'argument selon lequel tout justiciable qui demande la garde alternée l'obtient : en vérité, la procédure ne le permet pas, tout au moins au départ. Vient ensuite le volet financier : il est aisé de comprendre que celui qui reste dans l'appartement avec les enfants (c'est généralement le moins fortuné des deux) ne pourra pas, seul, faire face à toutes les charges : une pension alimentaire doit lui être attribuée.
Ainsi, le divorce est-il pensé et organisé aujourd'hui de sorte à ce que l'un des époux (celui qu'on nomme « partie faible ») obtienne mécaniquement tout (maison, enfants et argent) alors que l'autre en est réduit au rôle de contributeur financier. Loin d'apaiser le couple, la justice, à peine saisie, exacerbe le conflit. Elle encourage celui qui ressent un désir de vengeance à poursuivre le contentieux au lieu de tourner la page. En créant une dissymétrie des conditions financières, elle favorise l'usage de moyens dilatoires et décourage toute possibilité de transaction (pourquoi transiger quand on a déjà tout ? ).
Ce désagrément n'est pourtant que le premier d'une longue série. L'époux chassé sera en difficulté pour se reloger (son apport est bloqué dans le logement et il ne peut pas recourir au crédit du fait de l'issue incertaine de la procédure et de la solidarité conjugale qui perdure). Il se trouve ainsi dans une situation financière précaire pendant une très longue période, d'autant qu'il devra continuer de payer une partie des charges de son ancienne résidence, que l'indemnité d'occupation, s'il y en une, ne lui sera versée qu'au moment de la liquidation du régime matrimonial (donc des années plus tard) et que, dans certains cas, il devra même continuer de subvenir au quotidien des enfants si l'autre parent décide, sans scrupules, de conserver les pensions alimentaires pour augmenter son épargne (c'est malheureusement monnaie courante). La justice, débordée, n'a pas le temps de régler ces infimes détails. Dans le même temps, elle qualifie de délit pénal le non-paiement d'une pension alimentaire pendant plus de deux mois et contrôle de très près tous les mouvements financiers du débiteur (de simples vacances peuvent maintenant devenir répréhensibles...).
Vient ensuite l'expertise dont l'objectif est d'inventorier les ressources de chacun. Toujours pour protéger le « faible » (mais l'écart entre le « faible » et le « fort » est-il si important qu'il justifie une telle différence de traitement ?), on la fait payer par l'époux éconduit. Malheureusement, cela incite l'autre à résister et procrastiner davantage. La mission a une durée initiale de six mois et est souvent dévolue à un notaire. Dans les faits, dans le meilleur des cas, elle durera plusieurs années. L'attribution du logement à l'un des époux va en effet entraîner des comptes d'apothicaires pour établir qui a payé quoi et qui doit quoi à qui (taxe foncière, taxe d'habitation, eau, électricité, charges, emprunts bancaires, assurances, indemnités d'occupation... et tout cela au pro rata de la quote-part de chacun) et générer une multitude de micro-conflits. Ces calculs entrecoupés de disputes conjugales mesquines exaspèrent généralement notaires et juges, ce qui mène trop souvent à un rapport approximatif ou partial. Dans le pire des cas, l'expertise n'aboutira pas pour cause de désaccord entre les époux. C'est désastreux car le juge devra trancher « à la louche » (dans le doute, en faveur de la partie « faible » ?) et la liquidation sera reportée ; et aberrant, puisque, s'il y avait eu accord des parties, on n'aurait pas eu besoin du notaire. Il est regrettable à ce sujet de noter que les justiciables qui font face à un notaire indolent (par exemple parce qu'il préfère s'occuper des transactions immobilières plus rémunératrices) n'ont aucun recours face à cet officier ministériel qui jouit du statut d'expert judiciaire. Le juge en charge du contrôle des expertises devrait s'assurer de la remise des rapports dans les temps impartis par le JAF mais, vu le quantité de dossier en souffrance depuis de nombreuses années, on ne peut que constater un abandon complet des individus au bon vouloir du notaire.
Après plusieurs années arrive enfin le divorce. Peu de JAF font usage de leurs pouvoirs en matière de liquidation du régime matrimonial : les justiciables vont devoir à nouveau se déchirer pour le partage de leurs biens. Cette tâche est complexifiée du fait de l'occupation du logement par l'un des époux : son intérêt est de se maintenir dans les lieux car l'indemnité d'occupation est sensiblement plus faible qu'un loyer (entre 20% et 40%). C'est illégal mais pour peu que les enfants vivent avec lui, il est inexpulsable ; et dans le cas contraire, les règles de l'indivision font qu'il est très long de le déloger (parfois plus de cinq ans). S'il est retors ou bien conseillé, il pourra même attaquer son ex-conjoint qui est dans l'impossibilité de lui verser la prestation compensatoire dans l'attente de la vente de l'ancienne résidence. Et s'il finit un jour par partir, il sera souvent tenté de prendre les meubles avec lui.
La situation que je décris est courante. En prenant ouvertement et excessivement la défense de la partie dite faible, la justice, activement et passivement, met l'autre partie dans une situation inhumaine pendant une durée excessive avec l'objectif inavoué de l'obliger à accepter n'importe quelle transaction (quitte à prendre maison et enfants en otage). Est-elle dans son rôle ?
Le débat sur le divorce est obscurci par des associations qui prônent une lutte des sexes d'un autre âge. Pour une justice moderne, il faut raccourcir et humaniser le divorce. Pour ce faire, on peut :
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favoriser la vente rapide du logement de famille quitte à augmenter la pension alimentaire ;
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simplifier et uniformiser les règles d'attribution et de calcul de la prestation compensatoire dont les paramètres sont trop nombreux et qui fait l'objet d'une trop grande disparité d'un juge à l'autre ;
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confier les expertises à des spécialistes formés à cette fin, les études notariales étant surchargées par les transactions immobilières (ces mêmes spécialistes pourraient prendre en charge une médiation obligatoire et décharger ainsi les juges) ;
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supprimer la solidarité des époux dès leur séparation (sauf cas frauduleux) ;
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légiférer sur les conditions de la désolidarisation des comptes et crédits bancaires ;
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supprimer l'obligation de fidélité dès la séparation (la justice doit prendre acte de son incapacité à juger dans des délais compatibles avec le temps humain) ;
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rendre immédiatement exigible le paiement des indemnités d'occupation ;
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supprimer le caractère suspensif de l'appel car il est trop souvent utilisé à des fins dilatoires.