Droits, devoirs, responsabilité et nouveau paradigme

par Hervé Hum
vendredi 12 septembre 2014

Dans un précédent article droits, devoirs et responsabilité  je défendais la définition de la responsabilité comme étant « la capacité à répondre de ses droits et devoirs envers autrui ». Seul le principe de la responsabilité en rapport aux droits et devoirs y était abordé, sans développement dans ses champs d’applications que sont la politique, l’économie et le social. Je terminai juste l’article par cette phrase « Les citoyens .s’affranchiront donc des élites qui les gouvernent, le jour où ils revendiqueront, prendront possession pour eux-mêmes, leurs droits ET leurs devoirs. Que je consolide par cet autre aphorisme « la liberté exige une grande discipline intérieure, la servitude un minimum et l’esclavage aucune, car la discipline est imposée de l’extérieur ».

En responsabilité, un droit implique un devoir et un devoir applique un droit. Quand le devoir domine le droit, il n'a pas obligation d'appliquer le droit et quand le droit domine le devoir, il n’implique pas un devoir correspondant.

L’article vise à traiter l’évolution de l’histoire des rapports de classes, au travers du prisme de la responsabilité ainsi défini, pour montrer que tout nouveau paradigme socio-économique s’appui obligatoirement sur le sens de l’évolution du principe de responsabilité.

S’il fallait résumer en un seul mot l’histoire de l’humanité jusqu’à nos jours, ce serait colonisation. Colonisation de la Terre, des esprits et des idées. Si on peut dire que l’esprit fut colonisé par les religions, les idées par la philosophie, celle de la terre fut l’œuvre de la monarchie et celle du temps de la bourgeoisie.

Si nous nous intérresons à la colonisation de la terre, celle ci s’est faite exclusivement par l’utilisation de la force physique, autant que la terre est une chose matérielle. Le pouvoir fut donc de manière naturelle détenu par celui qui détenait la supériorité de la force. Cependant, s’il s’était agit de n’utiliser que sa propre force physique, la colonisation de la terre serait resté du même ordre que la nature sauvage et n’aurait jamais pu avoir lieu telle que nous la connaissons, c’est-à-dire, sa capitalisation spatiale et sécularisation temporelle. Or, pour capitaliser et séculariser la terre, il fallait impérativement s’associer entre humains pour pouvoir imposer cette appropriation aux autres, spatialement et temporellement, avec comme conséquence première la nécessité d’établir des règlement des litiges entres associés d’abord, puis pour les soumis ensuite.

Etablir une hiérarchie selon des rapports de forces suivant l'apport de chacun à la structure sociale. toujours dans un besoin de compromis pour stabiliser les rapports sociaux. De fait, la bourgeoisie, maitresse du temps par le savoir faire artisanal, occupait une place supérieure aux prolétaires, qui depuis toujours représentent la frange humaine ne possédant ni la maîtrise de l'espace, ni celle du temps. Dont l'utilité repose dans l'usage de son propre temps de vie par ceux qui disposent de la propriété, maitrise de l'espace et du temps, autrement dit, de la noblesse et de la bourgeoisie.

. De là découlait l’édification d’une éthique et morale où chacun ou à défaut la majorité, reconnaissait sa place et acceptait l’ordre établi et les jugements des litiges. D’une certaine manière, on peut résumer ce système, toujours en cours aujourd’hui, selon cet aphorisme « la loi est la philosophie du plus fort et le droit, les concessions ou compromis faites par le plus fort au plus faible en échange de sa soumission ».

 

Il est donc clair que l’éthique est une conséquence directe de l’appropriation de l'espace-temps et vise surtout à les justifier. La nécessité d’établir une éthique justifiant la propriété de l'espace et du temps, se retrouve bien entendu dans la colonisation des esprits et des idées. Ici, il ne s’agit pas de disserter sur cette éthique, mais seulement d’en prendre acte et de voir sur quels critères elle base sa rhétorique.

 

La raison humaine se base sur le principe définit par Lavoisier selon lequel « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ». Pour la simple raison que la création est, à partir du vide, néant ou Dieu, hors de portée de l’entendement humain (jusqu'à présent !). Sauf à la réfuter, il ne peut dès lors que considérer la création comme un fait établi en lui-même et la considérer qu’en termes de transformation ou d’échange. L’humain devra dès lors établir soit une éthique en fonction de sa seule raison, ou bien de croire en une force supérieure, immortelle et génitrice appelé Dieu, qui lui donnera un ordre moral. Que ce soit de sa raison ou de Dieu, il devra donc établir une éthique humaine ou une morale divine. D’une éthique de la réciprocité ou d’une morale révélée. Mais que ce soit l’une ou l’autre, il devra en résulter une hiérarchie avec une classe dominante et des classes obéissantes. N’admettant pas de contestation, mais soumission, toujours en échange de concessions.

 

Ainsi en est il du principe éthique, celui-ci se base intrinsèquement sur l’équilibre, on parle alors d’éthique de réciprocité. Simplement, on distinguera le rapport intérieur/extérieur ou appartenance / exclusion à un groupe. Autrement dit, entre individus de même rang social et individus de rang social différents. Ce qui aboutit à l’application d’une éthique différencié selon son rang social et / ou d’appartenance culturelle. Ce qui pouvait faire juger un prolétaire occidental , comme supérieur à un prince issu d’un pays considéré comme arriéré ou d’une « race » désigné comme inférieure. Ce qui permettait d’appliquer une éthique particulière à chacun, sans déroger en apparence au principe absolu de réciprocité de l’éthique, mais relatif à chaque groupe. Là encore, il ne s’agit pas de réfuter cette éthique, mais de prendre acte de sa méthode pour différencier les traitements des uns et des autres, suivant leur appartenance ou exclusion à un groupe social. Noblesse, bourgeoisie, prolétariat et animalité.

Si aujourd’hui les valeurs universalistes nées des droits de l’homme et de la mondialisation de l’économie prétendent gommer les différences de traitement entres classes sociales pour ne garder que le principe d’universalité de la condition humaine, c’est que le critère de différentiation a été ramené au seul pouvoir de l’argent, dont le principal mérite est de ne pas faire de distinction d’ordre ethnique et de cloisonnement social. Si un titre de noblesse garde toujours son aura mythique, il n’incarne plus la force d’aujourd’hui, celle-ci dépend intrinsèquement de la richesse financière. De telle sorte que la monnaie est devenue le centre de gravité vers lequel toutes les classes sociales sont attirées, parce qu’un prolétaire semble avoir autant sinon plus de chance de devenir ploutocrate, qu’un paysan (ou même un bourgeois) avait de chance de devenir noble au temps de la monarchie. La ploutocratie à succédé à la monarchie et sait faire rêver, là où la monarchie ne donnait plus aucun espoir.

Sachant que l'argent représente la mesure de la valeur du temps de vie dédié au service d'autrui. Posséder le capital monétaire est détenir un capital temps de vie d'autrui, en manquer est dédier son propre temps de vie pour l'acquérir. Elle incarne donc cette valeur temps, domaine d'excellence de la bourgeoisie, qui s'appuie sur la production nécessitant l'emploi de temps de vie dédié, à contrario de la noblesse qui ne produisait rien mais contrôlait l'espace. .

Mais le système bourgeois est il le moins pire ?

 

Pour voir cela, il convient d’aborder le principe fondamental justifiant l’existence même des classes sociales et aujourd’hui, du maintien voir du creusement des écarts de richesses (en capital temps de vie d'autrui) entres les êtres humains, en opposition avec le principe d’égalité énoncé par la charte des droits de l’homme, à savoir, le principe du mérite.

 

En effet, le principe du mérite s’oppose au principe d’égalité absolu entre les êtres humains, puisqu’il met en avant l’égalité non pas sur le fait de son appartenance au genre humain, mais sur le fait de permettre de s’élever à une classe supérieure, par la reconnaissance d’autrui de son talent ou mérite. Car sans distinctions, peut-il y avoir de récompense ? Et sans récompense, peut-il y avoir reconnaissance et intérêt d’avoir du mérite ? Ce principe du mérite est défendu par la grande majorité, quelle que soit sa classe sociale et sa culture. Il apparaît même dans le principe de sélection naturelle selon lequel, les meilleurs survivent, prospèrent et se procrées, tandis que les autres disparaissent sans marquer l’avenir de leur empreinte génitrice.

 

Certes, certains offrent leur talent sans demander une récompense autre que le bienfait ou progrès apporté à leurs semblables, qu’on appelle altruisme, mais pour les autres, il s’agit d’obtenir récompense. Ce principe de la carotte, est ancré au plus profond de la nature humaine et est la principale justification éthique nobiliaire et bourgeoise pour diriger les peuples. Ce principe est aussi défendu par la religion, mais en lui donnant un cadre moral. C’est à dire, Le mérite donne des droits, mais implique des devoirs. Si les nobles s’imposaient par la force, ils méritaient par leur sacrifice à mourir pour défendre leurs sujets. Si les bourgeois détiennent les moyens de production et de son financement, ils le méritent par leur talent à faire prospérer l’économie de leur pays. Telles sont les rhétoriques justifiant leurs avantages et supériorité sur le reste de la population. Mais est ce bien justifié aujourd’hui ?

 

 Nous avons donc pris en compte une donnée fondamentale avec la colonisation, une valeur fondamentale avec l’éthique de réciprocité et un principe qui leur est subséquent avec le mérite. C’est à partir de ces trois éléments formant paradigme, que l’évolution de la pensée humaine dans ses rapports sociaux a établi sa spiritualité religieuse et sa philosophie humaine. Toutefois, il manque un dernier élément fondamental sur lequel s'est appuyé la religion et la philosophie pour cimenter et donner le sens du paradigme, expliquant la dégénérescence de notre société, c’est le principe énoncé en introduction, soit, la responsabilité. C’est donc celui-ci qui nous intéresse particulièrement. Mais il a besoin de la présence et conscience des autres éléments formant paradigme pour se révéler. Enfin, il existe une condition à l’efficacité du système, qui ne sera pas abordé ici, soit, la tension sociale. Cette dernière étant sous entendu dans les éléments précédents.

 

Du sens du principe de responsabilité en monarchie.

Comme vu dans l’article « droits, devoirs et responsabilité » la force militaire se fonde sur la partie devoir de la responsabilité pour justifier sa prééminence sur la partie « droit » de celle-ci. En effet, une fois acceptée la nécessité de posséder la force pour défendre sa propriété ou territoire face à un ennemi commun, la force n’est plus vue de l’intérieur seulement comme arbitraire, mais comme le seul moyen d’assurer sa propre sécurité. Ici, la culture (religion, langue, coutumes) fait office de ciment entre les classes sociales d’un même peuple. Le droit découle donc du devoir accompli par la force militaire, dont le commandement est assuré par la noblesse et son roi. En d’autres termes, l’accomplissement du devoir par la noblesse de défendre son peuple, donnait le mérite au roi et à la noblesse de décider du droit et donc, de détenir le pouvoir de légiférer. Ici, si l’éthique de réciprocité et de mérite semblent respectés, le principe de responsabilité ne l’est pas, car il n’y à pas équilibre entre droits et devoirs, mais domination de la partie devoir sur la partie droit (quand le devoir domine le droit, il n'a pas obligation d'appliquer le droit). Cette lutte entre la partie devoir et droit sera âprement discuté et disputé durant l’antiquité, relativement oublié durant le moyen âge avant de revenir en « force » avec la renaissance, et ce, par les mêmes acteurs, pour les mêmes raisons… La bourgeoisie, maitresse du commerce, de la création des biens manufacturés et de son financement, autrement dit de l’économie, gestion du temps.

 

Du sens de la responsabilité dans la philosophie bourgeoise.

Vous l’aurez certainement compris, pour la bourgeoisie le rapport s’inverse, autrement dit, le droit devient prééminent et s’impose donc au devoir. Ce renversement fut rendu possible par la conjonction de plusieurs évènements. L’imprimerie ouvrant la voie de l’ère de l’information et de la communication. La découverte de l’Amérique pour les européens, donnant naissance à l’ère effective de la mondialisation économique. Enfin, l’héliocentrisme ouvrant la voie à la science et à l’ère technologique et la rationalisation de l’outil productif ou industrialisation. Trois évènements totalement dédiés à la cause de la bourgeoisie contre la monarchie et préparant le transfert du pouvoir de l’un à l’autre. (voir les articles « pour changer de paradigme I et II  »)

Ici, il faut noter que le mérite de la monarchie s’estompe pour deux raisons principales. D’abord, la noblesse ne rempli plus réellemnet son rôle protecteur, car elle délègue de plus en plus ce travail à des roturiers non issu de la noblesse, mais issu de la bourgeoisie, voir du prolétariat et ensuite, elle tourne son intérêt non plus à la défense exclusive de ses privilèges, mais à l’acquisition de nouvelles richesses rendu possible par la colonisation de nouvelles terres, par la mondialisation de l’économie et le développement de l’industrie. Elle s’allie donc à la bourgeoisie, voir, devient bourgeoise elle-même par cupidité. La 1ère à comprendre et choisir de renoncer à sa prééminence, est la noblesse anglaise, ce qui permettra effectivement à son pays de prendre de l’avance et de dominer le monde durant le XVIIIème et XIXème siècle (1).

L’éthique, qui est le fruit du cogito statuant sur le lien de réciprocité entre les humains, à produit une charte des droits de l’homme sur laquelle la bourgeoisie s’est appuyée pour inverser le rapport de force entre elle et la noblesse. Toutefois, en omettant intentionnellement, ou non, d’établir une charte des devoirs de l’homme correspondante, n’a pas rendu obligatoire le respect formel de la charte des droits de l’homme. Elle s’est contentée d’en faire un idéal à atteindre sans en planifier l’exécution dans le temps. Notamment car les moyens de l’époque et les contraintes extérieures ne le lui permettait pas réellement. Mais aussi par calcul, considérant qu’il n’était pas dans son intérêt de nouvelle classe dominante, de favoriser l’essor intellectuel du prolétariat et du lumpum prolétariat pour pouvoir en garder le contrôle et l’usage exclusif. Ainsi, la charte des droits de l’homme s’est retrouvée comme étant celle de la bourgeoisie et non celle du prolétariat. Lequel allait supporter le devoir de mettre en application la charte des droits de l’homme au profit exclusif de la bourgeoisie, propriétaire de la terre, des moyens de productions et de son financement. Autrement dit, les droits et devoirs n’étaient pas propres à chacun, mais séparés entre les dépositaires des droits d’un coté et ceux des devoirs de l’autre, par le fait de l’héritage de la propriété (immobilière et monétaire) et de l’inégalité des chances données par la nature à chacun.

 

Ainsi, notamment faute de ne plus mériter dans l’accomplissement de son devoir, la monarchie perd de sa prééminence sur le droit et se place dès lors sous la domination du droit, acquis à la bourgeoisie. Toutefois, le principe de responsabilité n’est toujours pas respecté, car il s’est agit d’une inversion du déséquilibre entre droit et devoir (quand le droit domine le devoir, il n'implique pas un devoir correspondant).

 

Par contre, le principe de réciprocité de la classe dominante est étendu à la bourgeoisie, celle-ci ne privant pas la noblesse de ses anciens titres ni propriétés (mais ne perçevant plus l'impôt, devra se faire bourgeoise ou lui vendre ses propriétés !). Ce qui ne sera pas tout à fait le cas en France et globalement dans les pays où la bourgeoisie a dû combattre violemment la noblesse en s’alliant au prolétariat. Les plus méritants d’entres eux ayant été récompensé par les propriétés de la noblesse dévasté. Toutefois, le système bourgeois étant le même que la monarchie passé, c’est-à-dire basé sur la propriété, fondement du capitalisme mais en y ajoutant le temps via la monnaie, c’est vers elle qu’elle se tournera naturellement pour continuer la domination et l’exploitation du prolétariat, dont la paysannerie. Le capitalisme naît de la propriété de la terre, incarné par la monarchie et sera développé à son paroxysme par la bourgeoisie au travers de la monnaie et du brevetage, incarnant la maîtrise du temps.

Mais où est donc le principe de responsabilité ?

Je traiterais cette question dans un prochain article à suivre.

 

(1) la révolution éthique de l'habeas corpus en Angleterre, annonce avec un siècle d'avance la charte des droits de l'homme.


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