Ecole de Pantin. Refus du port du voile de parents bénévoles accompagnant les sorties scolaires : il faut appliquer la laïcité !

par guylain chevrier
mercredi 9 février 2011

A Pantin, Seine-Saint-Denis, on apprend par le Parisien du samedi 5 février, qu’une directrice d’école (Ecole élémentaire Joséphine Baker) a eu le courage de refuser la participation d’une mère voilée à une sortie scolaire. Ce qui est désolant, c’est que cet acte courageux a été montré du doigt comme discriminatoire par certains, telle la FCPE, prétendant défendre l’école laïque, alors que ce refus justement est propre à faire respecter sa simple neutralité, comme la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux à l’école ou la Charte de la laïcité dans les services publics y invitent.

Des faits qui renvoient l’Académie à de nouveaux questionnements

Le 19 novembre dernier, lorsque la directrice a manifestée ce refus, la mère voilée s’est dite choquée ainsi que la FCPE, principale Fédération de Parents d’élèves. L’Association a d’ailleurs écrit à Luc Châtel, ministre de l’Education nationale, pour lui demander de rappeler la loi et de « condamner ces pratiques ». La FCPE s’appuie sur un texte de Xavier Darcos, ancien ministre de l’éducation, publié au « journal officiel » du Sénat en août 2008 : « La loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ne s’étend pas aux parents d’élèves intervenant bénévolement dans le cadre du service public de l’enseignement. » Formule qui offre déjà une large controverse, le statut de parent bénévole pouvant ainsi faire dérogation à la règle commune en regard de l’obligation de neutralité des activités qui sont sous la responsabilité de tout service public.

D’ailleurs, Marc Bablet, Inspecteur d’Académie adjoint de Seine-Saint-Denis, comme le souligne le Parisien, laisse le débat ouvert : « Pour le moment, le texte de référence est celui de Xavier Darcos (…) mais cette position peut encore changer » explique-il, « le Haut Conseil à l’Intégration vient de rendre un rapport dans lequel (on) préconise d’assimiler les parents accompagnateurs sous le même statut que les agents publics, et donc soumis à la loi de 2004 ». 

En 2007, la question s’était déjà posée et, comme pour d’autres écoles de différents départements, l’inspection avait tout simplement décidée de ne plus faire appel à des accompagnateurs bénévoles. Voilà où conduisent des incohérences qui remettent en cause le principe d’égalité, censé protéger tout service public contre les tentatives des religions d’imposer leur influence sur les missions d’intérêt général relevant de la responsabilité de l’Etat. Des situations qui mettent dangereusement l’école publique laïque sur la défensive face à la montée des communautarismes pour laisser se jouer des attaques contre-elle, à la faveur de l’argument de la non-discrimination, quand ce n’est pas de l’islamophobie. 

La HALDE du côté de la défense du voile au nom de la non-discrimination. Et pourquoi pas le contraire au nom du principe de neutralité, de laïcité et d’égalité ?

La HALDE elle-même a semé la confusion par l’avis qu’elle a rendu en la matière (n° 2007 - 117 du 14/05/2007). Après une série d’affaires de réclamantes auprès de cette haute autorité qui se sont vues refuser leur participation à des sorties scolaires et/ou à des activités éducatives par les directions d’école par le fait de porter le foulard, a considéré que la différence de traitement dont ces réclamantes avaient fait l’objet du fait de leur religion présentait un caractère discriminatoire. Cela, sous la motivation que la loi du 15 mars 2004, relative au port de signes religieux à l’école, ne concernait pas les parents d’élèves, le port du foulard « ne constituant pas par lui-même un acte de pression et de prosélytisme » selon le Conseil d’Etat.

Le dernier rapport du Haut Conseil à l’Intégration*, fin octobre 2010, fait précisément sur ce plan un bilan éclairant. Il tranche avec ces considérations curieuses de la HALDE, qui ne trouve rien de mieux que d’opposer au principe de la laïcité, et donc de l’égalité de traitement des enfants, relatif à la neutralité religieuse qui seule respecte leur liberté de conscience sinon celle de leurs parents, le principe de la non-discrimination. Ce document du HCI a été réalisé après 200 auditions de professeurs, syndicalistes, enseignants, assistantes sociales, inspecteurs de l’Education nationale et sociologues.

Le rapport du HCI explique : « il n'est pas rare de voir des classes d'école primaire et de collège entièrement composées d'élèves d'origine étrangère, partageant de surcroît la même confession. Cet "effet ghetto" a des conséquences scolaires et sociétales préoccupantes ». Il ajoute « l'espace scolaire est fortement exposé aux tensions ethno-culturelles. L'école donne des signes de souffrance. Elle est aujourd'hui le lieu de revendications nouvelles qui ressortent de l'expression du communautarisme, d'une identité religieuse, voire, au rejet de la culture et des valeurs de la République française ». Le HCI propose de « redonner » à l'enseignement de l'histoire « sa place de fabrique de la nation ». Le document se penche sur les causes des différents obstacles à l'intégration et « l'incohérence » des dispositifs mis en place par l’Education nationale et la politique de la ville. On voit que du côté des incohérences, il y a bien des choses effectivement à revoir ! La HALDE ne semble pas en phase avec la réalité de la fracture communautariste qui se réalise en ce moment sous nos yeux, que cette posture dérogatoire du voile face au service public au nom de la non-discrimination, encourage.

La loi du 15 mars 2004 et la Charte de la laïcité dans les services publics doivent être appliquées à l’ensemble de la vie scolaire des élèves. 

Comment comprendre la dérogation que paraît proposer le texte de Xavier Darcos à propos des sorties scolaires ? Une sortie scolaire ne s’inscrit-elle pas dans le cadre de l’activité régulière du service publique de l’école et à se titre, comment peut-on accepter que le port du voile puisse déroger au principe de laïcité ? Pourquoi aussi, la loi d’interdiction des signes ostentatoires religieux à l’Ecole publique de mars 2004 ne serait-elle valable que pour les enfants et pas pour les parents lorsqu’ils s’inscrivent dans une activité qui, bien que s’exerçant en dehors des murs de l’école se réalise bien dans le cadre de sa mission de service public ?

D’ailleurs, l’enseignante qui accompagne elle-même le groupe n’est-elle pas toujours au travail sous cette responsabilité qui, si elle dérogeait elle-même à la moindre règle de sécurité ou d’éducation, de neutralité, pourrait se voir sanctionnée par sa hiérarchie ! « C’est ainsi que le 3 mai 2000, le Conseil d’Etat a approuvé le Rectorat de Reims d’avoir mis fin aux fonctions d’une surveillante qui portait un foulard en indiquant dans cet arrêt très clairement le contenu des obligations de laïcité des agents du service public : « Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents du service public d’enseignement disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses » (Jean-Louis Auduc, « Agir en fonctionnaire de l’Etat… », Hachette, janvier 2011) Bénévole qu’il soit, le parent accompagnant une activité scolaire endosse un rôle qui est celui d’un intervenant du service public et comme tel ne saurait manifester d’aucune façon ses convictions religieuses sans contrevenir à la loi.

Le libre-arbitre auquel l’école est censée donner l’accès ne peut supporter cette immixtion de la religion à travers un signe clairement reconnu comme ostentatoire par la loi du 15 mars 2004 qui, comme les autres signes du même type, en a été normalement exclu. « La circulaire du 12 décembre 1989 et le décret du 18 février 1991 contiennent tous deux le même paragraphe qui rappelle ce principe qui doit guider l’exercice du métier enseignant : « L’école publique ne privilégie aucune doctrine. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir. Guidée par l’esprit de libre examen, elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer librement ses choix. » ( Jean-Louis Auduc) Il faut impérativement laisser le poids de la tradition doublant le plus souvent celui de la religion, à la porte de l’école et des activités qui s’y rapportent, pour que chaque enfant puisse se construire le chemin de sa propre liberté. 

S’il fallait appuyer plus cette logique, il faut se remettre en mémoire que la laïcité à l’école est un principe constitutionnel comme nous y invite Jean-Louis Auduc ( : « Comme il est dit au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture ; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » (Article L.141-1 du code de l’éducation)

Aussi, comment en est-on encore à ces débats, alors que les réponses en ont déjà été données par la loi et donc, pourquoi accepter une telle exception qui rompt avec elle ? Que dit la Charte de la laïcité dans les services publics de 2007, à propos de ses usagers : « Tous les usagers ont un égal droit d’accès aux services publics ; Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses, dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène. » Le voile islamique ne saurait être banalisé si on applique cette règle de neutralité, car il est tout, sauf neutre. D’ailleurs, n’est-il pas défini par les pratiquantes en cause, elles-mêmes, comme symbolisant à ce point leur appartenance religieuse qu’elles refusent de le retirer le temps d’un accompagnement scolaire ?

La Charte de la laïcité dans les services publics précise encore : « Les usagers des services publics doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme (…) Les usagers des services publics ne peuvent, à raison de leurs convictions, récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public » Alors pourquoi adapter ici le service public à cette mère qui entend imposer sa règle aux autres enfants, expliquant qu’elle ne comprend pas le refus de la directrice s’opposant à son souhait d’accompagner « son fils » lors d’une sortie scolaire. Elle n’accompagnait pas « son fils » ! Mais une classe qui, dans sa salle ou ailleurs, reste sous les règles de l’école et non à chacun son enfant et ses règles, religieuses ou non !

Le voile instrumentalisé pour opposer la religion à la laïcité 

On voit s’imposer le voile sous une notion qui présente son port comme une obligation impérieuse de la religion. C’est ce qu’expliquent les auteurs d’une étude sur les rapports entre « Droit et religion musulmane » qui entendent justifier des accommodements sous la notion d’authenticité de la foi. L’idée est que, on doive accepter l’ensemble des pratiques religieuses des musulmans leur permettant de « vivre leur foi sereinement en toute authenticité », dont le port du voile fait partie (Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005. Chems-eddine Hafiz, avocat de la Grande Mosquée de Paris et membre du bureau du Conseil français du culte musulman. Gilles Devers, avocat de la Grande Mosquée de Lyon) On voit immédiatement vers quels risques nous conduit ce discours, de devoir partout faire des concessions à des pratiques religieuses venant remettre en cause la laïcité, toute contestation de celles-ci étant considérée comme un acte de discrimination, d’atteinte à la liberté de culte.

On sait combien de jeunes filles de cités de nos banlieues, pour ne pas être inquiétées préfèrent porter le voile où sont en but, à ne pas le porter, à des pressions et des vexations trop souvent gravement banalisées. Cette affaire intervenant dans ce département dont la réputation le précède, en lien avec un fort taux de présence d’une population d’origine immigrée, qu’on identifie à tord ou à raison, peu ou prou, à la « communauté musulmane », fait que la responsabilité en est d’autant plus grande en regard des décisions qui vont suivre la concernant.

Il y a deux logiques qui s’affrontent dans notre société, celle de la non-discrimination propre au modèle anglo-saxon qui porte au-dessus de l’intérêt général les identités religieuses et ethniques en favorisant les divisions, le communautarisme et l’absence de mélange des populations, et le principe d’égalité qui, à travers la laïcité porte au contraire au-dessus des différences le bien commun, la citoyenneté, tout en respectant celles-ci, décloisonne les individus de la logique identitaire qui enferme et divise.

L'école publique laïque est porteuse d'un bel idéal qu'il faut faire respecter !

En réagissant comme l’a fait la directrice de l’école de Pantin, elle a non-seulement défendu la laïcité mais aussi résisté à un risque croissant d’enfermement et d’exclusion des femmes derrière cette façon d’imposer le voile, elle a posé un acte contre toutes les séparations et les auto-exclusions qui conduisent à la ghettoïsation. Par son courage, elle a participé d’assurer la précieuse qualité de notre vivre ensemble, pour tous les enfants immigrés ou pas, les parents bénévoles religieux ou pas, qui souhaitent vivre ensemble dans l’égalité et la fraternité avec tous.

Guylain Chevrier, historien.


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