Education nationale : état des lieux

par Daniel Arnaud
lundi 16 novembre 2009

De la table ronde sur l’éducation organisée par Vincent Peillon à Dijon le week-end dernier, les médias semblent n’avoir retenu que l’intrusion de Ségolène Royal. Pourtant, il y a été débattu de questions autrement plus importantes : l’avenir de l’école, par exemple. Pourquoi cette dernière ne parvient plus à assurer l’égalité des chances ? Au travers d’un retour sur la querelle entre les pédagogues et les républicains, quelques éléments de réponse. Cet état des lieux se déclinera, tout au long de la semaine, en quatre parties.

I- Le projet scolaire républicain
 
L’intérêt général dans une république nécessite non seulement de réduire les inégalités sociales, mais encore de préserver l’accès de tous à une culture commune. Dans une telle perspective, l’école en France a essentiellement deux missions : l’insertion professionnelle, qui suppose l’égalité des chances ; et la formation d’un citoyen suffisamment instruit pour comprendre le monde dans lequel il vit.
 
Les Lumières, optimistes, semblent d’abord avoir cru qu’il suffisait d’instruire, c’est-à-dire de mettre les enfants à l’école, pour atteindre « l’égalité d’instruction »[1].Renouvier, au dix-neuvième siècle, a pour sa part relevé que l’inégalité des aptitudes posait la question des méthodes auxquelles il fallait recourir pour transmettre les savoirs, et plus généralement de l’organisation même de l’institution scolaire. Mais il l’a aussitôt éludée en se bornant à rappeler qu’il n’était que philosophe, et nullement administrateur[2]. A ce dernier, donc, de mettre en place un système éducatif satisfaisant.
 
Les lois Ferry de juin 1881 et de mars 1882 imposent un enseignement primaire laïc, gratuit et obligatoire de 7 à 13 ans. Elles permettent de scolariser la totalité des enfants et d’unifier les contenus des enseignements sur l’ensemble du territoire national. Sous la Troisième République, le travail de l’instituteur ne consiste alors pas seulement à apprendre à l’élève à lire, à écrire et à compter. Il contribue également à renforcer le sentiment d’appartenance à la Nation et vise la production d’un citoyen éclairé, capable d’esprit critique et en mesure de jouer son rôle dans la Cité. Cependant, le système ne prétend pas amener chacun au plus haut niveau, du moment que le détenteur d’un talent peut être repéré et bénéficier de l’égalité des chances. C’est à cet égard qu’il sera question d’« élitisme » et de « méritocratie républicaine ».
 
Après la Seconde Guerre mondiale, en revanche, la donne change radicalement : l’école accueille désormais chaque année 200000 élèves supplémentaires. Une telle vague touche le secondaire et le supérieur, et répond à une forte demande. L’élévation du niveau de vie rend effectivement possible la poursuite d’études, dans laquelle les parents voient le moyen d’une promotion sociale pour leurs enfants. Par ailleurs, le développement du secteur tertiaire, l’évolution des technologies et la complexification des tâches nécessitent des formations de niveau plus élevé. Pour faire face à un tel afflux, un effort de construction est entrepris : les collèges et les lycées, jusqu’alors situés dans les centres-villes, s’ouvrent aussi dans les quartiers périphériques, ainsi que dans les banlieues. D’où l’intégration dans l’école, par son implantation dans les secteurs les plus défavorisés, d’éléments qui se trouvaient auparavant marginalisés. La République, d’une certaine manière, entreprend de territorialiser son propre territoire. D’où, encore, la création des ZEP (Zones d’Education Prioritaire)[3], dont l’objectif affiché est de « donner plus à ceux qui ont moins », afin de réduire au bout du compte les inégalités sociales au moyen d’une offre éducative rendue accessible à tous.
 
Pourtant, une telle évolution pose aujourd’hui la question de la massification de l’enseignement, et de ses conséquences sur le rapport de l’élève au savoir. En effet, le fait de permettre au plus grand nombre de s’inscrire dans les filières du secondaire et du supérieur suppose-t-il que les individus bénéficient dans leur ensemble de la même exigence, ou bien qu’elle soit au contraire disséminée de façon inégale, au point que la valeur d’un diplôme pourrait se révéler tributaire du lieu où il se verrait délivré ? La première proposition impliquerait que l’institution scolaire serait parvenue à dispenser un niveau élevé de connaissance et de qualification à toutes les couches de la population ; la seconde signifierait l’échec de cette démocratisation, et qu’elle ne ferait que dissimuler un déplacement des inégalités initiales[4].
 
(A suivre)

[1] Cf. Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris, GF-Flammarion, 1988, p. 274.
[2] Sur ce point, voir Marie-Claude Blais, Au principe de la République. Le cas Renouvier, Paris, Gallimard, 2000, pp. 366-367.
[3] En 1982, sous le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy.
[4] Jean-Paul Brighelli, dont plusieurs ouvrages ont alimenté la polémique autour de la question scolaire depuis quelques années, soutient de cette manière :
« La grande masse des échecs ne s’étale plus avant le Bac, comme autrefois, mais après. On a déplacé le problème, on ne l’a pas réglé. Mutatis mutandis, les 65 % de laissés-pour-compte de la formation universitaire correspondent aux 65 % de jeunes jadis envoyés sur le marché du travail entre la fin de la cinquième et la seconde. La différence ? On recrute aujourd’hui au niveau licence ceux que l’on recrutait il y a quinze ans au niveau Bac. » (La Fabrique du crétin, Paris, Paris, Jean-Claude Gawsewitch, 2006, p. 62.)
 

Lire l'article complet, et les commentaires