Le (toujours) vert démon du retour au foyer
par Julie Dep
samedi 13 février 2010
L’indépendance des femmes, une parenthèse bientôt fermée ? Le dernier livre d’Elisabeth Badinter : « Le Conflit, la femme et la mère »*, est une alerte à cet ennemi inattendu de libertés récemment et chèrement acquises : l’écologie, quand elle prend la forme culpabilisante du retour à une « nature » avide de sacrifices.
Après 30 ans de féminisme actif, et de preuves patentes d’équivalence des sexes en tout sauf aux haltères, prôner tout de go le retour aux soins maternels et ménagers pour la moitié du monde provoquerait un tollé. (Que d’avantages, pourtant, à première vue : pour les uns, garantie de l’emploi, maison tenue, sensation retrouvée d’une supériorité décrétée de naissance ; pour les autres, sécurité et dolce vita apparentes...) Laisser cours à une nostalgie qui ne voit des 30 Glorieuses qu’une façade ferait, si l’on ose dire, mauvais genre. On attaque donc par d’autres biais.
Effets pervers du tout-nature
Ce "retour à la nature" et à "l’identité féminine", vanté pèle-mêle par la Leche League**, les écolos et les idéologues naturalistes qui se basent sur le comportement animal pour définir le nôtre agace, et pas qu’un peu, l’auteur de L’Amour en plus*** : "De l’OMS au ministère de la Santé, en passant par les pédiatres et les sages-femmes, on assigne le devoir d’allaiter. Toutes le doivent, le peuvent : c’est un commandement de la nature. (...) Désolée, mais il y a celles qui aiment à se retrouver à l’état de mammifère et celles qui détestent. (...) Nous ne sommes pas des animaux (...) soumis à un modèle exclusif."
Idem pour les couches-culottes jetables**** : "Priorité au naturel : plus de couches jetables, elles polluent. Le raisonnement écologique l’emporte sur le raisonnement féministe qui voudrait que l’on produise des couches biodégradables.(...) Les couches jetables ont libéré les mères."
La séduction d’un piège à retardement
Car l’homme, d’après une enquête de l’INED, continue pour 80% de se la couler douce au foyer. Sauf à laisser ce dernier se transformer en caverne, la double journée reste donc le lot féminin, et le prétexte pour certains à encourager un retour au partage ancestral. Ce qui reste inacceptable pour beaucoup, dont l’ambition ne se résume pas à la petite cuiller étincelante, et qui savent que sans indépendance financière point d’indépendance du tout, en tenterait d’autres. La philosophe les met en garde :
"Qu’elles n’oublient pas qu’un couple sur deux ou trois se sépare ; que rien n’est pire que de se retrouver sans emploi, seule avec un enfant, ou, faute d’avoir les moyens de se séparer, de devoir rester aux côtés d’un homme qui ne vous convient plus ou qui vous maltraite."
Autorisons-nous à ajouter que l’enfant ne le reste qu’un certain temps, au bout duquel vous lui pesez plus que vous ne l’élevez (si ce n’était déjà le cas auparavant). Et vous voilà après quinze ou seize ans indésirable dans le train que vous avez laissé passer pour celui qui se l’entendra reprocher le reste de sa vie.
**Mouvement américain pour l’allaitement
***Essai prouvant à renfort d’exemples la disparité de l’instinct maternel humain