Elitisme républicain

par Orélien Péréol
samedi 2 mai 2009

Baudelot et Establet viennent de tirer certaines conséquences pour l’école de notre pays des comparaisons internationales de PISA. Leur livre sera (est déjà) traité par le silence alors que les enseignements de ces comparaisons pourraient être mis en place et apporter des solutions aux problèmes endémiques de l’école assez rapidement. Elles ne nécessitent ni intervention ministérielle ni moyens supplémentaires.

On pourrait entendre dans cette expression un oxymore et dans la politique éducative une politique de l’oxymore qui selon Bertrand Méheust est le fondement de la politique actuelle et de son acceptation généralisée. A ceci près que l’élitisme républicain de l’école est une expression ancienne qui ne vient pas des dirigeants actuels et est portée par beaucoup de gens, dont les enseignants. Antoine Vitez avait promu l’idée d’un théâtre « élitaire pour tous », qu’on peut comprendre comme de qualité pour tous, et il existe à Grenoble le CLEPT Collège lycée Elitaire Pour Tous. Pour le reste, l’élitisme républicain est donné comme la réponse à la sélection scolaire. L’école se présente comme autonomisée du reste de la société. Elle crée des parcours scolaires légitimés par des caractéristiques internes. Si ces parcours recouvrent les stratifications sociales, considérées comme préexistantes à l’école, cette dernière ne saurait en être tenue pour responsable. Responsable signifie « répondre de » et « répondre de » comprend d’engager les actions pour réduire voire supprimer les points les plus négatifs. Baudelot et Establet proposent une analyse comparative des actions de l’école en se fondant sur les statistiques et comparaisons internationales PISA. Nul doute que ce livre ne fera pas grand débat et sera traité selon ce que l’on appelle parfois en Analyse Institutionnelle « l’effet Ben Barka » : réduire les oppositions au silence.
 
Pourtant, « si je me sépare, je me désole ; si je me compare, je me console ». La souffrance est dans la solitude, et les solutions ne peuvent venir que de l’extérieur. Si l’on savait résoudre les problèmes en totale autonomie sans se référer à un extérieur, il n’y aurait de problèmes que de petits ajustements, on trouverait la solution presqu’en même temps que le problème se pose. Il fut un temps où tous les intellectuels traitaient du théorème de Gödel : pour comprendre un système, il faut se situer dans un système plus grand. Pour comprendre l’école, il faut se placer dans la société… on peut se placer à l’étranger… c’est une manière de faire intéressante.
 
L’élitisme républicain est un petit livre facile d’accès et qui très tranquillement et efficacement bat en brèche bien des représentations admises et propulsées bien souvent par les enseignants sur toute sorte de sujets éducatifs :
 
- Chez nous, en France, le niveau monte mais les écarts se creusent. Pourtant, justice et efficacité des systèmes scolaires marchent ensemble ; les pays qui occupent les premiers rangs sont aussi ceux qui limitent le plus les inégalités d’origine sociale. Les pays qui ont le meilleur pourcentage de très bons élèves sont aussi ceux qui ont le moins d’élèves en difficulté.
 
- Redoubler est contre-productif, le tronc commun est plus sûr pour le bien commun et le bien commun, c’est la République ; nous avons le record du taux de redoublement (près de 40% des élèves de 15 ans !). Les pays en tête ont des taux de redoublement à 15 ans nuls ou quasi nuls (Islande, Finlande, Corée du sud, Japon).
 
- Ce que certains appellent le théorème de Duru-Bellat est vérifié par les comparaisons internationales : la pratique des groupes de niveau fait globalement moins progresser leurs élèves que la pratique de l’hétérogénéité.
 
- L’immigration ne fait pas baisser le niveau (si on tient compte de l’origine sociale).
 
Ces études corroborent d’autres études internationales qui montrent que les petits Français sont les élèves qui aiment le moins l’école. Olivier Galland, sociologue, estime que la jeunesse française va mal, n’a pas foi en l’avenir, que les jeunes sont les plus pessimistes des Européens. Car cet « élitisme républicain » a des conséquences au quotidien, en termes de joie de vivre, de motivation…
 
Dans chaque pays, la société est plus ou moins inégalitaire, mais l’école y fait un certain travail, de correction, de maintien ou d’amplification de ces inégalités. Elle n’est pas assujettie à l’inégalité initiale des naissances. Elle a ses mœurs, elle a ses pratiques, et ces mœurs produisent en retour ou réduisent cette inégalité sociale. Les comparaisons internationales sont pleines d’espoir car elles donnent la tâche de diminuer ces pratiques nocives, elles nous disent lesquelles sont en jeux (classe de niveau, redoublements…) et leur modification n’appartient pas au ministre. Débattre de PISA et de ses enseignements pourrait nous sortir du face-à-face mortifère du ministre (de gauche ou de droite) qui-veut-détruire-l’école (avec ses réformes) et des enseignants qui-luttent-pour-la-garder (en revendiquant une augmentation des moyens).

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