En direct des Urgences

par C’est Nabum
dimanche 26 juin 2016

Le récit détaillé …

La douleur devenant insupportable, je me suis résolu à me rendre aux urgences de notre grand et flambant neuf CHRO. Il est 9 heures 10, les travaux ne sont pas terminés et un bruit sourd et continu occupe l’espace sonore. Devant moi, un homme se tient l’oreille. Il ne parle pas français, il est accompagné de deux femmes qui lui servent de truchement. L’homme n’a aucun papier, il attend sans se tenir l’oreille puis recommence lorsqu’on l’appelle.

C’est à mon tour de passer au guichet. Je n’entends rien de ce que me demande la secrétaire. Le bruit est infernal. Je donne mes papiers. Dans ma chute, j’ai brisé ma carte vitale, je ne dispose que d’une attestation, voilà une contrariété de plus, d’autant que je ne suis pas passé par la caisse primaire d’assurance maladie pour effectuer la démarche.

Je patiente une première fois. J’attends dix minutes avant que d'entendre ou plutôt de deviner mon nom. C’est un autre guichetier qui me redonne mes papiers. J’ai tout juste entendu ce qu’il me disait. Les ouvriers posent du goudron et je vous promets que le bruit est infernal. Je croyais naïvement qu’un hôpital exigeait du calme : aux urgences on peut sans doute se passer de ce confort superflu.

Une télévision dispense dans le vide ses niaiseries au dessus de trois distributeurs de boisons fraîches, chaudes et de friandises. Les marques de la modernité certainement. L’homme à l’oreille revient. On l’envoie ailleurs, à l’hôpital Madeleine si je comprends bien alors que je le pensais fermé. Une fois encore, il va mieux. Je m’amuse de son comportement, ça me distrait un peu.

On m’appelle. Je suis pris en charge par deux personnes qui sont décontractées, disponibles et souriantes. J’expose rapidement mes péripéties côtières. Le bilan est rapide, j’ai le sentiment que l’on me croit. Je dois inspirer confiance. La fiche remplie, j'attends de nouveau. L'infirmière revient cinq minutes plus tard pour me demander de confirmer mon nom et ma date de naissance. C'est assez curieux … Elle me pose un bracelet et me demande de la suivre dans une nouvelle salle d'attente.

Une pièce où trois personnes attendent. Deux jeunes gens, le téléphone à la main, une femme plongée en lecture. Le même écran diffuse des images que personne ne regarde : les économies d'énergie ne sont pas d'actualité ici. Il est 9 H 45, pour l'instant, la prise en charge est allée assez vite. Je vais patienter, je n'ai que ça à faire.

La salle se vide et se remplit, un incessant mouvement de va et vient. Le silence y règne, juste entrecoupé de l'appel d'un nouveau patient. J'écris, je n'ai rien de mieux à faire. Les gens s'épient d'un regard furtif. Le bonjour est tout juste de mise. Les têtes ne se lèvent qu'à l'approche d'une infirmière qui vient chercher le suivant. L'espoir retombe vite, ce n'est pas encore pour cette fois.

Mes voisins vont et reviennent. Nous sommes désormais sept dans cette salle. Les têtes sont basses, le visage crispé, le regard dans le vide. Il n'y a pas de personne en situation d'urgence, pas plus moi qu'eux. Nous sommes ici parce que notre système de santé est désormais défaillant, l'évidence me saute aux yeux. Les urgences absorbent ce que la médecine libérale ne veut plus prendre en charge. Quelle misère !

Une heure déjà. Je sais que ma journée risque de tirer en longueur. C'est le prix à payer quand on vient ici. Contre mauvaise fortune, je n'ai plus qu'à faire bon cœur et glisser mes impressions sur le clavier, histoire de donner un peu de couleur à ces instants vides. Attendre est la seule chose que l'on puisse faire en un tel endroit, qu'un panneau nomme non sans humour : « Espace d'attente ! », le vide sidéral en somme.

Deux heures désormais et rien ne bouge. L'attente est visqueuse, le silence poisseux. J'ai mal et la position assise me fait souffrir. Il me tarde de pouvoir bouger, de sortir de cette bulle cotonneuse où chacun s'enferme dans son mutisme. C'est insupportable et rien ne permet de savoir combien de temps ça va encore durer. Je suis assommé de cette inactivité insupportable.

Il y a bientôt plus d'une heure que personne n'est sorti de cette salle de relégation. Les uns cherchent le sommeil, d'autres se perdent dans les images débiles d'une émission matinale. Quelques-uns se dissolvent dans les messages de leur téléphone portable. Nous vivons ici un temps en suspension, un temps qui se passe d'information. Nous sommes les naufragés d'une médecine qui ne s'occupe plus des patients.

Je vois autour de nous les blouses blanches s'agiter en tous sens, courir, s'affairer. Je ne doute pas une seule seconde qu'ils sont très occupés. C'est ailleurs que le dispositif manque de communication. Il faudrait un agent d'accueil, une personne pour rassurer ceux qui attendent. Je vois dans notre salle une vieille dame qui manifestement aurait besoin d'un peu de chaleur humaine, elle ne comprend pas et je ne sais que lui dire …

Trois heures, il ne s'est rien passé de nouveau. Mes voisins s'agitent sur leurs chaises, l'exaspération est perceptible. La blessure ou la maladie sont donc des lieux de punition qu'il faut expier en ce lieu de macération. Nous sommes si peu responsables que nous n'avons droit à aucune information. Nous sommes assurés (sociaux) de n'avoir aucune considération. Je m'interroge : vais-je partir et continuer de serrer les dents sans rien dire ? Je n'ai jamais autant mérité le nom de patient ! Enfin, mon nom est prononcé. Il suffisait d'écrire le paragraphe précédent pour qu'enfin on vienne me sortir de ce cloaque mental.

Je suis pris en charge par un médecin qui, à ma grande surprise, va passer bien plus de temps assis devant un ordinateur à bout de souffle qu'à m'ausculter. Il saisit un nombre incroyable de données à mon sujet, il fait un travail de secrétariat qui l'éloigne singulièrement de sa mission soignante. Il peste, il faut avouer qu'il dispose d'un vieux coucou qui rame encore plus que moi sur la Loire et l'Allier. Quelle perte de temps.

Le médecin est sollicité durant ce temps pour une fracture ouverte. Je me retrouve avec un bon pour patienter devant le service radiologie. L'urgentiste s'est trompé de nom ; il faut lui accorder bien des circonstances atténuantes. Il se multiplie de toute part et il doit remplir des fichiers qui sortent vraiment du cadre de sa mission. Les radiologues trouvent un moyen de passer outre cette erreur. Ouf !

Je retourne voir celui qui m'a pris en charge. Il se remet à son clavier. Quel dommage qu'un médecin passe son temps à remplir des cases et des rubriques avec un coucou d'une autre génération. L'hôpital est flambant neuf et pour le faire tourner, on a fait appel à des ordinateurs d'une autre époque. On ne peut payer les sommes extravagantes d'un partenariat public privé et équiper convenablement ceux qui sont en charge de la santé publique. J'enrage …

Quatre heures plus tard, je suis sorti. J'ai une nouvelle ordonnance, le traitement de mon médecin n'étant manifestement pas assez fort pour supporter la blessure. Je n'ai pas eu à me plaindre des soignants qui se sont penchés sur mon cas, je peux simplement déplorer qu'ils travaillent dans des conditions qui les astreignent à des fonctions qui ne devraient pas être les leurs et dans des conditions plus que discutables. Merci à eux et honte aux responsables de cette incongruité.

À bientôt pour de nouvelles aventures !

Urgencement vôtre.


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