En prenant le bus....

par Paul ORIOL
jeudi 18 juin 2015

LE MENDIANT

Le 96 remonte lentement la rue Oberkampf et bientôt s'arrête, bloqué dans un embouteillage. La chaleur est étouffante. Les vitres du bus, entrouvertes, laissent passer un brin d'air bienvenu. Heureusement, un 96 suivant l'autre, à quelques mètres d'intervalle, il y a peu de monde dans les deux.

Profitant de l'arrêt du bus, un mendiant sur le trottoir, à la face bien ronde, couperosée et radieuse, un écriteau sur la poitrine, difficile à lire à cette distance, essaie de négocier, par gestes, un pièce de monnaie. Avec un passager

Toujours par gestes, le passager tout aussi souriant, lui répond en demandant, à son tour, une pièce. Le mendiant sort une pièce jaune et essaie de la faire passer. Malheureusement, elle se bloque et notre mendiant essaie de la faire retomber avec sa canne et le passager avec sa main qui ne peut passer. Ils n'y arrivent pas.

Le bus redémarre avec la pièce, coincée. Le mendiant et les quelques passagers rient de bon cœur. Un passager en profite pour envoyer une pièce d'un euro au mendiant qui remercie d'un large sourire et d'un clin d’œil...
Ce n'est pas cher payé, ce moment de joie, de solidarité. De joie de vivre.

 

PEUR DE LA MORT, PEUR DE LA CHUTE

Il y a peu de monde ce matin dans le 96, deux personnes seulement sont debout, elles ne doivent pas aller bien loin.

Dont une femme noire, corpulente, bien en chair, pas toute jeune. Elle discute avec son amie. Le bus avance normalement. Tout à coup, un freinage brutal. La femme est projetée vers l'avant, parcourt une bonne partie du couloir central à la recherche de son équilibre, se raccroche comme elle peut et s'écrie :

« Ouf, j'ai eu peur de tomber ».

Un passager qui a mal entendu :

« Vous avez eu peur de mourir ? « 

« Mourir ? Non, non, tout le monde doit mourir ! Non, non, je n'ai pas peur de mourir, j'ai eu peur de tomber ! »

Éclat de rire général... et fin de trajet dans la bonne humeur !

 

LE BUS DES POUSSETTES

Nous remontons de la place de la République avec le bus. Nous avons acheté une valise pour remplacer la précédente dont la quatrième roue est morte à Cannes. Il y a peu de monde mais la valise, quoique vide et légère, encombre le couloir.

Pressentant les problèmes que va me poser ma valise, je décide de changer de place pour approcher de la porte. Mais la place est prise par une dame âgée qui vient d'arriver. Et, à l'arrêt, deux mamans, voilées, montent, par le ventre du bus, avec un enfant dans la poussette. Elles bloquent les poussettes, sans problème, à l'emplacement réservé. A trois, nous occupons tout le milieu du bus.

A l'arrêt suivant, une nouvelle maman avec sa poussette et son enfant. Elle n'est pas encore totalement en place que retentit la petite musique suivie de « Nous rappelons qu'il est est interdit de déployer plus de deux poussettes. La troisième doit être pliée ».

Nous voilà avec trois poussettes et une valise, encombrant le passage, manœuvrant, essayant de nous serrer. Mais alors qu'une dame, voilée aussi, commence à dire qu'il y a une poussette de trop et à marmonner :

- Elles se foutent de tout et ne respectent rien...,
la dernière arrivée, lui confie son enfant, une fillette de trois-quatre ans, qu'elle installe, de bonne grâce, sur le siège à côté d'elle pendant que la maman plie sa poussette.

Notre arrêt est arrivé. Tout le monde fait un petit effort pour nous laisser passer. La question est résolue. Sauf qu'à Belleville-Ménilmontant plusieurs personnes entrent par le ventre du bus...

 

LE FUMEUR DE CIGARES

A l'arrêt du 96, petite halte au bistrot, en attendant l'heure de la séance de cinéma. Pesant, imposant, assis devant un café, sa tête est ronde, totalement dégarnie et se poursuit par un cou aussi volumineux, à peine plus blanc que le crane. Il lit « Le Monde  », indifférent à ce qui peut se passer autour de lui, préoccupé seulement pas sa lecture attentive et son cigare.
Un gros et long cigare, déjà allumé, dont il mâchouille la tête en tirant deux ou trois petites bouffées, rapides, qu'il recrache aussitôt, fait une courte pause, deux ou trois nouvelles bouffées... Son attention est consacrée uniquement au journal divisé en cahiers. Il passe au cahier suivant. Il ne lève pas la tête. Tourne la page, mâchouille son cigare sur deux ou trois centimètres, quelques bouffées à nouveau... La cendre tombe sur la table. Indifférent. Obligé d'arrêter sa lecture pour reconstituer son cigare mâchouillé, touffe d'herbe brune, il lui redonne une forme...

Le cigare à moitié fumé, il l'éteint. Le reforme. Sort de sa poche un étui à cigare qui semble adapté à la taille d'un demi-cigare. Cendre détachée, tête reconstituée, il enferme le cigare dans son étui. Pour tout à l'heure ? Pour demain ? Il sort deux bristols, avec lesquels il recueille la cendre qu'il avait répandue sans y penser, la met dans le cendrier.

Cigare rangé, table nettoyée, il s'envole à nouveau dans la lecture du « Monde  ».

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