Evaluation à cinq ans : contrôle social ou contrôle technique des élèves de maternelle ?

par Bernard Dugué
jeudi 13 octobre 2011

La nouvelle d’une évaluation des élèves en maternelle de grande section vient d’être annoncée dans les médias, avec une présentation censée susciter une indignation, notamment de la part des premiers intéressés, les instits, qui devront se prêter à cette enquête. Les réactions ne se sont pas faite attendre. Les représentants de la FCPE ont le micro tendu. Les médias savent bien jouer le coup, pour faire du buzz et jouer sur les émotions. Selon le journal le Monde le projet viserait notamment à produire une classification des élèves en grande section selon trois « grades », RAS, risque, haut-risque. Sous-entendu, les uns poursuivront une scolarité normale, alors que les autres risquent d’avoir des petites et grosses difficultés et pourquoi pas, seraient éventuellement les fauteurs de trouble dans une classe. Etrange évaluation. Cela ressemble à l’armée de l’ancien temps, quand les jeunes passaient les trois jours pour recevoir le fameux papier, apte, exempté ou bien réformé. L’armée décidait de vous incorporer pour le service si elle vous reconnaissait apte à subir l’encadrement militaire et obéir à la hiérarchie. RAS, cela signifie-t-il qu’un élève est bon pour le service de l’éducation nationale ? Quant à ceux qui seront classés à risque, on n’imagine pas que la France les abandonne et les mette à l’écart.

 

Que penser de cette affaire ? D’abord, il faut savoir de quoi on parle. Il existe déjà un traité d’évaluation comptant pas moins de 60 pages, disponible depuis plus d’un an. Il n’est pas question de classer les élèves selon les catégories mentionnés par les médias. Sous réserve qu’il existe une seconde version de ce document, on peut convenir qu’il ne contient pas les termes RAS, risque, haut risque. Faites une recherche, vous ne trouverez pas ces occurrences. Cette rectification faite, il est possible que le ministère ait l’intention de faire cette classification, auquel cas, l’idée qui n’est pas dans le rapport sera soumise aux inspecteurs de l’éducation nationale. Pour une expérimentation devant débuter en novembre 2011, alors que l’évaluation en GS de maternelle était déjà inscrite dans un décret datant de 2008. Le document d’aide à l’évaluation des acquis en maternelle prévoit bel et bien un bilan mais ne précise pas quelle sera l’utilisation de ce bilan. En l’étudiant avec honnêteté, on s’aperçoit que ce texte ressemble à un didacticiel assez élaboré proposant de déceler des points d’apprentissage afin de les corriger. Le principe se rapproche du contrôle technique automobile avec ses dizaines de points de contrôle et les points à corriger obligatoirement parce qu’ils sont accidentogènes. Pour un élève de maternelle, l’idée est aussi de faire passer des tests comme autant de points de contrôle et ensuite, de procéder à une correction de ces points comme cela est proposé dans les différents encarts placés dans le document.

 

En creusant un peu plus, on finit par le trouver, ce document qui, produit par le laboratoire Cogniscience de Grenoble, prévoit une notation des épreuves et la fameuse classification selon une échelle de risque de 1 à 3. On comprend que l’idée qu’un gosse de cinq ans puisse être catalogué comme à risque puisse choquer et c’est légitime. Pire, c’est la procédure qui mérite d’être jugée comme tendancieuse car on a le sentiment que dès le plus jeune âge, nos bambins sont pris comme des cobayes. Le vocabulaire est édifiant. Ritualisation forte qui rassure les enfants et les met en situation de réussite. Ce document complémentaire est plus qu’un décret d’application du précédent, c’est un pas de plus dans la procédure d’industrialisation de l’éducation. Comment parler de rituel dans le cas de gamins qui ont à peine fini de sucer leur pouce. Ritualisation comme les épreuves de master chef réservés aux aspirants grand chef cuistot. Sans aller jusqu’à la polémique, on peut s’interroger sur l’impact réel de ce texte qui selon les sources, serait proposé facultativement aux enseignants après un briefing des inspecteur de l’EN. S’agit-il d’aider des enfants en difficulté ou de se servir des enseignants comme de psychologues scientifiques faisant remonter des données chiffrées aux centres de contrôle du ministère ? Affaire à suivre.

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