Expulsion de Khazra, quatre ans

par Elisabeth P
mardi 3 octobre 2006

La semaine dernière, vers 16 heures, deux hommes ont sonné au portail de l’école maternelle des Avelines 3 aux Ulis et ont demandé à voir la directrice. Ils venaient chercher deux petites filles pour les emmener à l’aéroport d’Orly, où leurs parents les attendaient, en partance pour le Pakistan.


Quand j’ai entendu le mot Pakistan, je me suis souvenue d’une sortie d’école en juin dernier. J’étais venue chercher Sonia à 16 h30. Une fois le portail de l’école franchi, Sonia est allée s’asseoir à côté de Khazra qui prenait son goûter accompagnée de sa grande soeur. Elles ont échangé des sourires. J’ai entamé la conversation avec la maman qui tenait une poussette :
- « Elles s’entendent bien !
- Oui !
- De quel pays êtes-vous originaire ?
- Du Pakistan.
- C’est un grand pays. Mon frère l’a traversé pour aller en Inde.
- Et elle est d’où ? a demandé la maman en regardant Sonia.
- Son père est du Burkina Faso. »

Nous sommes reparties chacune de notre côté. J’aurais voulu lui dire tout ce que Khazra avait apporté à Sonia et la remercier... Mais après nous être croisées toute l’année dans la salle de classe, après avoir échangé souvent des salutations, ce n’est pas facile d’aller plus loin.

Sonia a tenu correctement son crayon pendant les vacances de Noël, sans doute à la suite des remarques « d’une grande de primaire » qui s’était moquée d’elle. Quelques semaines plus tard, je lui ai fait remarquer : « Tiens, sur ton dessin, on dirait un S, tu veux écrire Sonia ? Qu’est-ce qui vient après ? 0 ! ». Elle a ainsi écrit son prénom toute seule, sans que je lui tienne la main. Miracle ?

Les jours suivants, j’ai récupéré des dessins faits à l’école avec le prénom écrit de temps en temps de gauche à droite, de droite à gauche, ou en miroir. En déposant Sonia le matin, j’ai remarqué qu’une petite fille remplissait sa page avec son prénom « Khazra » écrit systématiquement dans le bon sens. Impressionnant !
L’enseignante m’a dit qu’il y avait cinq ou six enfants de petite section qui savaient écrire leur prénom, et que c’était rare, à cet âge-là.

Un soir, Sonia m’a demandé : « Dis, maman, comment est-ce que l’on écrit Khazra ?
- Euh, je ne sais pas, je vais voir sur la photo de classe. »

J’ai recopié les lettres « K H A Z R A »... Hum, c’est difficile !

Quelques jours plus tard, alors qu’elle était très fatiguée, elle s’est mise à pleurer après l’histoire du soir : « Je ne veux plus aller à l’école. On fait des choses trop compliquées...
- Quoi ?
- J’arrive pas à écrire le prénom des copines !
- Mais ce n’est pas la maîtresse qui dit de faire ça ?
- Non !
- Et il y a des copines qui savent écrire ton prénom ?
- Oui, Khazra... »

J’en ai parlé à l’enseignante, qui m’a alors expliqué que les filles de la classe jouaient à celle qui écrirait le plus de lettres, tout en sachant que ce n’était que du dessin pour l’instant. Elles ne faisaient que recopier un motif.

J’ai rassuré Sonia, en faisant l’éloge de la différence. Toi aussi, tu sais certainement faire des choses que Khazra ne sait pas faire. Elle ne savait peut-être pas ce qu’était une éclipse avant que tu ne l’expliques à toute la classe. Mais je sentais toujours une espèce de frustration...

En ce début d’année scolaire, en classe de moyenne section, Sonia a commencé par faire des H sur les dessins que je récupérais le matin dans son casier. H comme dans Khazra ?

« Les dossiers des sans-papiers seront examinés au cas par cas », ai-je entendu à la TV. Quelle meilleure preuve d’intégration que cette petite fille calme, qui encourage ses copines à écrire les lettres de notre alphabet ? Le père, qui a un emploi, peut rester en France, mais ni les enfants, ni la mère. C’est révoltant !
Quelle administration, quel juge peut être aussi inhumain, au point de séparer une famille ?
Khazra aura-t-elle le droit d’aller à l’école au Pakistan ?

Tout cela me semble à la fois triste et injuste.


Lire l'article complet, et les commentaires