Faut-il breveter les logiciels ?

par Eric Mainville
samedi 21 janvier 2006

Le brevet logiciel est interdit en Europe, et pourtant les brevet prolifèrent. Adversaires et partisans de la brevetabilité s’opposent. Parfois très durement.

Faut-il breveter les logiciels ? Question très sérieuse. Question épineuse. Sur le sujet deux camps s’opposent. D’un côté, les industriels du logiciel, comme Microsoft, favorables à la brevetabilité des logiciels, pour protéger leurs investissements. De l’autre, des PME et les avocats du logiciels libre. Ils prônent une libre circulation des idées. Notamment pour aider les pays pauvres.

Entre les deux camps, c’est l’empoignade. « Nous sommes en présence de gens qui sont incapables de se comprendre », résume Michel Rocard, rapporteur de la commission juridique du Parlement européen sur le sujet de 2002 à 2005. Il s’exprimait le 20 janvier dernier dans le cadre d’un colloque organisé par le Collège international de philosophie et intitulé « L’Internet : espace public et enjeux de connaissance ».

Brevet ou droit d’auteur
Pour résumer cette question extrêmement complexe, précisons tout d’abord qu’en Europe, un logiciel ne peut être breveté, mais qu’il peut être protégé par le droit d’auteur (Convention de Munich, 1973). Ajoutons toutefois que plusieurs dizaines de milliers de brevets ont été déposés... C’est à n’y rien comprendre.

Pour y voir plus clair, la Commission européenne décide, en 2001, d’émettre une de ces directives dont elle a le secret. Une commission juridique est désignée. « C’est un sujet auquel très peu de gens comprennent quelque chose », souligne Michel Rocard. « Quand la commission a été mise en place, personne ne voulait s’en occuper. Et évidemment, c’est moi qu’on a choisi ! »

"C’est ma secrétaire qui ouvre mes mails"
L’ancien Premier ministre avoue « être tombé dans le chaudron de la brevetabilité du logiciel par hasard, comme Obélix est tombé dont celui de potion magique ». Il confie : « C’est ma secrétaire qui ouvre mes mails ». Il s’est lancé avec ardeur à l’assaut d’un domaine qu’il ne maîtrise pas, entouré de personnes qui ne sont guère plus familières que lui des souris, puces et autres animaux bizarres qui se baladent sur la Toile. Mais qu’importe, tout le monde se met au travail. « En deux ans et demi, nous avons beaucoup appris. Je ne pouvais pas me permettre de me planter, surtout avec le père illustre que j’ai ! » Yves Rocard était, en effet, un physicien renommé.

Au bout de ce long chemin, et après de nombreuses consultations d’experts, de joutes (parfois nautiques) de lobbyistes, on aboutit à un projet de directive qui est finalement rejeté le 6 juillet 2005.

Ce rejet satisfait Rocard, opposé à la brevetabilité. Il ne mécontente ni les industriels ni les partisans du logiciel libre. Le statu quo est maintenu. Nous ne savons toujours pas quoi en penser. Fin de l’histoire pour Rocard qui, aujourd’hui, se préoccupe de la question turque.

Mais la Commission européenne poursuit son travail sur le brevet des logiciels. Elle a lancé une consultation publique le 16 janvier 2006. Affaire à suivre, donc...

En savoir plus :

Michel Rocard s’exprime sur le sujet devant la Commission européenne : il est assez remonté, et il le fait savoir ! On peut l’écouter en cliquant en bas de la page.

Un site sur les brevets des logiciels : très complet, avec de nombreux liens.

Un rapport de deux députés français : c’est assez synthétique.


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