Faut-il être complotiste face à la crise COVID-19 et qu’est-ce que cela veut dire ?

par Jacques Pollini
lundi 1er février 2021

« Il est rare que des gens du même métier se trouvent réunis, fût-ce pour quelque partie de plaisir ou pour se distraire, sans que la conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque machination pour faire hausser les prix. » 
Adam Smith (1776) : Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations.

« Il ne peut y avoir d'amitié là où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l'injustice. Entre méchants, lorsqu'ils s'assemblent, c'est un complot et non une société. Ils ne s'aiment pas mais se craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices. »

Etienne de La Boétie (1576) : Discours de la servitude volontaire.

J’écris ce texte car depuis que je prends position sur la gestion de la crise COVID-19, j’ai souvent été accusé, comme beaucoup d’autres qui rejettent la doxa gouvernementale, de défendre des thèses complotistes. Sommes-nous face à une déferlante complotistes ? Et qu’est-ce que cela signifierait ? Pour répondre, il faut commencer par clarifier ce que signifient les termes « complot » et « complotiste », ou « conspiration » et « conspirationniste ». Voici les définitions du dictionnaire Le Robert, obtenues en ligne :

« Complot : Projet concerté secrètement afin de nuire à quelqu’un, à une institution. »

« Complotiste : Défenseur d'une théorie du complot. »

« Conspiration : Accord secret entre plusieurs personnes pour renverser le pouvoir établi ; Entente dirigée contre quelqu’un ou quelque chose. »

« Conspirationniste : Personne qui défend la théorie d'une conspiration organisée pour manipuler l'opinion. »

De manière évidente, on a pu observer un complot au sens de la définition ci-dessus dans la crise COVID-19. Deux des plus grands journaux médicaux du monde, The Lancet et The New England Journal of Medicine, ont publié des articles sur l’hydroxychloroquine, le premier concluant qu’elle n’aidait pas les patients COVID-19 et aggravait même leur condition (Mehra et al 2020), le deuxième montrant qu’elle avait une toxicité cardiaque (Mehra et al 2020). Le premier a reçu une avalanche de critiques (Watson et al. 2020) auxquelles les auteurs n’ont pu répondre et qui s’appliquent en partie au deuxième article puisque la source des données est la même. Ces articles se sont avérés être des fraudes et ont été rétractés. Ils ont été produits à partir de données invraisemblables et invérifiables fabriquées par une société douteuse appelée surgisphere (Offord 2020, Azalbert et Gyssler 2020). Pour que ces articles aient été produits, il a bien fallu que des gens se réunissent et développent une stratégie, ne serait-ce que pour fabriquer ou manipuler les données. Il a bien fallu aussi qu’ils fassent cela pour une raison. Si être complotiste, c’est dire que des gens corrompus se réunissent et s’organisent pour discréditer par la fraude des traitements prometteurs, en faveur d’intérêts qui ne peuvent être que privés et contre l’intérêt général, alors oui je suis complotiste et il faudrait un sacré niveau d’aveuglement ou de naïveté pour ne pas l’être. Les faits sont là. Lisez ces deux articles et étudiez les causes de leur rétractation si vous doutez de l’existence de cette malveillance.

Au-delà de ce cas extrême, on a pu observer d’autres faits révélant une volonté de porter le discrédit non seulement sur l’hydroxychloroquine, mais aussi sur d’autres approches thérapeutiques permettant de traiter la COVID-19. Des dizaines de publications, dont une liste exhaustive accessible à tous circule sur le web, sont parues montrant que des traitements précoces permettent de traiter efficacement la COVID-19, notamment en utilisant l’ivermectine et la doxycycline (Kory et al. 2020), ou l’hydroxychloroquine et l’azithromycine (Risch 2020). Au-delà de cette liste, d’autres traitements à base de fluvoxamine (Lenze et al 2020), bromhexine (Ansarin et al 2020), colchicine (Vrachatis et al 2020), ou povidone (Choudhury et al. 2020) sont apparues. Non seulement ces traitements ont été ignorés par les autorités de santé, qui n’ont lancé aucun protocole de recherche pour vérifier leur efficacité, mais les médias les ont généralement discrédités et les médecins qui les ont utilisés ont subi des pressions pour ne pas le faire, et ont été censurés par les algorithmes des réseaux sociaux lorsqu’ils ont voulu partager les résultats positifs qu’ils ont obtenus. Le film documentaire « Mal Traités  » résume la situation.

Comment expliquer ce phénomène sinon par un effort concerté et non avoué de porter le discrédit sur des personnes et leurs agissements ? Certes, pour une grande majorité de gens, ce discrédit est justifié car les traitements ne marcheraient pas. La très grande majorité de ceux qui s’opposent aux traitements précoces, qu’ils soient experts ou fassent partie du public, ne sont donc pas comploteurs. Ils agissent de bonne foi pour ce qu’ils croient être l’intérêt général. Ils veulent éviter l’apparition de faux espoirs qui conduiraient à relâcher l’attention face au COVID-19 et négliger les gestes barrières. Ils considèrent que ceux qui font la promotion des traitements précoces sont des charlatans, comme le personnage qui fait la promotion du forsythia dans le film « contagion  ». Mais la crise COVID-19 diffère de celle du scenario de ce film. Les soi-disant « charlatans », dont les plus connus ont été invités à présenter leurs résultats aux Senats français et américain, sont des centaines, voire des milliers de par le monde, de l’Australie au Sénégal et au Pérou. Ils sont médecins et scientifiques, souvent de renommée mondiale, ont soigné des milliers de patients COVID-19, et publient des articles scientifiques présentant leurs résultats. Ainsi les gens qui sont sceptiques face aux traitements précoces, qu’ils soient experts, décideurs, journalistes ou citoyens, sont sans doute de bonne foi, mais ils se trompent quand ils disent qu’ils n’y a pas de preuve de l’efficacité de ces traitements. Ils pourraient dire que les preuves sont insuffisantes et demander que de nouvelles recherches soient conduites mais ce n’est pas ce qu’ils font. Ils rejettent les traitements précoces sans se baser sur les faits ou en se basant sur des publications portant sur des patients hospitalisés et donc hors sujet, problème que j’ai décrit dans un post précédents. Ils ont donc été biaisés par quelque chose qui les a piégés dans un discours qui contredit le réel mais dont ils ne peuvent plus sortir. Ils ne peuvent plus faire marche arrière car cela équivaudrait au déni d’eux-mêmes et du groupe social ou politique auquel ils appartiennent.

Il faut donc rechercher en amont, dans les institutions auxquelles sont liés les experts qui construisent la doxa gouvernementale, la source et les auteurs d’un « script  » à l’origine de ce biais. Car comment imaginer qu’il ne vienne de nulle part, qu’il ne reflète pas une stratégie adoptée par quelques-uns ? S’il était le fruit du hasard, comment expliquer l’ordre des discours établis à l’échelle planétaire, avec un narratif et un contre narratif très clairs ? A force de remonter, on finira bien par trouver cette source mystérieuse. Quand je parle de complot, je parle donc de la force qui se cache derrière cette source. Cette force agit sur l’OMS, les autorités médicales des grandes nations industrialisées, les médias orthodoxes et les experts qui s’expriment dans leurs colonnes, donnant cohérence à leurs discours et leurs actes puisque les faits ne peuvent expliquer cette cohérence. La matérialisation la plus visible, évidente de ce complot, est la firme surgisphere et les deux articles frauduleux dont elle a fourni les données. Mais on observe également une matérialisation plus diffuse, qui restera un mystère aussi longtemps qu’une grande enquête internationale ne sera pas lancée sur le sujet, mais qui est néanmoins perçue par une population qui n’est pas dupe et construit son contre-narratif, sa résistance, dans les réseaux sociaux. Cette résistance, complotiste au sens de dénonciateur d’un mystère, peut avoir des dérives radicales et délirantes mais sa racine n’en est pas moins ancrée dans le réel, ce qui lui donne sa légitimité.

Complotisme ancré dans le réel ou délirant ? Nous arrivons ici à une deuxième définition donnée au terme complotiste, qui n’est pas proposée par les dictionnaires mais est colportée par les médias et le monde politique, et analysée par des intellectuels, car elle correspond aussi à un phénomène bien réel. Un complotiste selon cette deuxième définition, c’est une personne prise d’un délire paranoïaque, qui croit que des forces occultes, maléfiques, agissent partout et conduisent à l’oppression et la destruction de la société. Ce complotiste délirant est une personne qui se positionne systématiquement en victime, ce qui la conduit à toujours privilégier une explication complotiste face aux situations difficiles dans lesquelles elles se trouve, contre le bon sens, la raison et la science. Ce positionnement victimaire la conduit à être pleine de ressentiment envers la société, phénomène analysé brillamment par Cynthia Fleury (2020). Ce ressentiment est légitime car il a des causes objectives. Il est le résultat d’une « colonisation de l’être » qui engendre impuissance et frustration, notamment chez le sujet colonisé que Fleury prend en exemple. Il existe également dans la société néolibérale actuelle car celle-ci « produit du mépris de façon généralisée.” Mais au lieu de « sublimer » son ressentiment par la réflexion et l’action, afin d’en identifier les causes et de mettre en œuvre une solution, la personne qui se positionne en victime risque de s’y enfoncer toujours plus profondément. Elle s’isole en construisant un discours qui lui convient mais qui n’a pas de prise sur le réel, au lieu de s’impliquer dans une action transformative au sein d’un collectif. Elle finit par trouver une sorte de jouissance dans sa vision victimaire, qu’elle caricature en adoptant les thèses complotistes les plus folles. Si parmi 1000 faits, un seul seulement s’accorde avec une explication complotiste, cette personne soulignera toujours ce fait et ignorera les autres, afin de se démarquer et se renforcer. Elle masquera ainsi son impuissance par un faux sentiment de puissance attaché à la certitude d’avoir découvert une vérité que nul autre n’a découverte, alors qu’en réalité, les autres rejettent cette « vérité » tout simplement parce qu’elle est fausse. Comme le dit Fleury (2020), « Les hommes du ressentiment veulent apparaître, se faire voir, se faire entendre, eux qui ont subi une invisibilisation de leurs sujets et de leurs vies. »

Cette analyse psychologique, très pertinente, ne doit toutefois pas faire oublier que le ressentiment, et donc le complotisme, ont des causes objectives, comme le souligne d’ailleurs Fleury (2020). Le sujet colonisé était réellement victime d’un système oppressif qui n’avouait pas son véritable objectif, derrière sa prétention à apporter la « civilisation ». Le complotisme délirant n’apparait que lorsque le sujet ne réussit pas à sublimer son ressentiment en analysant sa situation et passant à l’action. Il faut aussi noter que le sujet colonisé ne s’est pas enfoncé dans le ressentiment car il s’est finalement libéré, une libération toutefois relative puisque les puissances coloniales ont continué de comploter afin de maintenir leur contrôle et défendre leurs intérêts (Verschave 1998).

Afin d’illustrer la coexistence de ces deux formes de complotisme, réaliste ou délirant, je prendrai un exemple célèbre : le Protocole des Sages de Sion. Ce texte est souvent cité comme étant la preuve de l’existence d’un complot du peuple juif visant à établir un nouvel ordre mondial. Pourtant il s’agit d’un canular, d’une supercherie révélée par un article du New York Times du 4 septembre 1921. Malgré cela, le texte continue d’être mis en avant comme étant la preuve de l’existence de sociétés secrètes, nourrissant des vagues d’antisémitisme. Mais chose intéressante pour notre propos, la réfutation de la nature complotiste délirante de ce texte est en même temps la révélation qu’il est le produit d’un complot tout à fait réel. Simplement, il s’agit d’un complot contre les personnes juives, et non par elles. Plagiat grossier du texte d’un intellectuel français de la fin du 19ème siècle nommé Maurice Joly, le Protocole des Sages de Sion a été écrit en 1898 par un faussaire nommé Mathieu Golovinski, sur commande des services secrets Russes tsaristes, afin de fournir de fausses preuves leur permettant de justifier les pogroms et d’autres actions visant à réprimer des mouvements révolutionnaires (Eisner 2005).

Ainsi, les thèses dites « complotistes » peuvent tout autant se rapporter à des faits réels qu’à des faits imaginaires. Dans le terme « complotisme », le problème est dans le suffixe « isme », pas dans le préfixe « complot ». La même chose pourrait être dite de tous les termes se terminant par « isme ». L’apposition de ce suffixe traduit une dérive idéologique qui peut être associée à toute idée, qu’elle soit bonne ou mauvaise. L’anti-complotisme n’échappe d’ailleurs pas à la règle. En mettant dans le même panier toutes les théories complotistes, sans même questionner si elles sont supportées par des faits, l’anti-complotisme primaire que l’on voit se développer dans de nombreux médias et au sein d’une partie de la population ne pourra pas apaiser le débat. En adoptant une attitude de déni chaque fois que la possibilité d’un complot est envisagée, il va engendrer des dogmatismes qui ne pourront qu’accentuer les réactions paranoïaques ou victimaires et stimuler le développement des théories complotistes les plus délirantes. Entre ces deux extrêmes, le complot doit être envisagé comme événement possible et toute théorie formulant cette possibilité doit être mise à l’épreuve des faits.

La difficulté, c’est que la ligne entre complotisme réaliste et complotisme délirant est difficile à tracer. Où situer les thèses selon lesquelles le Président Kennedy aurait été assassiné grâce à des complicités avec la CIA ? Ou l’idée que certaines élites haut-placées auraient eu vent des attaques du 11 septembre mais n’aurait rien dit afin de les instrumentaliser, pour justifier une mobilisation plus grande de moyens dans la conduite d’une guerre servant des objectifs géopolitiques ? Pour répondre, il suffit de se rappeler d’une chose très simple : toute théorie, qu’elle soit complotiste ou autre, n’est qu’une… théorie ! C’est-à-dire une tentative d’expliquer les faits. Elle est légitime mais seulement en tant que tentative d’explication, et cette légitimité est proportionnelle à sa capacité à expliquer des faits qui ne peuvent être expliqués autrement. Dire que cette théorie est légitime ne signifie donc pas qu’elle est vraie, puisqu’elle peut être faible même quand elle est la meilleure, et puisque même si elle est forte, de nouveaux faits peuvent être révélés à tout moment qui conduiront à préférer une théorie concurrente.

Ainsi, le problème ne réside pas dans la formulation d’une théorie complotiste. Il réside dans l’acceptation de cette théorie lorsque les faits sont plutôt en faveur d’une autre explication. Quand on accepte une théorie qui est en désaccord avec les faits, on n’est pas seulement complotiste ; on est également négationniste. La négation de la nature anthropogénique du changement climatique, la négation de la shoah, sont des thèses négationnistes engendrées par le complotisme délirant, et c’est en tant que déni de la réalité qu’elles posent un problème. Entre deux théories, celle qui doit être acceptée est donc celle qui s’accorde le mieux avec les faits observés, et qu'importe qu'elle soit complotiste ou pas. Cela ne signifie pas la fermeture de la connaissance sur une pensée unique puisqu’à tout moment, de nouveaux faits peuvent être observés et conduire à changer de théorie. Mais en attendant ces faits, il faut bien se mettre d’accord et cela ne peut se faire que sur la base des faits connus.

Dans le débat sur les traitements précoces évoqué si dessus, le complotiste délirant existe. Il s’exprime dans le déni de l’efficacité de ces traitements. Car si ces traitements précoces ne marchaient pas, comment expliquer que toutes les études qui les testent (sauf quelques-unes qui portent sur des patients jeunes et en bonne santé) montrent qu’ils fonctionnent, si ce n’est par un complot des centaines de médecins et chercheurs qui ont conduit ces études et utilisé ces traitements ? On voit mal comment un scientifique raisonnable qui ferait une revue bibliographique sur le thème des traitements précoces (ambulatoires) de la COVID-19 pourrait défendre l’idée que ces dizaines d’études sont biaisées dans le même sens, voire frauduleuses pour celles qui sont randomisées, si ce n’est en faisant intervenir un biais intentionnel ou une falsification des données qui seraient l’expression d’un complot fomenté par les auteurs de ces études, ou par des gens influençant leurs travaux. L’argument qui permettrait de rejeter la validité des études sur les traitements précoces ne peut donc être que similaire à celui formulé par ceux qui accusent les autorités médicales d’être dans le déni de l‘existence de ces traitements. C’est un argument complotiste. De quel côté est donc est le complot ? Il n’y a qu’un moyen de répondre : faire une revue critique de cette bibliographie et interroger les médecins qui ont utilisé ces traitements précoces afin de savoir si, selon les connaissances et l’expérience de terrain accumulés à ce jour, ils fonctionnent ou pas. Et il faudra également voir de quel côté se trouvent les fraudes les plus grossières et les rétractations d’article !

Peut-on parler de complot, dans le cadre de la crise COVID-19, au-delà des tentatives grossières de discrédit des traitements disponibles ? Il serait déraisonnable de ne pas l’envisager, tout comme il serait déraisonnable de ne pas envisager d’autres explications. Le débat doit rester ouvert en évitant le déni et l’hystérie, pôles opposés qui ont en commun de conduire au dogmatisme. Ainsi, il est légitime de se demander si le virus de la COVID-19 a été créé en laboratoire. Il s’agit-là d’une question scientifique et les biologistes, qui ont déjà commencé à étudier le sujet (Montagnier and Perez 2020), apporteront une réponse. Rejeter la thèse d’un virus artificiel sous prétexte qu’elle est complotiste est hors sujet et néfaste. Ce n’est pas faire de la biologie et cela ne peut conduire qu’à une escalade du biais complotiste car quelle raison pourrait motiver le rejet à priori de cette explication, sinon une volonté de cacher la vérité ? Question plus grave : si le virus est artificiel, s’est-il échappé par hasard ou quelqu’un l’a-t-il relâché intentionnellement ? S’agit-il d’un accident ou d’un acte bioterroriste ? Pour répondre, une enquête internationale et indépendante devra avoir lieu. Et là encore, rejeter la deuxième explication sous prétexte qu’elle est complotiste, et donc rejeter la possibilité d’enquête sérieuse et indépendante, est hors sujet et néfaste. Cela équivaudrait à nier la possibilité du mal, à nier l’existence de marchands préoccupés seulement par l’argent et de « méchants » capables d’actes criminels, démarche absurde qui ne conduirait qu’à alimenter les réactions complotistes délirantes.


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