Faut-il haïr le football en 2016 ?
par Sylvain Rakotoarison
vendredi 1er juillet 2016
« Le football est un jeu avant un produit, un spectacle avant un busines et un sport avant un marché. » (Michel Platini, le 26 janvier 2007).
Eh oui, cela se passe depuis trois semaines ! Du vendredi 10 juin au dimanche 10 juillet 2016, la Gaule vit à l’heure du football. Toute la Gaule ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à…
Parallèlement à toute la mousse médiatique mais aussi sociale que provoque la compétition sportive, il y a une partie de la population pour qui le football ne représente rien.
J’ose le dire au risque d’être "stigmatisé" (une stigmatisation que j’assumerais volontiers) : peu me chaut du football. Donc, impossible de le détester, car pour le détester, il faudrait que je le connaisse, que je m’en passionne. Moi, cela me rend indifférent, peut-être juste une pointe d’agacement contre ce matraquage audiovisuel mais je ne suis pas non plus obligé d’écouter la radio, de lire les journaux, de regarder la télévision.
J’ose dire d’ailleurs que le seul nom de footballeur que je connaisse vraiment, c’est Platini, pour des raisons familiales et personnelles, pour des raisons géographiques, pour des raisons aussi d’époque. Les autres noms, je ne dis pas que je n’en ai jamais entendu parler (le matraquage a cela de bien que le cerveau se remplit d’informations inutiles), mais je ne sais pas si ce sont des sportifs ou d’autres génies dont l’importance m’aurait échappé.
C’est vrai que tous ces messieurs (je crois qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans ce milieu, à part peut-être les joueuses) au costume bien épinglé, à l’air très important, à qui on tend un micro à chaque pet de joueur mal léché, tout cela pour un ballon qu’on tape dessus du pied, cela fait un peu sourire.
Ah oui, j’oubliais, ce milieu brasse des sommes folles d’argent. Le football est une économie avant tout, et l’argent, c’est quelque chose de sérieux, d’où la cravate de l’endimanchement. Et si cela produit autant d’argent, c’est parce qu’il y a un public, parce que beaucoup de monde achète des billets pour assister au match, ou regarde les matchs à la télévision, ce qui rend la minute de publicité télévisée hors de prix.
Pour autant, dès que tout se passe dans la légalité (ce n’est pas forcément le cas), dès lors que le sport est vécu comme une fête, tout cela m’est égal et indifférent.
Donc, pas question de jouer à l’intello de service qui irait crever un ballon sur la place centrale en plein soleil au risque de se faire lyncher par des armées de supporteurs en tuniques bleu blanc rouge.
Parce qu’après tout, tout le monde a bien le droit de se détendre, a bien le droit de s’amuser, d’apprécier des choses futiles, d’être léger. Et même, la starisation des sportifs peut avoir quelques conséquences heureuses, comme encourager à faire soi-même du sport (ma meilleure résolution à chaque nouvel an !), ou même préférer le sport à d’autres activités de loisir peut-être contraires au code pénal. Certaines mauvaises langues seraient même prêtes à dire malicieusement que ce sont toujours des voitures qui ne seront pas brûlées pendant ce temps.
Le fait d’ailleurs de ne pas suivre le mouvement m’encourage. L’anticonformisme est finalement un conformisme comme un autre. D’ailleurs, suis-je si seul que cela à ne pas m’intéresser au football ? Eh bien non, je suis même majoritaire si j’en crois le sondage de YouGov pour "20 Minutes" publié le 10 juin 2016 : 62% des sondés (1 117 personnes représentatives interrogées du 2 au 6 juin 2016) se déclareraient "pas intéressés" par la compétition de football. C’est même rassurant : le chômage, le logement, les examens de fin d’année, la maladie, les attentats (comme l'attentat à l'aéroport international d'Istanbul qui a fait au moins 43 morts ce 28 juin 2016), les misères d’un monde qui ne s’arrête pas de tourner pour un ballon rond, tout cela semble préoccuper un peu plus de monde, c’est sain.
Pourtant, tout le monde s’y met, au football, et même moi qui y consacre cette réflexion. Il faut dire que le sport a toujours été intriqué dans la politique et réciproquement. J'ai même vu par hasard Rama Yade jouer à la commentatrice sur LCI le 19 juin 2016 ("À fond les ballons") au lieu d'expliquer ce que pourrait apporter sa candidature à l'élection présidentielle (déclarée le 21 avril 2016).
Sans aller jusqu’à Hitler et les jeux olympiques de Munich en 1936, les jeux olympiques de Moscou avaient été boycottés par de nombreux pays en raison de l'invasion soviétique en Afghanistan, Jacques Chirac et Lionel Jospin avaient bénéficié d’un regain de popularité lors de la victoire de l’équipe de France en 1998 (ils n’en étaient pourtant pas responsables !!), le gouvernement chinois a bénéficié aussi de l’organisation des jeux olympiques à Pékin en 2008, et même Vladimir Poutine à Sotchi en 2014.
L'ex-député UMP Christian Vanneste a même écrit le 10 juin 2016 : « La religion du football entretenue par les politiciens n’a rien de rassurant. La victoire éventuelle d’une équipe de joueurs professionnels surpayés par des clubs souvent étrangers n’a aucune signification pour notre pays. Entretenir cette illusion, c’est vouloir tromper le peuple et c’est révéler du même coup le cynisme des dirigeants. (...) Il est quand même plus important d’attirer les investissements et les touristes réguliers que les supporters surexcités qui ont déjà montré à Marseille ce dont ils sont capables. ».
François Hollande, qui a préféré parler de football à s’expliquer sur le chômage sur France Inter le 5 juin 2016, a voulu instrumentaliser la compétition sportive en mettant la CGT face à ses responsabilités… sans assumer les siennes ! Le mardi 14 juin 2016, une manifestation était prévue pour exprimer la colère des gens… mais est-ce compatible d’être à la fois gréviste et supporteur, par exemple ? Les manifestations qui ont suivi, en particulier celle du 28 juin 2016, ont beaucoup moins mobilisé.
Le 9 juin 2016, Joseph Macé-Scaron rappelait sur i-Télé que François Hollande n’a jamais misé que sur sa chance personnelle : la disqualification de Dominique Strauss-Kahn avant 2012, et depuis qu’il est élu, il a toujours misé sur un retour à une conjoncture plus clémente, et croit toujours à un événement national heureux qui redresserait son image personnelle avant Noël 2016. "L’Obs" a évoqué le 7 juin 2016 le fait que dans l’esprit de François Hollande, ce mois de football serve …de « séance de psychothérapie à un pays au bord de la crise de nerf ». Le Brexit, à défaut du football, pourrait donner l'opportunité de rebondir à François Hollande.
Il est utile de rappeler cette réflexion d’Hannah Arendt : « Accomplir de grandes actions et dire de grandes paroles ne laisse point de trace, nul produit qui puisse durer après que le moment aura passé de l’acte et du verbe. (…) Les hommes de parole et d’action (…) ont besoin de l’artiste, du poète et de l’historiographe, du bâtisseur de monuments ou de l‘écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l’histoire qu’ils jouent et qu’ils racontent ne survivrait pas un instant. » ("Condition d’un homme moderne", 1958).
On pourrait rajouter les sportifs dans la liste des artistes, architectes, historiographes… mais le sport n’est pas seulement une faire-valoir politicien pour dirigeants en mal de popularité, c’est aussi de véritables ouvertures pour l’amitié entre les peuples. Rappelons par exemple que c’est le sport qui a été le premier sas d’ouverture entre l’Iran et les États-Unis, comme la musique l’a été (très brièvement) entre la Corée du Nord et l’Europe (le 14 mars 2012).
Car la compétition entre deux équipes nationales, il ne faut pas la voir comme une guerre, mais comme un dialogue, comme un échange, avec un consensus sur les règles et une acceptation de la défaite chez les vaincus. C’est plus une élection qu’une guerre.
Je ne m’aventurerais cependant pas plus dans l’esprit sportif, surtout quand on voit le nombre d’affaires et de scandales de toutes sortes, qu’ils soient pécuniaires, sexuels, racistes, etc. car cela ne m’intéresse pas.
Lorsqu’ils ont à faire à des personnalités qui sont devenues très connues (sauf de moi !) ou très riches (mais l’un engendre l’autre souvent), les médias tombent souvent dans la confusion et ne comprennent pas que cela ne suffit pas pour parler correctement, pour ne pas être vulgaire, pour développer une pensée subtile et cohérente voire pour disserter des choses complexes du monde de manière plus intéressante que devant la machine à café à son travail.
En 2016, le principal enjeu de cette compétition de football, c’est bien sûr la sécurité et le prolongement, depuis le 14 novembre 2015, de l’état d’urgence. Un attentat durant ce mois serait catastrophique pour la classe politique. Et le risque d’attentat est grand puisque les services secrets ukrainiens ont même arrêté le 6 juin 2016 un citoyen français qui préparait une quinzaine d’attentats, contre une mosquée, contre des supporteurs, etc. apparemment plus issu de l’extrême droite que de l’islamisme. Le danger n’est donc pas forcément de là où l’on le supputerait.
Pour autant, fallait-il renoncer à organiser cette compétition sportive ? Non, bien sûr. Il faut continuer à vivre. Il faut continuer à regarder des caricatures peut-être pas du meilleur goût, il faut continuer à assister à des concerts peut-être pas du meilleur goût, il faut continuer à se prélasser sur des terrasses de café quand la semaine est terminée et que c’est l’heure de la détente, il faut continuer à prendre l’avion en cas de déplacement utile, il faut continuer à s’allonger sur les plages et à faire bronzette (sous réserve de bien se protéger des UV quand même !) pour se régénérer avant une rentrée difficile, bref, il faut continuer à vivre même si l’idée qu’en faisant cela, on peut se faire massacrer à la kalachnikov peut désormais traverser l’esprit.
Car si l’on s’arrêtait de vivre, ce serait une véritable victoire (posthume) des terroristes : ils auraient réussi à révolutionner le mode de vie, ils auraient eu raison car ils auraient été efficaces. C’est, je pense, le pire des hommages à rendre à leurs malheureuses victimes. Il ne s’agit pas d’être imprudent mais de laisser vivre les 67 millions de Français et ceux qui seraient de passage en France et de ne pas laisser quelques dizaines voire centaines d’individus fanatisés voire drogués prendre en otage tout une nation voire tout un continent.
Sur la sécurité dans le sport, le problème n’est d’ailleurs pas nouveau et ne s’arrête pas au terrorisme. Il y a toujours eu des problèmes d’ordre public aux abords des stades. La vulgarité de quelques-uns, aidée de l’alcool, a souvent eu raison de l’esprit léger et festif d’une rencontre sportive. On le voit d'ailleurs avec les violences à Marseille le 11 juin 2016 entre hooligans anglais et hooligans russes qui ont fait cinq blessés graves dont un entre la vie et la mort.
Il y a quelques temps, j’habitais près de la Porte de Saint-Cloud et je me souviens d’un retour depuis l’autoroute du nord. Gros bouchons sur le périphérique extérieur à l’ouest, assez ordinaire un dimanche soir, mais là, c’était vraiment bloquant. Une fois que je suis arrivé près du Parc des Princes, j’ai vu une cinquantaine de camionnettes de CRS, autant de camions de pompiers, les rues bouchées par des stationnements à trois ou quatre niveaux (du triple ou quadruple file de stationnement !), tout le monde bloqué, et la seule place qu’il me restait d’ailleurs pour me garer sans gêner personne était sur un trottoir… devant un commissariat de police ! Renseignement pris, il s’agissait d’un match PSG vs OM !
Il y a aujourd’hui 100 000 personnes chargées d’assurer la sécurité des spectateurs durant ce mois de compétition qui tombe aussi au même moment que le mois du ramadan. Faut-il alors dépenser des sommes aussi vertigineuses pour assurer la sécurité de ces matchs de football ? La réponse est oui puisque ce sport est la passion de très nombreuses personnes, y compris de personnes qui sont pourtant parmi ce qu’on appelle des intellectuels (comme lui).
Le contexte actuel est mauvais, certes, pour l’image de la France : au-delà des risques d’attentat, la crue de la Seine et les grèves des transports (RATP, SNCF, Air France), les poubelles pas ramassées à Paris, l’électricité sauvagement coupée, les raffineries toujours bloquées, etc. n’aideront pas beaucoup le tourisme cet été, assurément. Et réduisent les chances de Paris pour les jeux olympiques de 2024. Le 9 juin 2016, si le RER-C ne roulait pas, ce n’était plus à cause des inondations comme la veille, mais à cause des grèves !
Ceux qui se désintéressent du football pourraient toutefois trouver matière à se réjouir pendant cette période de surconsommation footballistique.
Par exemple, j’étais allé, lors d’un match où l’équipe de France était en demi-finale il y a une dizaine d’années, au Louvre en nocturnes. À part un très petit groupe de Japonais, j’étais seul devant la Joconde. Cela méritait bien le foot, non ?! Profitez-en, les musées sont un peu plus vides, en ce moment !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 juin 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Football 2016 en France.
Jeux olympiques de Londres en 2012.
François Hollande.
Le patriotisme.
Nuit Debout.
La France archaïque.
Les attentats de 2015.
Daech.
La crue de la Seine.
Grèves illimitées.
Secteur de l’énergie.