Fondation Denis Guichard : le colloque des dérives sectaires
par Paul T.
samedi 24 mars 2018
La Fondation Denis Guichard, présidée depuis sa création en 1984 jusqu’en 2004 par Jean-Marie Pelt, vulgarisateur scientifique familier des auditeurs de France Inter, apparaît beaucoup moins sympathique que son ancien président. Désormais dirigée par Anne de Constantin, cette association (aussi connue sous le nom « Un nouveau regard sur le vivant ») est en effet une émanation du mouvement sectaire « Invitation à la Vie ». Cet évènement aura lieu à peine trois semaines après la publication du dernier rapport de la Miviludes qui épingle les dérives sectaires tout particulièrement dans le domaine de la santé.
Le 14 avril 2018, la Fondation Denis Guichard organisera un grand raout au théâtre de l’Athénée, à Paris, qui rassemblera de nombreux membres de ce groupuscule et des compagnons de route pour « choisir le vivant »… Ou plutôt pour faire du prosélytisme pour une vision très alternative et très conservatrice de la science et de la médecine.
Invitation à la Vie, charlatanisme médical et prosélytisme mortel
Les amis d’Anne de Constantin : membres ou proches d’Invitation à la Vie
Selon ses propres dires, Anne de Constantin rassemblera le 14 avril à l’Athénée nombre de « ses amis » parmi lesquels Béatrice Milbert, Emmanuel Ransford et Gilles-Eric Séralini, « un ami très profond ».
En plus de la médecine quantique et de l’harmonisation, Béatrice Milbert compte parmi ses violons d’Ingres « la mémoire de l’eau et la biologie numérique », ainsi que la recherche sur « les pathologies infectieuses, la médecine tropicale et la maladie de Lyme », dont elle se présente comme « une spécialiste ». Elle est ainsi présidente du Conseil scientifique de l’International Fund For Research on Lyme Disease. Problème, ce fonds de recherche créé par la naturopathe Judith Albertat (une autre intervenante du prochain colloque de la Fondation Denis Guichard) a été épinglé par Sciences & Avenir en avril 2017 pour avoir conduit un « essai clinique illégal sur l’homme ». En utilisant un stock périmé, Judith Albertat a confirmé avoir procédé à l’injection, « dans l’illégalité la plus totale » reconnaît-elle, à des patients d’un antiseptique dénommé « F84 », capable de « guérir définitivement des malades du sida » selon elle.
Fondateur et président de l’Institut International de la Psychomatière (dont il est le seul membre à s’en revendiquer), Emmanuel Ransford tente de donner une justification « scientifique » à la médecine quantique, examinant « notamment le magnétisme et la guérison à distance, les mémoires cellulaires et la reprogrammation cellulaire, la psychogénéalogie et le transgénérationnel, etc... Tout cela [le] conduira à souligner nos potentiels cachés, liés à notre nature psycho-matérielle ». Son intervention lors du colloque de la Fondation Denis Guichard dédiée au « monde fabuleux des plantes » pourra également s’appuyer sur sa théorisation des « fleurs quantiques »…
Aux côtés de ses partisans de la médecine quantique, interviendra un autre grand ami d’Anne de Constantin : Gilles-Eric Séralini. Beaucoup plus connu que ses deux comparses pour son travail sur les OGM et le glyphosate.
Cependant, Gilles-Eric Séralini a continué d’entretenir des relations régulières avec ces entités-satellites d’Invitation à la Vie : nouvelles études en 2015 et 2016 pour le compte de Sevene Pharma, et donc participation à un nouveau colloque de la Fondation Denis Guichard en avril 2018.
Elle participera d’ailleurs le 14 avril au colloque sur le thème « Un jardin médicinal exceptionnel en Cévennes… », suivi de l’intervention « …et ses médicaments agissant sur la cellule vivante » présentée par Gilles-Eric Séralini.
Par ailleurs, Claire Laurant, salariée de Sevene Pharma, intervient en tant qu’experte lors des séminaires du CRIIGEN, par exemple en juin 2015 ou en septembre 2017, et le site du CRIIGEN assure la promotion de ses livres.
Finalement rien d’étonnant à voir le CRIIGEN, et son scientifique-phare, entretenir les meilleures relations avec la Fondation Denis Guichard et Invitation à la Vie, puisque Jean-Marie Pelt a cofondé et présidé le CRIIGEN. Gilles-Eric Séralini a d’ailleurs rendu un hommage appuyé à son « grand ami », à l’annonce de son décès.
Un colloque qui fait la part belle aux scientifiques en plein naufrage
Hormis Gilles-Eric Séralini, le colloque accueille d’autres participants qui font régulièrement la une des journaux, bien que leurs liens avec Invitation à la Vie apparaissent moins évidents au-delà d’une communauté d’esprit.
En particulier, la présence du professeur Luc Montagnier pourrait sembler un gage de rigueur scientifique pour la journée organisée par le Fondation Denis Guichard. Béatrice Milbert et Judith Albertat ne sont probablement pas étrangères à cela, puisque la première est vice-présidente de « Chronimed » (collectif de médecins regroupés autour de Luc Montagnier) et la seconde est la fondatrice et ancienne présidente de « Lyme Sans Frontière » (parrainée par ledit professeur).
La coupe est pleine pour le reste de la communauté scientifique. Lettre ouverte d’une quarantaine de Prix Nobel en 2012 pour dénoncer qu’il n’existe « aucun début de preuves scientifiques » aux affirmations de Montagnier. Rebelote en novembre 2017, lorsqu’une centaine de membres des Académies de médecine et de pharmacie condamnent ses « impostures scientifiques et médicales ». A défaut de se déclarer proche d’Invitation à la Vie, Luc Montagnier leur sert au moins d’idiot utile, arguant de son Prix Nobel et de son statut de co-découvreur du sida pour avancer des thèses compatibles avec celles d’Yvonne Trubert, la fondatrice d’Invitation à la Vie.
Invitation à la Vie et anthroposophie, l’alliance des mouvements sectaires
Claude et Lydia Bourguignon sont bien conscients du caractère mystique de la biodynamie et reconnaissent que « ce système d’exploitation est basé, en effet, sur une conception spirituelle de la nature qui heurte les esprits cartésiens ».
Les liens entre l’anthroposophie et Invitation à la Vie ne sont pas nouveaux, puisque Jean-Marie Pelt (l’ancien président de la Fondation Denis Guichard) a préfacé des ouvrages dédiés à la biodynamie et défendu aussi que les « vibrations » des protéines (l’une des trois actions fondamentales prêchées par Yvonne Trubert avec l’harmonisation et la prière) permettent de lutter contre les maladies des plantes selon un de ses « amis » : Joël Sternheimer (chanteur psychédélique dans les années 60 et docteur en physique quantique). Celui-ci est l’inventeur de la « génodique », technique activement soutenue par la Fondation Denis Guichard, qui permettrait de soigner les végétaux grâce aux vibrations musicales. Elle connaît effectivement un certain succès chez les viticulteurs biodynamiques, alors que les autres vignerons qui l’ont essayé ne constatent « aucune réduction » des maladies.
En complément, Eric Julien dénonce « une médecine qui déconnecte les êtres des uns des autres et qui déconnecte surtout du vivant auquel on appartient », et suggère qu’« à force de vouloir trop se soigner, ou à force de rentrer dans une logique hyperspécialisée, est-ce que nous ne générons pas nos propres maladies et nos propres dysfonctionnements ? ».
L’ensemble des intervenants du colloque du 14 avril de la Fondation Denis Guichard se caractérise donc par la communion d’esprit qui les anime : charlatanisme et critique de la médecine et de la science. En 2001, Le Parisien s’était insurgé contre l’accueil au palais des Congrès de Versailles de la secte Invitation à la Vie. En 2018, rien de tel pour l’instant alors que le théâtre parisien l’Athénée est sous la tutelle du ministère de la Culture. Peut-être parce que la ministre Françoise Nyssen est elle-même proche de l’anthroposophie, en tant que créatrice d’une école Steiner « Le Domaine du possible » et principale éditrice avec Actes Sud de ces mouvements sectaires ?