Foot : la passion peut-elle tout excuser ?

par LATOUILLE
lundi 26 décembre 2022

Chacun dira que la passion ne peut pas tout excuser, sauf s’il s’agit de sa propre passion pour quelque chose surtout si elle s’attache à un objet ludique comme le sport. Dès lors deux questions se font jour : qu’est-ce qu’une passion, qu’est-ce que le sport ?

Dans les débats à propos de la tenue de la coupe du monde de football 2022 ces deux questions ne sont pas posées, sauf de très rares fois par des chercheurs en sciences humaines mais les journalistes et autres commentateurs ont écarté ces questions pourtant fondamentales si on veut comprendre le débat qui a été ouvert. Faute de poser ces questions comme préalable au débat on arrive à une aporie ou plus prosaïquement à un dialogue de sourds entre ceux qui, passionnés de foot, ne voient pas de raison de critiquer la tenue de la coupe du monde au Qatar et ceux qui, armés de multiples griefs, ne comprennent pas qu’on ne boycotte pas cette coupe du monde.

Dans un premier temps essayons de connaître les protagonistes, les griefs et les passions. Dans un deuxième temps voyons le duel entre passions et raisons au regard de ce que représente le football dans la société et notamment à travers ce que représentent les « stars » de ce sport. Enfin cernons quel est le poids économique du football et comment, inévitablement, il est un problème politique et géopolitique.

 

  1. Protagonistes, griefs et passions

La population des protagonistes de ce débat est hétéroclite ne serait-ce que parce que les contours du débat ne sont pas clairement tracés. S’agit-il seulement de boycotter la coupe du monde de football, s’agit-il de boycotter le Qatar ou s’agit-il de boycotter un spectacle parce qu’il serait contraire aux « besoins écologiques » du moment et parce que les droits humains ont été bafoués ? À travers ces questions on voit se dessiner des catégories de protagonistes :

Les troisième et quatrième catégories ne sont pas sous l’emprise des griefs des écologistes pas plus que des passions vis-à-vis du football, des discussions relatives à la tenue de la coupe du monde au Qatar, ni même vis-à-vis du Qatar. Leur pensée n’est tournée que vers la satisfaction d’un désir ou d’un plaisir du moment où on peut discerner chez certains un flou dans le choix de l’action dictée par le mimétisme : s’agit-il d’assister à ce spectacle parce qu’il faut pouvoir dire « j’y étais », s’agit-il d’une occasion de faire un voyage à de bonnes conditions tarifaires, s’agit-il de faire comme tout le monde (supposé)… C’est le cas de Mathieu cité dans le journal « le 7 » (hebdomadaire gratuit à Poitiers n° du 15 novembre 2022) : « Il était à deux doigts de commander trois billets pour le premier match des Bleus face à l’Australie, le 22 novembre. Et puis Mathieu s’est ravisé. Le père de famille et ses deux enfants de 11 et 9 ans ne garniront pas les travées du stade Al-Janoub, à Al-Wakrah. « J’avais trouvé des séjours à 800 € par personne, qui sont montés à 1 200 € pour finir à 1 450 €, témoigne le Poitevin. Et puis les règles annoncées sur les tenues vestimentaires et les boissons ont fini par me convaincre de renoncer. » Mathieu et ses enfants regarderont donc l’équipe de France à la télé. Il ne compte « pas se priver de l’événement », en dépit des réticences sur les droits humains, l’environnement... »

Dans ce cadre, appartenant à la quatrième catégorie, peut se situer un président de la République qui soit veut donner une image particulière à une catégorie d’électeurs et ainsi maintenir une image positive, soit s’inscrit dans une démarche de politique étrangère. Ces gens-là, tout en reconnaissant les griefs qui conduisent à souhaiter le boycott les minimisent pour ne mettre en avant que leur intérêt immédiat et par conséquent dénature voire démonétisent le débat. C’est dans ce processus de démonétisation qu’il faut inscrire les propos d’Emmanuel Macron lorsqu’il dit qu’il est trop tard pour réagir, que c’est quand la coupe du monde a été attribuée qu’il fallait se mobiliser… Si personne ne l’avait fait nous pourrions croire en l’honnêteté de leur démarche intellectuelle, mais c’est un autre débat pour lequel il faudrait affiner l’analyse de ces deux catégories de protagonistes au débat sur le boycott de cette coupe du monde de football au Qatar. Dans cette catégorie nous pouvons inclure les joueurs de football dont on ne sait plus de quelle nature est leur passion : le football, le salaire, l’image sociale. Pour sûr, la passion pour l’écologie ne semble pas très développée chez certains des joueurs au vu d’un joueur s’effondrant de rire comme un adolescent facétieux à moins qu’il soit niais, lorsqu’un journaliste évoquait que les équipes pourraient éviter de voyager en avion sur de courtes distances, ce qui n’en fait pas une « mauvaise » personne notamment au vu des dons faits à une association caritative. Cette anecdote amène à réfléchir à la place de la raison et de son opposition à la passion dans le processus mental des individus pour lesquels toutefois il faut donner crédit qu’ils sont professionnels et que leur marge de manœuvre pour des prises de position militante est sans doute faible.

Restent les deux autres catégories sans doute chacune n’étant pas si homogène qu’il y paraît à première vue mais qui toutefois se constituent essentiellement autour de la notion de passion : passion pour le football pour les uns, passion pour l’écologie pour les autres.

 

  1. Passions et raison

Il est difficile de définir le mot « passion » car, comme l’écrit L-M Morfaux dans Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, c’est « un terme équivoque en raison de son évolution sémantique ». La passion, en ce qu’elle concerne l’humain, doit se réfléchir entre l’affectivité et l’émotion. Elle est, nous dit le dictionnaire Robert, tout état ou phénomène affectif, et cite Blaise Pascal : « La nature, qui n’est pas sensible, n’est pas susceptible de passions. »

Aimer le football comme militer pour l’écologie et les droits humains ont bien affaire avec l’affectivité qui est l’aptitude à être affecté de sensations, de plaisir ou de douleur. Sans plaisir au risque parfois de la douleur on ne passerait pas des heures sur des gradins peu confortables, on ne dépenserait pas de folles sommes d’argent pour acheter un tee-shirt marqué du numéro d’une idole ; pareillement les militants écologistes seraient-ils affectés par leur engagement s’ils ne ressentaient pas de plaisir à militer au risque de douleur lors de manifestation. Tout cela se passe dans le vaste bocal de l’émotion qui est un état affectif intense.

De là naît la passion qui d’ailleurs possède une grande proximité sémantique avec l’émotion où celle-ci vient du latin « movere » qui signifie ébranler, mettre en mouvement alors que passion vient du grec « pathein » qui signifie subir. Ainsi, le passionné « subirait une force incontrôlable, il n’agirait pas, mais « serait agi » par quelque chose qui le dépasse », écrit Philippe Granarolo (Encyclopédie Universalis). Certains auteurs n’ont-ils pas écrit que la passion exerce « le principal empire sur une personne ». Dès lors comment s’organisent la pensée et l’action ?

Entre Sénèque pour qui « le sage est sans passions » et Lucrèce qui écrit que « la passion trop souvent ferme les yeux aux hommes », nous pouvons immiscer le débat entre Descartes et Hume. Pour le premier les passions ne sont pas dangereuses, seuls leurs excès le sont. Mais, alors comment les contrôler ; par la raison répond Descartes. Hume ne croit pas à la raison qu’il considère être une « passion calme » qui ne peut jamais dominer une passion ; seule une passion peut en combattre une autre. Pour Hume c’est donc un combat de soi à soi qui permettrait de « maîtriser » ses passions. Que l’on se range derrière Descartes ou à la suite de Hume la question reste entière à propos de ce qui permet ou enclenche le processus de maîtrise de la passion permettant ainsi, par exemple, à l’écologiste de concevoir que la coupe du monde de football fût-elle au Qatar doit être acceptée ?

Pour beaucoup de personnes la gestion de la passion, à la suite de Descartes, se trouve dans la raison : « Mais souvent la passion nous fait croire certaines choses beaucoup meilleures et plus désirables qu’elles ne sont ; puis, quand nous avons pris bien de la peine à les acquérir, et perdu cependant l’occasion de posséder d’autres biens plus véritables, la jouissance nous en fait connaître les défauts, et de là viennent les dédains, les regrets et les repentirs. C’est pourquoi le vrai office de la raison est d’examiner la juste valeur de tous les biens dont l’acquisition semble dépendre en quelque façon de notre conduite, afin que nous ne manquions jamais d’employer tous nos soins à tâcher de nous procurer ceux qui sont, en effet, les plus désirables ; en quoi, si la fortune s’oppose à nos desseins, et les empêche de réussir, nous aurons au moins la satisfaction de n’avoir rien perdu par notre faute, et ne laisserons pas de jouir de toute la béatitude naturelle dont l’acquisition aura été en notre pouvoir. » Nous voyons bien comment pourrait intervenir ou jouer la raison dans le processus de gestion de la passion, mais nous butons alors sur la notion de « juste valeur ». Descartes posait la raison dans un système de principes c’est-à-dire quelque chose d'indépendant de l'expérience, auquel doit se conformer tout exercice de la raison. Comment alors situer l’exemple de Mathieu (cité plus haut) qui ne veut pas « pas se priver de l’événement », en dépit des réticences sur les droits humains, l’environnement… ? Emmanuel Kant nous aide dans ce cheminement en distinguant la raison théorique (ou raison pure) et la raison pratique. La première permet de connaître ce qui est, de distinguer le vrai du faux, alors que la raison pratique consiste à dicter ce qui doit être, à différencier le bien du mal. Grâce à la raison théorique on élabore la connaissance, alors que la seconde règle l'action.

On envisage bien que pour les deux premières des catégories de protagonistes la raison théorique qui permettrait d’élaborer un corpus de connaissances permettant de distinguer et de séparer le vrai du faux, c’est-à-dire l’indispensable à la vie en société (sans doute aussi l’indispensable à sa propre vie) du superflu soit compliquée. Vraisemblablement chacun sera confronté à un choix impossible comme Rolland Courbis l’a montré le 16 décembre sur BFM TV (VSD à 18h30) où il expliquait qu’il ne disposait d’aucune compétence pour rentrer dans ce débat autour du boycott de la coupe du monde parce qu’il ne s’intéresse qu’au foot ; il ajoutait que pour prendre une position vis-à-vis de ce débat il conviendrait d’attendre les Jeux Olympiques où tous les sports sont rassemblés, mais en attendant « là où il y a le sport numéro un de la planète qui s’appelle le football on ne boycotte pas ». Des militants écologistes auraient bien pu tenir des propos analogues concernant les problèmes écologiques et ceux relatifs aux droits humains. Il y a alors un rejet de toute constitution d’une connaissance de l’ensemble des données du débat coupant court à tout questionnement éthique. Dès lors comment la raison pratique pourrait-elle se construire considérant que raison théorique et raison pratique relèvent d'une seule et même raison qui se déploie dans deux ordres aux exigences et aux finalités différentes : l'ordre théorique et l'ordre pratique. La raison pratique, c’est-à-dire l’action, ne peut être que la mise en œuvre de la raison théorique et s’il y a conflit entre « les deux raisons » émerge le dilemme, le conflit intérieur dont seule la morale permet de trouver une issue. Comment éviter cet écueil sinon par la création d’une morale universelle comme le pensait Kant pour qui la morale doit être faite d'ordres et non de conseils et d'hésitations, toutefois il n’entendait pas qu’il n’y eut par le monde, dans l’humanité qu’une seule morale, pour Kant la morale universelle était une capacité possédée par tous les humains à réfléchir le bien et le mal. Aussi, elle doit reposer sur des impératifs catégoriques, sur des ordres applicables « sur-le-champ ». Mais voilà, l'homme tend naturellement au plaisir sensible et à l'amour de soi. La plupart de nos sentiments sont intéressés, c’est pourquoi « La volonté qui se règle sur la maxime du bonheur hésite entre ses mobiles sur ce qu'elle doit décider ». Cette hésitation est illustrée par le cas de Mathieu qui dénonce les atteintes au climat et aux droits humains tout en ne renonçant pas à satisfaire son plaisir footbalistique. Il aurait pu sortir de ce dilemme s’il y avait une morale universelle, au sens que lui donnait Kant qui affirmait l'universalité de la conscience morale : tout homme a une conscience qui est inhérente à son être, sachant que la conscience morale ne se détermine pas en fonction de ce qui est mais en fonction de ce qui doit être et dès lors elle implique dans l'existence de tout homme un certain nombre de devoirs. Ainsi, l'homme peut toujours refuser d'accomplir le mal. Sa nature même lui permet de rejeter les passions au profit de la loi morale. Seulement, « Dès que l'homme commence à dire : je, il fait apparaître partout son Moi bien-aimé et l'égoïsme progresse irrésistiblement, non pas à découvert, car l'égoïsme des autres lui fait obstacle, mais de façon dissimulée. » Ce qui amène de La Roche Foucauld à écrire que « Le moindre mélange avec les impulsions [de la sensibilité] compromet la force et la supériorité [de la raison fondant l'action morale], de même que le plus petit élément empirique, entrant comme condition dans une démonstration mathématique, en diminue et en détruit la valeur et la force ». C’est ainsi qu’on est amené à penser que la recherche du plaisir est totalement étrangère à la morale. Si on fonde la morale sur le plaisir, elle en exclut la vertu. Ce qui est conforté par Hume qui disait « qu’il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignure de son petit doigt ».On voit alors, s’agissant des deux premières catégories de protagonistes aux choix tranchés ou de la troisième aux choix plus fluctuants, que le malade ne veut pas guérir et que, par conséquent, les passions sont inguérissables. Seul un impératif, comme ça peut être le cas en religion ou d’une loi « juridique », peut entraîner l’homme à se conduire selon le bien : « Si l'homme était parfait, infini, il se conduirait spontanément selon le bien, sans avoir besoin d'un ordre, d'une obligation qui s'impose à lui ». Nous rentrons dès lors dans la sphère de la culture, pris dans un sens très large, qui rejoindrait la Raison selon Kant pour qui « Les fins suprêmes de la Raison forment le système de la Culture » (in Gilles Deleuze, La philosophie critique de Kant, PUF). C’est là, sans doute, un résumé rapide et superficiel de la démarche kantienne qui voulant (Jean Lacroix, Kant et le Kantisme, PUF) rendre la philosophie à la totalité de la raison la fait passer de la « science », qui ne relève que de l’entendement, à la « morale », où chez l’homme s’exprime le mieux la raison, « c’est donc poser le problème de la destinée totale de l’homme, de son projet radical : non pas seulement le problème des intentions qu’il a, mais l’Intention qu’il est. » pour Kant la culture représente le facteur clé dans le processus de développement des potentialités en l’homme en particulier et dans l’espèce humaine en général. L’humanité de l’homme se réunit avec le concept de développement qui manifeste un processus non linéaire par lequel les hommes sortent progressivement de ce que Kant appelait un « état de minorité », vers un état de majorité. Cela signifie toujours plus d’épanouissement ou de développement d’un potentiel chez l’homme : la culture est le développement des dispositions naturelles de l’homme. Kant voyait le véritable progrès de l'humanité dans sa volonté de se cultiver, de se civiliser et de se moraliser : « le perfectionnement de l'homme par le progrès de la culture », et Kant énonçait ici la loi universelle qui transcende les cultures particulières, que « l'homme est destiné par sa raison à être dans une forme de société avec d'autres hommes et à se cultiver, à se civiliser et à se moraliser dans la société par l'art et par les sciences ». Nous rejoignons alors le problème de l’éducation que Kant n’a pas omis d’évoquer en revenant sur la nécessité d’un impératif pour que l’homme se conduise selon le bien : « Dieu n'a pas besoin d'un tel impératif pour agir selon le bien. Il n'a pas, lui, une sensibilité égoïste et intéressée à dominer. Il ne risque pas de voir sa volonté infléchie par des désirs étrangers à la représentation de la loi. Mais ce n'est pas le cas pour l'homme dont la volonté est imparfaite », « L'homme est la seule créature qui doive être éduquée [.] La discipline transforme l'animalité en humanité » (E. Kant, Réflexion sur l'éducation). Comment peut fonctionner cette conception dans un monde où l’individualisme est devenu aussi primordial qu’essentiel et où l’éducation (permanente) est souvent supplantée, étouffée par le star-système « institution spécifique du grand capitalisme » (Edgar Morin, Les stars) pour soumettre les masses populaires.

Le développement de l’individualisme a profondément modifié la conception et le fonctionnement de ce qu’il est convenu d’appeler l'espace public et par conséquent le « bien commun ». Ontologiquement l’espace public faisait passer le collectif avant l’individuel ; ce n’est plus le cas aujourd’hui où on peut constater que les démocraties sont marquées « par une individualisation croissante des demandes des citoyens et par une prédominance des enjeux relevant de la vie privée dans l'espace public et dans l'ordre politique » (Anne Muxel, vie privée et vie publique, quelles frontières ?, Sciences Humaines, 353, décembre 2022). On comprendra dès lors qu’une morale universelle et qu’une conception du bien et du mal partagées par tous n’est plus qu’une illusion intellectuelle : autant d’humains, autant de conceptions différentes du bien et du mal référées chaque fois à la satisfaction d’intérêt ou de plaisir particuliers, et souvent intimes. Anne Muxel ne parle-t-elle pas de choix privés qui deviennent la base d’engagements publics.

On comprend alors que le football, le sport de haut niveau en général, prenne une dimension politique.

 

  1. Foot : objet politique.

Au-delà des valeurs « hygiénistes » et éducatives du sport sur lesquelles chacun est d’accord, que représente le football dans la société du XXIe siècle ?

Il faut distinguer, ce qui n’est jamais fait par les médias, le sport dans son essence – le plus souvent pratiqué par des amateurs — et le sport de « haut niveau » qui a le plus souvent un statut mercantile. Rares sont les sports de haut niveau qui échappent à la sphère du commerce ; certains qui sont encore pratiqués par des amateurs – il faudrait ici détailler jusqu’où un sportif peut être qualifié d’amateur- sont moins « mercantilisés » que d’autres comme le football qui nous intéresse ici.

Aujourd’hui, plus que jamais, le football est un objet de commerce : la vente des clubs, celle des joueurs, celle des droits télévisuels, cela étant sans compter sur le commerce périphérique : le commerce des produits dérivés, celui de l’image des joueurs. Dans ce système où la finance est reine la vente des billets pour les matchs n’est pas financièrement le plus important, sauf à vouloir incorporer dans l’analyse le système des ventes illégales. Ce « commerce » attire les convoitises des gens de la finance comme ont pu les montrer les péripéties à l’occasion des achats de clubs où il n’est pas rare de voir des clubs dans un pays possédé par un groupe financier d’un pays étranger, ce groupe financier étant souvent en lien étroit avec les autorités politiques du pays comme c’est le cas du Paris-Saint-Germain qui fut vendu en 2011 « à Qatar Sports Investments (QSI), une filiale du fonds souverain qatarien Qatar Investment Authority (QIA). L'homme d'affaires et ex-tennisman qatarien Nasser Al-Khelaïfi devient le président-directeur général du club et lui injecte des moyens financiers très importants qui permettent d'acheter des joueurs parmi les plus chers au monde, tels Neymar et Kylian Mbappé en 2017 ou Lionel Messi en 2021. Le PSG devient alors un club d'une dimension mondiale. » (Source Wikipédia consulté le 23 décembre 2022). On voit à travers le cas du PSG comment le football a affaire avec le monde politique, ce qui existe aussi à moindre échelle pour d’autres sports et de plus petits clubs. Nombreux sont les industriels, dans de petites villes, qui subventionnent un club sportif dans l’espoir de pouvoir conduire une campagne électorale pour accéder au siège de maire, ou simplement par manipulations fiscales. Cependant, plus le niveau du club est élevé plus le sport côtoie, fraye avec le monde de la finance, lui-même étant intimement lié à celui de la politique.

Dire, comme l’a fait le président Macron, qu’il ne faut pas politiser le sport est un non-sens, une hérésie, une malhonnêteté. Lui-même n’a-t-il pas utilisé la coupe du monde de football, comme les jeux olympiques de 2024, comme outils de sa communication politique et de gestion de ses relations internationales ? Outre ces agitations simiesques durant le match final à propos desquelles les historiens et les psychologues de la politique auront beaucoup à dire, ses discours laudateurs à propos de l’organisation de cette coupe du monde par le Qatar, portant aux nues les dirigeants du pays, n’ont-ils pas pour objectifs de nous attirer la bienveillance de ce fournisseur de gaz et, à moindre degré, de pétrole ?

Le sport, plus que lié à la politique, est un vecteur de négociation, un outil de gouvernance. Dès sa création la coupe du monde de football montrait cet accouplement. Elle eut lieu en Uruguay dans un contexte économique et politique qui marque, sans ambiguïté, le lien entre le football et la politique : « Sous l'impulsion de son président, le Français Jules Rimet, la FIFA décide de l'organisation d'une Coupe du monde le 28 mai 1928. Elle choisit l'Uruguay comme pays organisateur le 18 mai 1929 pour fêter le centenaire de l'indépendance du pays, mais aussi parce que le pays accepte de payer les frais de participation des équipes et de construire un nouveau stade, le stade Centenario, dans un contexte économique difficile : quelques mois plus tard a lieu le krach d'octobre 1929. » (Source Wikipédia consulté le 22 décembre 2022)

Le football ayant statut d’outil politique on comprendra que les gouvernants n’en limitent pas l’usage aux relations internationales mais qu’ils l’élèvent au rang de moyen de gouvernance de leur pays. Quoi de mieux qu’un sport qui rassemble derrière lui des masses de fanatiques pour manipuler les foules de citoyens, d’électeurs ? Car, comment gouverner une société éclatée en une myriade d’individus et d’individualités sinon en adhérant à un élément sinon fédérateur du moins rassembleur. Il y aurait beaucoup à dire sur le caractère de ce rassemblement, sur sa cohésion, sur sa profondeur ainsi que sur le sentiment des personnes qui s’y affilient plus ou moins profondément, plus ou moins occasionnellement, plus ou moins opportunément ; mais ce n’est guère l’objet de ce billet. En tout cas ceci explique qu’un président de la République, au caractère demeuré par bien des côtés adolescents, puisse aller s’agiter dans les tribunes d’un stade, se substituer à l’entraîneur dans les vestiaires ou encore d’aller distribuer des étreintes consolatrices à la star du PSG en négligeant les autres joueurs qui à coup sûr étaient dans la même détresse. On ne voit là qu’une tentative pour rassembler dans une sorte de communion passablement mystique les individualités qui composent la société. Tel phénomène social qui le star système avec ses fans et la gouvernance politique relève sans aucun doute de la niaiserie évoquée par Edgar Morin à propos du star système du cinéma (Les stars point Seuil) : « Niaiserie sans doute ! Niaiserie dont ce détournement le grave regard du sociologue, et voilà pourquoi l’on n’ose étudier les stars. Mais nous savants manquent de sérieux en refusant de traiter sérieusement la niaiserie. La niaiserie est aussi ce qu’il y a de plus profond en l’homme. Derrière le star system, il n’y a pas seulement la « stupidité » des fans, l’absence d’invention des cinéastes [Remplaçons cinéastes par politiciens], les combinaisons commerciales des producteurs. Il y a le cœur du monde. Il y a l’amour, autre niaiserie, autre humanité profonde… »

 

Dire comme le fit un ancien footballeur célèbre qu’il ne faut pas polémiquer ou, pire dans le domaine de la stupidité, qu’il ne faut pas politiser le football ferait de ce sport un objet social à part dans la société qui, entre autres, libérerait les individus, plus particulièrement les fanatiques, de tout sens moral dans la mesure où leur passion ne pourrait pas être discutée par d’autres. On se trouverait alors dans cette société décrite par Alain Renaut (L’ère de l’individu. Contribution à une histoire de la subjectivité) où la logique de l’individualisme vient saper les acquis de l’humanisme « en faisant disparaître toute autre valeur que l’affirmation du Moi ». Il n’y a alors plus ni morale ni raison, l’une et l’autre se constituant uniquement sur le jeu et ses règles. Le bien et le mal, le vrai et le faux n’existant qu’au regard du football, de son espace de construction aussi sportif que mercantile, la morale qui prévaut, loin d’être universelle, loin même d’être partagée collectivement par la société, est celle du football ; même là on peut voir qu’elle n’est pas forcément la même à Paris qu’à Buenos-Aires. Dans ce cadre-là, la passion peut sans doute tout excuser y compris de soutenir, ou du moins de fermer les yeux, sur l’aberration écologique que représente l’organisation de cette coupe du monde dans ce pays, sur l’injure faite aux droits humains en ce qui concerne les travailleurs immigrés employés notamment dans la construction des stades. Tout excuser dans la mesure où la morale n’est qu’individuelle et uniquement construite dans une ferveur religieuse vis-à-vis du football.

 


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