Football, prostitution et (non) droit
par Europeus
mardi 25 avril 2006
Comment l’idée a pu germer d’associer le football, qui est censé promouvoir les standards internationaux du sport que sont l’égalité, le respect mutuel et la non-discrimination, à la prostitution, qui est la négation même de la personne ? Norman Jakob, avocat du groupe d’investisseurs, n’y va pas par quatre chemins. L’explication, selon lui, est que « le foot et le sexe vont étonnamment bien ensemble » (journal Dagens Nyheter, du 11 novembre 2005). Mais est-ce que le foot et le crime organisé font aussi bon ménage ? Parce qu’en effet, ce que l’on ne dit pas, c’est que le crime organisé contrôle la prostitution et organise le trafic des êtres humains. Ainsi, certains réseaux criminels russes dirigent toute la chaîne du recrutement jusqu’à la mise sur le marché des prostituées à l’étranger. Les réseaux ukrainiens ont la mainmise sur une grande part des maisons closes à la frontière germano-polonaise (Cf. Richard Poulin, "Prostitution, crime organisé et marchandisation" in Revue Tiers Monde, Paris PUF, Vol. XLIV, n° 176, octobre-décembre 2003, pp. 735-769). Le marché de la prostitution permet la réalisation de profits gigantesques. Le seul acheminement de 300 000 femmes d’Europe de l’Est prostituées en Europe occidentale aurait généré un gain d’environ 1,5 milliard de dollars US au profit des filières mafieuses. Ces sommes sont blanchies et réinvesties, et contribuent au développement d’autres trafics, celui de la drogue, des armes, d’organes, etc.
Que pèse en réalité la pétition en huit langues lancée par la Coalition internationale contre la traite des femmes (http://catwepetition.ouvaton.org/php/index.php) et qui a réuni depuis le mois de février 2006 33 987 signatures ? Ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est une véritable mobilisation de tous les parlementaires de tous les pays d’Europe qui, rassemblés autour d’une conviction commune, fasse pression pour que soit mise en place à l’échelle européenne une véritable politique globale de lutte contre ce fléau. Cette conviction est simple. Elle tient en trois propositions :
1. La prostitution est une négation de la personne, de sa dignité, de son identité et de sa liberté.
2. Il n’y a pas de prostitution sans violence psychique ou physique portant gravement atteinte à l’intégrité de la personne.
3. Le corps humain n’est pas une valeur marchande.
Cette conviction, qui est l’expression d’un idéal à atteindre, ne s’oppose pas à ce que soit reconnue la demande de certaines prostituées à la reconnaissance d’un statut, d’autant que, faut-il le rappeler, le droit fiscal français considère la prostitution comme une profession libérale, et que la Cour d’appel de Paris a jugé, le 20 novembre 2000, que l’activité de prostitution est une activité professionnelle même si elle n’est pas dotée de statut et qu’elle doit s’acquitter de ses obligations de solidarité nationale. Le seul statut que l’on puisse envisager d’octroyer à celles et ceux qui, au nom d’une liberté individuelle, revendiquent le droit de tirer profit du commerce de leur corps, serait celui de profession libérale. Mais alors, ce serait à la condition expresse d’organiser un contrôle strict de la validité du consentement allégué, qui ne doit être ni simulé, ni contraint. Mais prétendre résoudre le problème des prostituées aux mains des réseaux par la mise en place d’un statut constitue une véritable injustice, parce que cela revient à légaliser l’exploitation de la prostitution d’autrui la plus sordide qui soit. En permettant aux prostituées d’opter pour le statut de salarié, l’Allemagne est tombée dans le piège et a, de fait, légalisé le proxénétisme, dans la mesure où de nombreux euros centers sont aux mains de trafiquants d’êtres humains. Formons l’espoir que l’émotion suscitée par la construction de ce méga Eros center à l’occasion de la Coupe du monde de football soit l’occasion de cette mobilisation des élus, sous la pression de la société civile.
Chantal Cutajar est directrice du Grasco (Groupe de recherches sur la criminalité organisée).