Football : trop de jeunes sont victimes du mirage professionnel
par Fergus
mercredi 20 juillet 2022
C’est un fait : de nombreux jeunes, notamment dans les milieux populaires de nos banlieues, rêvent de devenir des footballeurs professionnels. Dès lors, trop souvent poussés par des parents frustrés et/ou par des dirigeants irresponsables, ils délaissent l’enseignement traditionnel pour tout miser sur un avenir doré, crampons aux pieds sous les acclamations du public. La chute n’en est que plus dure pour la grande majorité d’entre eux...
Quiconque s’est trouvé, que ce soit comme entraîneur ou comme dirigeant, en charge de jeunes footballeurs dans un club de bon niveau – les bons joueurs restent rarement dans les petits clubs – sait à quel point une partie des gamins qui composent l’effectif est habitée de fantasmes. D’autant plus solidement ancrés, ces fantasmes, que les qualités techniques de ces joueurs sont reconnues, tant par leurs coéquipiers que par leurs adversaires. C’est notamment le cas de ceux qui, du fait de leurs prestations sur le terrain lors des compétitions ou des tournois de jeunes, sont repérés par des Conseillers techniques régionaux (CTR) et, de ce fait, appelés à effectuer des stages et à jouer dans les sélections de ligue (niveau régional). Des rassemblements le plus souvent supervisés par des recruteurs au service des 37 centres de formation professionnels agréés par la Fédération Française de Football.*
Certes, ces jeunes, s’ils rêvent depuis qu’ils ont chaussé leurs premiers crampons de gagner plus tard leur vie en jouant au football, ne croient pas sérieusement, à quelques rares exceptions près, pouvoir effectuer une brillante carrière à la Benzema, à la Griezmann ou à la MBappé. Mais beaucoup parmi eux, abusés par l’admiration de leurs coéquipiers, n’en sont pas moins persuadés d’avoir une chance d’accéder à un avenir professionnel synonyme de notoriété et d’aisance financière, à défaut de pouvoir intégrer le gotha international. Cette perspective – devenir célèbre en exerçant leur passion pour le football – est, on l’imagine sans mal, infiniment plus séduisante aux yeux de ces jeunes footballeurs qu’un banal parcours d’employé ou d’ouvrier, possiblement entrecoupé de périodes de chômage, comme il en existe tant d’exemples dans leur environnement social.
Dès lors, être admis dans un centre de formation professionnel où ils pourront bénéficier d’installations de grande qualité et côtoyer des célébrités du football agit sur beaucoup de ces jeunes comme une garantie que leur rêve va se réaliser. Et cela malgré les multiples mises en garde qui sont adressées en amont par les éducateurs les plus scrupuleux et par les parents les plus lucides à ces adolescents de 15 à 17 ans, très tôt engagés dans une voie dont ils ne mesurent pas les difficultés physiques et psychologiques. Mais surtout la majorité d’entre eux ont, en dépit des avertissements, beaucoup de mal à prendre conscience que leurs chances d’accéder à un statut professionnel sont très faibles, pour ne pas dire dérisoires. Les statistiques sont à cet égard impitoyables : sur 2 400 jeunes simultanément en centre de formation, seuls 80 signent chaque année un contrat professionnel !
Tout ne sera pas forcément perdu pour les autres, ceux qui, en dépit des efforts consentis en termes d’éloignement de leur famille, et malgré les dures séances d’entraînement ou de musculation, auront vu, au fil des mois, s’envoler leurs rêves de carrière professionnelle. Une partie d’entre eux – que l’on pourrait qualifier de « recalés de premier rang » – pourront en effet trouver leur place dans le football amateur et bien gagner leur vie dans le cadre d’un arrangement de travail passé entre une municipalité à vocation sportive, ou un entrepreneur partenaire, et la direction d’un club de football local. Quant aux autres, il ne leur restera que leurs illusions perdues ainsi que le souvenir des souffrances et des vexations assez fréquentes dans ce milieu. Faute d’avoir été formés à un métier, ceux-là seront confrontés aux galères sociales, bien loin de la vie dorée fantasmée au cours de leurs jeunes années.
Pourquoi tant d’adolescents partent-ils dans les centres de formation, compte tenu de la très faible probabilité de réussite ? Il y a bien sûr à la base la volonté de ces jeunes de tenter leur chance d’obtenir le contrat professionnel dont ils rêvent. Mais pas seulement. Nombre de parents – notamment les pères –, loin d’adopter une attitude de prudence, approuvent le choix de leurs gamins, et parfois les poussent dans cette voie. C’est également le cas de dirigeants et de Conseillers techniques de district** peu scrupuleux qui, par calcul, font miroiter aux parents des chances de réussite pourtant très aléatoires. Il faut en effet savoir que tout contrat professionnel signé entraîne le versement d’une « indemnité de préformation » plutôt juteuse aux clubs amateurs*** où ont évolué les néo-professionnels ainsi que le versement de subsides aux districts dont dépendent ces clubs amateurs.
Au final, ce sont chaque année des centaines de jeunes qui ressortent plus ou moins abîmés du système de sélection des élites du football. Abîmés parfois physiquement par des charges de travail musculaire auxquelles ils n’étaient pas préparés, ou atteints de burn out du fait des très fortes pressions subies. Mais surtout abîmés psychologiquement par un échec pourtant prévisible dans la très grande majorité des cas. Rentrés frustrés dans leurs foyers, ces jeunes, malgré les progrès réalisés depuis quelques années pour les tenir le plus près possible des programmes scolaires – c’est du moins ce qu’affirment les responsables fédéraux –, sont en général perdus pour des études susceptibles de les doter d’un « bon métier ». Un gâchis que les médias spécialisés n’évoquent jamais : il est tellement plus vendeur de mettre en lumière les exploits de ceux qui ont réussi !
* Les centres de formation professionnels recrutent également en organisant des stages ou des journées de détection ouverts à tous.
** Il existe 90 districts. Tous sont situés en France continentale, ni la Corse ni les DOM-TOM n’étant dotés de ce type de structure.
*** Une manne qui échappe aux clubs amateurs lorsque les joueurs ont, durant leur préadolescence, bénéficié de la préformation dispensée par l’Institut National du Football (INF) de Clairefontaine (Yvelines) avant de partir vers un club professionnel. Une sorte de voie royale par laquelle sont notamment passés Nicolas Anelka, Thierry Henry, William Gallas, Blaise Matuidi et Kylian MBappé.