France médiatique, France sans toits ni lois…

par Guillaume Boucard
mercredi 27 janvier 2010

Cette réunion de famille du 25 Janvier dernier était censée refléter la « parole des Français », le tout dans le cadre préfabriqué d’un domicile, elle laissera a contrario le goût amer de la salive de millions de pauvres et humiliés à qui l’on ne donne jamais…la parole.

Les plus pauvres, si nombreux, n’étaient pas parmi les invités, pour cette soirée entre France médiatique, et France réelle sans toits ni lois.

La France en temps de crise aura donc été rassemblée à la Maison Mère médiatique, l’invité de la famille, Président de la République, semblait à son aise, chez lui. Loin des yachts de ses amis milliardaires, ou de ceux, plus bobogues de gauche caviarde, de son épouse, sa chaise sera donc identique à celle de tous les convives. Il fallait faire peuple.
 
En second plan mural de sur impression « Français » s’affiche quasiment en permanence. Pour les « paroles paroles » précédant le qualificatif identitaire, inutile d’insister, Dalida a fait un tube hier. A l’image du sous-Castro Chavez du Vénézuéla envoyant des chèques en direct le soir à la télévision, ou de Berlusconi prenant des téléspectateurs (surtout des téléspectatrices, jeunes…) au téléphone sur les plateaux de ses médias, le Chef de l’Etat passait donc la soirée au chevet de français « moyens » pour l’essentiel du panel. TF1 garde son public cible.
Au signal du Monsieur Loyal le plus révolutionnaire qui soit, la conversation ne tarde pas à s’engager autour de la tablée, chacun livre son carnet de condoléances. Toute haute idée politique ou projet pour le pays ne seront pas de mise. L’heure est à la compassion, pour les solutions, on verra plus tard, de toute façon tout ne va pas si mal. Histoire de réaliser le bonheur présent, on évoque alors les temps rudes passés des « 35 heures forcées ». Faute de réel débat, taper sur l’opposition en lambeau suggère un soupçon de démocratie. En leur temps Giscard, Tonton, puis Jacques Chirac, se risquèrent pareillement au Spectacle politique. Cette fois ci, la dimension symbolique quelque peu sacrée de rigueur dans la gouvernance d’un pays, est reléguée sous la moquette. Que restera-t-il d‘un Président devenu tellement « citoyen » dans l’hypothèse d’un grave conflit ? Laissons une mouche voler, gouverner n’est plus prévoir à l’heure de la modernité.
 
Ainsi, le studio de télévision ne tarde pas à se changer en pièce…de Théâtre. Les personnages ? Le monsieur Loyal (surtout avec le Pouvoir, disent les vilaines langues) donnera la parole selon les levés de doigts dûment répétés. En maître d’école bon père de famille, il veillera sur la classe, aucun chahut ne devra être constaté. L’infantilisation est à son comble. Le statut de chef de l’Etat se trouve à la hauteur des chaises, certains y verront de la proximité, d’autres, du rabaissement. La seconde hypothèse est la plus sérieuse.
 
La première à rentrer sur scène est étudiante, au chômage. Elle se devra d’être sage comme une image (la finalité de ce genre d’émission de « com »). En rien représentative de tous ces congénères manifestant rituellement et bruyamment depuis des lustres, ce rôle lui est pourtant reconnu. Elle relate sa souffrance dans un gros plan lacrymal « autimaté ». La réponse s’inscrit dans le cadre plus général de la question, chacun trouve l’échappatoire qui lui convient. La complainte rencontre la compassion, aucune solution n’est avancée. Ayant remercié les syndicats d’un joli croisement triangulaire des mains, le Président ouvre bientôt le deuxième acte, précisément, avec un syndicaliste. Le cégétiste porte deux boucles d’oreilles et le blouson de cuir du chanteur Renaud dans les années soixante dix. Lui aussi représente assurément les légions ou confréries qui arpentent nos rues lors des manifestations convoquées pour entretenir l’illusion de la démocratie. Le « vilain » du jour protestera essentiellement…par un regard d’acier record dans sa durée et fixité muette. Le Chef ne manquera pas de s’engager à aller voir sans tarder le patron d’un Supermarché qui fait des misères à une employée, refusant à cette dernière les joies et délices des « heures sup ». Le Justicier est en scène. Puis le maître d’école prend un soin particulier à donner la parole à un invité d’origine étrangère porteur de « la famille la plus nombreuse » (chacun interprètera la précision comme il le souhaite…). Demandant sa titularisation comme au père Noël, notre professeur contractuel ne tardera pas à la recevoir de la main du Prince. Son regard déborde de reconnaissance, en gros plan. Le Loto n’est donc pas que pour les autres, la pluie mouille comme le soleil brille. Il y a des vilains et des gentils, du noir et du blanc…Jusque là le personnage principal appelait les convives par leur prénom. Soudain, un retraité entre en scène pour la déborder, un peu d’imprévu pointe à l’horizon. Son cœur est lourd de toute la cruauté du Capitalisme, de la Loi du plus fort, des vies qui se perdent à ne faire que se gagner…plus, ou moins. Au beau milieu du Spectacle, la vérité surgit, crue, douloureusement retenue toute une vie. Silence, on ne tourne plus. Chacun ressent un cœur qui tire sur sa corde, peut-être trop. Ce retraité pauvre ayant à rassembler toute son énergie pour retourner au turbin, est l’avenir qu’on nous annonce, comme un progrès. Quelques minutes auparavant, le Président disait trouver normal qu’un grand patron « gagne bien sa vie », recevant quelques milliers de retraites annuelles par mois. Au moins, on aura appelé ce retraité « monsieur », il le méritait, tellement. Il était peut-être le seul.
 
Si le Président semblait être à domicile, la réalité est toute autre, notamment Place des Vosges à Paris, à quelques mètres de la demeure de Monsieur Jack Lang…Bien plus qu’un « Jeudi noir », les années portant cette sombre couleur au niveau du logement, ne se comptent plus. Le confort paisible du studio devient un luxe. Le candidat devenu chef d’Etat promettait « qu’en deux ans il n’y aurait plus personne à la rue ». S’il fait chaud dans le grand théâtre de TF1, dehors les hivers restent rudes, le nombre des morts de la rue s’élève à la « hauteur » de l’audimat de ce 25 Janvier pour la première Chaîne… Autant de téléspectateurs d’un soir, que de pauvres toute l’année…
 
Il y a donc 600000 sans abris dans notre beau pays (Rapport 2009 de l’Insee sur la « dimension sanitaire de la question sociale »), 900000 individus n’ont pas de domicile personnel et logent « au jour le jour », 3,5 millions de personnes vivent temporairement dans des logements mobiles ou transitoires (caravanes, camionnettes…). Bref, 10 millions de personnes sont touchées par la crise du Logement (1 citoyen sur 6), 70% des Français peuvent prétendre au logement social, 50% de leur salaire est consacré au loyer…et 600000 étudiants sont mal ou pas logés en France. Précisément, depuis le 31 Octobre dernier, 13 étudiants rejoints par une vingtaine d’autres plus récemment « occupaient » Place des Vosges à Paris un immense Hôtel particulier de plus de 1000 m2, vide et inoccupé depuis…1960 ! Une décision de justice vient de prononcer leur expulsion. Une chose est sûre, la première intervenante de la reprise de « Au théâtre ce soir » sur TF1, étudiante au chômage, n’aura pu disposer que de quelques minutes…Sans doute aurait-il été plus judicieux d’inviter un des membres du Collectif Etudiant des « galériens du Logement ». hélas, tout le monde n’a pas ses entrées à TF1 lors des jeux du Cirque de la Démocratie…Le casting et la télé « réalité » auront battu une fois encore des records d’objectivité et de représentativité. Presque 9 millions de citoyens furent témoins de ce cirque de la "démocratie" directe, autant que le chiffre de la pauvreté constitutif de notre belle France de l’An 2010.
 
 
Guillaume Boucard

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