Gay et paix

par Philippe Bilger
lundi 9 mars 2009

On n’en finira donc jamais.

Le projet de loi sur le statut des beaux-parents a suscité une controverse intra gouvernementale entre Nadine Morano et Christine Boutin. Autant l’une cherche à se présenter comme une "fonceuse" prête à beaucoup accepter, autant l’autre campe, dans le domaine de la famille et du couple, sur une position clairement conservatrice défendue avec constance. J’ose dire qu’en ces temps de "progressisme" obligatoire, la seconde a plus de mérite à faire preuve de courage que la première approuvée par Valérie Pécresse et, ce qui n’est pas décisif, par David Douillet. 

Cette polémique à laquelle le président de la République a désiré mettre un terme en Conseil des ministres - Christine Boutin ne s’est pas sentie visée (Le Monde) - a trouvé aussi un prolongement à la fois intéressant et naturel avec l’intervention de Xavier Bertrand, Secrétaire général de l’UMP. Ce dernier, en approuvant le futur statut donné aux beaux-parents, a affirmé que celui-ci "ne rentre pas dans une logique de mariage homosexuel et d’adoption par les couples homosexuels" auxquels lui-même, d’ailleurs, - "ce ne sont pas mes convictions" - était hostile comme son parti (site du Nouvel Observateur).

Il y a une certaine ironie à pouvoir constater que l’UMP, grâce à son principal responsable, exprime une vision de l’homosexualité et de ses limites familiales et sociales qui n’est pas loin de celle exprimée hier par Christian Vanneste, longtemps traîné dans la boue ou peu soutenu par beaucoup de ses collègues, avant que la Cour de cassation, à travers lui, rende à la liberté d’expression son dû.

Ce n’est pas une mince affaire, il est vrai, que de résister, sur un plan général, au snobisme de l’éclatement et de la diversité. J’en veux pour preuve une tribune libre publiée récemment dans le Monde où une "chercheuse" sans doute émérite du CNRS reprochait au président de la République ses fautes de français mais émettait, en incidente, une observation étrange. Elle se disait fière, en tant que citoyenne, des divorces de Nicolas Sarkozy. Cette incongruité ne me serait jamais venue à l’esprit. Je suis très heureux à la suite de mon remariage mais je n’aurais jamais eu l’idée saugrenue de me déclarer "fier" de mon divorce ou de celui des autres, même des deux du président. Ou bien faut-il considérer que nous deviendrait insupportable une image intime de stabilité ? 

Le débat relancé sur l’homoparentalité et le mariage gay me semble tout à fait passionnant parce qu’il oblige chacun, partisans comme adversaires, à avancer avec prudence dans le maquis des sensations, sentiments et désirs personnels, à respecter la différence et à fuir la démagogie. Cette dernière consisterait, en particulier, à adhérer à l’évolution en tant que telle, aux minorités parce qu’elles auraient forcément raison, à l’exigence d’égalité même si elle est absurde. Oser, aujourd’hui, ne pas s’abandonner au fil du courant et maintenir que le mariage gay et l’adoption par des couples homosexuels ne sont pas souhaitables relèvent d’une audace intellectuelle presque inconsidérée. On veut prendre une balle dans l’esprit ?

Un film remarquable, Harvey Milk, avec Sean Penn au sommet de son talent, nous fait bien percevoir comme la réflexion sur l’homosexualité a changé de nature et donc divisé, au lieu de rassembler l’immensité des citoyens de bonne foi. Harvey Milk était cet homosexuel américain, le premier à être élu, sa sexualité affichée, au sein d’un conseil municipal. Se battant pour les droits des homosexuels et combattant les inadmissibles tentatives pour leur dénier l’humanité et la dignité que seuls les hétérosexuels et leurs familles auraient méritées. Ce pionnier, cet éclaireur, ce courageux est mort assassiné par un rival politique déchu et frustré. Ce que réclamait Harvey Milk, c’était l’égalité entre homosexuels et hétérosexuels, non pas en fonction de ce que les uns et les autres étaient dans leur identité singulière et sexuelle mais parce qu’ils appartenaient ensemble à la race humaine. Les droits qu’il revendiquait non seulement ne se trouvaient pas en contradiction avec les choix intimes qu’il cultivait mais prétendaient le placer lui, au contraire, au coeur de la communauté humaine. On ne serait pas contraint de lui répliquer aujourd’hui, s’il était des nôtres, "qu’un homosexuel ne peut pas" mais nous devrions admettre avec lui "qu’un être humain doit". On comprend parfaitement alors sa lutte contre la dérive qui voulait chasser les professeurs homosexuels, non pas pour les actes graves qu’ils auraient pu commettre, mais pour ce qu’ils étaient.

Le glissement est net qui a conduit de cette aspiration forcenée et légitime à l’humanité pour TOUS, quelle que soit leur sexualité, à une volonté entêtée et militante d’appropriation et d’imitation. On prétend imposer à la société et à ses représentants un modèle unique où le mariage et l’adoption seraient, dans la confusion, arrachés sous couvert d’un principe d’égalité, lui, totalement erratique puisque démenti par la réalité des pratiques et de leurs effets possibles. En dépit du fait que l’être humain homosexuel dispose enfin heureusement des mêmes droits d’homme et de femme que son frère hétérosexuel, il faudrait en plus qu’en sa qualité d’homosexuel, il soit aspiré vers une similitude naturellement et socialement absurde, peut-être risquée, simplement parce qu’il en a envie et que par définition un mouvement de réclamation ne s’arrête jamais. Il n’y aurait pas de honte à opposer à l’homosexualité les limites que sa dilection pour le même sexe implique. Lui reconnaître évidemment une humanité absolue n’impose à personne de lui offrir, par exemple, le cadeau du mariage que son être et son statut rendraient à la fois ridicule et vide de sens. Cette appétence pour l’officiel est surprenante de la part d’une minorité dont j’aurais pu penser qu’elle aurait d’autres ambitions que de "singer" les rites et les stéréotypes de l’hétérosexualité. Comme si celle-ci était, demeurait un but à atteindre, au moins dans ses objectifs. Une référence, tout en étant récusée dans les pratiques de l’amour. Peut-être faudrait-il choisir ? Comme j’approuve Dominique Fernandez qui, homosexuel proclamé au point d’en voir partout, a toujours associé son être intime à la solitude, à la dissidence et à la marge en regrettant, chez les autres, cette course vers le commun ! Il y a d’autre moyen que le mariage pour se fondre dans la masse puisque je ne méconnais pas que pour des homosexuels moins assurés d’eux-mêmes que ce grand écrivain, le désir d’intégration puisse être vif.

Au fond, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il y a une force presque irrésistible de la dissidence choisie ou fatale sur la norme, il y a un impérialisme de la minorité parce que celle-ci suscite considération et protection, surenchère du coeur et de l’esprit, il est douloureux de sembler mettre le holà à des évolutions que l’absence de volonté laisse faire, que l’autorité politique, trop souvent, avalise pour ne pas donner l’impression d’être dépassée.

Gay et paix ? Sans doute jamais mais aucune raison, pourtant, d’avoir mauvaise conscience.


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