Génération sacrifiée

par C’est Nabum
samedi 14 mars 2015

Ce que dit ce curieux débat !

Victimes consentantes ?

Le tir de barrage contre la chanson des Enfoirés prouve qu'il est encore possible de déclencher une tempête dans un verre d'eau avec des bonnes intentions et une mauvaise réalisation. Car, au fait, que reproche-t-on à ce texte, si ce n'est de présenter une situation qui n'est pas acceptable, en mettant dos à dos deux générations qui s'opposent ?

Est-il légitime de dénoncer le sort qui est fait à la génération des trentenaires ? Bien sûr ! Comment accepter cette impossible entrée dans la vie active, cette précarité qui dure au delà du supportable, ces salaires de misère qui leur sont proposés sans espoir de progression ? Nous observons tout ça ; nous déplorons que nos enfants connaissent une situation moins favorable que la nôtre et nous demeurons impuissants à changer le cours des choses.

Oui, il y a eu un formidable recul l'espace des trente odieuses. Nous sommes les témoins passifs du plus grand recul social des temps modernes. Nos parents avaient profité de l'expansion des trente glorieuses ; nous avons été préservés, vaille que vaille, durant toutes ces années de crise qui touchèrent, prioritairement, ceux qui voulaient entrer dans la vie active.

Nous n'avons pas vu que nous entrions dans une époque insidieuse : une période où la misère des autres ne peut plus nous émouvoir si nous voulons conserver nos petits acquis miséreux. Notre génération a fait le choix immonde de fermer les yeux, d'accepter pour les autres ce qu'elle ne saurait tolérer pour elle-même. L'entendre en chanson déplaît et c'est bien normal.

Mais notre égoïsme ne s'est-il pas nourri de l'indifférence supposée des victimes ? Ces jeunes qui baissent la tête et ne lèvent plus jamais le poing, qui cherchent dans des dérives artificielles ce bonheur que notre système leur interdit, sont-ils des moutons bien faciles à tondre ? On peut se le demander quand on constate à quel point ils tournent le dos aux idéologies, acceptent le modèle dominant, se précipitent dans une consommation effrénée, en totale contradiction avec leurs moyens réels.

La chanson dresse un constat assez voisin de ce que j'essaie maladroitement d'expliquer. Les uns font semblant de ne pas voir la lente érosion du pouvoir d'achat, la paupérisation réservée aux jeunes et aux exclus, l'absence de perspectives crédibles et la ruine d'une nation aux mains d'une caste politicienne vendue à un libéralisme démoniaque. Les autres se grisent d'illusions, de paradis artificiels, de modèles d'une incroyable futilité. Ils supportent sans révolte, pensant un jour être des rares qui tireront leur épingle du jeu.

La fraternité a explosé en vol. Il n'y a plus de lien social, plus de solidarité, plus de passerelles entre les générations et les groupes sociaux. Alors, ce que nous refusons de voir, ce que nous ne voulons pas regarder en face, une chanson le met en scène au nom d'une des rares entreprises qui a dépassé, jusqu'alors, cette inexorable régression. Les Restos du Cœur était l'ultime expression du refus de la fatalité et tout s'effondre sous nos yeux atterrés.

Ce n'est ni un dérapage ni une fausse note ; ce n'est pas plus une méprise ou une incompréhension. C'est bel et bien la découverte que nous vivons dans des bulles étanches, que nous avons brisé le contrat social, que plus rien ne tient dans ce système qui dresse, oppose, déchire chaque membre d'une communauté nationale, transformée en jungle individuelle.

Les Enfoirés n'ont jamais aussi bien mérité leur nom. Ils déchirent la belle harmonie de façade pour annoncer à tous que le bonheur des uns se construit sur le malheur des autres. Il n'y a pas à s'indigner d'une vérité incontestable qui n'est que la pâle imitation de ce qui se passe à l'échelle du globe. Faut-il vous rappeler que 1 % de la population détient 50 % des richesses et que personne n'y trouve à redire ?

Monsieur Gattaz et tous les prévaricateurs de son espèce peuvent se frotter les mains. Cette bataille dans un verre d'eau où nous nous noyons tous, ne fait que favoriser l'immense dessein de cette caste inhumaine et cupide. Dresser les gens les uns contre les autres afin de continuer à s'enrichir toujours plus sur les ruines de la conscience collective.

Consciencieusement leur.


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