Gérard
par Voris : compte fermé
mercredi 3 janvier 2007
Comme nous sommes en période de fêtes, je vais vous raconter deux histoires. L’une est triste, l’autre est réconfortante et pleine d’espoir. La première que je vous dirai en chanson est imaginée : « Gérard et la Fée d’hiver ». La seconde est une histoire tout ce qu’il y a de vrai ; elle est racontée par Le Figaro dans son édition du 28 décembre 2006. C’est l’histoire de Gérard le SDF qui a rencontré la fée Angela. Oui, dans les deux cas, le protagoniste se prénomme Gérard, et ce n’est pas sans rapport avec Gérard Jugnot, comme nous le verrons.
Gérard et la fée d’hiver
Quand le boss a fermé l’usine,
Qu’il a emporté les machines
Et qu’il est parti pour la Chine,
Que faisait la fée Mélusine ?
Gérard a vu pleurer ses gosses.
Chaque jour il roulait sa bosse.
Le fils du boss roulait carrosse.
Que faisait la fée Carabosse ?
Quand on vient dans le mois courant
Couper son gaz et son courant,
Il se demande où est passée
La bonne fée Electricité.
Pas de chance avec la bougie
Il a mis l’feu à son tapis.
Tout a brûlé, tout a péri.
Que faisait la fée du logis ?
Quand tous les gens sur lui s’acharnent,
Les assureurs et les banquiers,
Les créanciers et les huissiers,
Où donc était la fée Morgane ?
Pas de chance, dans les faits divers,
Demain son nom s’ra affiché.
Parce qu’elle l’aura pas réchauffé,
La fée, la fée, la fée d’hiver.
Voilà une triste fin. Mais l’histoire connaît une variante, un "happy end" comme on dit au cinéma, que voici.
Gérard et la fée Angela
Cela pourrait s’appeler « Viens chez moi : j’habite chez une copine », ou bien "Une époque formidable", comme dit le film de Gérard Jugnot dans lequel celui-ci tient aussi le rôle de Berthier, ex-cadre supérieur chez les SDF. Un film formidable d’ailleurs. Mais revenons à notre Gérard à nous. Lui, c’est une "fille formidable » qu’il a trouvée sur sa route. Un matin de juillet, dans le métro, son ange est là : c’est Angela ! Non, ce n’est pas une fiction, de celles que l’on nous déverse à la télévision avec la gentille Mimie Mathy. Il s’agit bien de la réalité et, pour Gérard, d’une toute nouvelle réalité qui s’offre à lui après vingt-deux ans de rue, d’alcool et de galères en tous genres.
Angela a l’âge d’être la fille de Gérard. Lui a cinquante-et-un ans, elle en a vingt-quatre. Pendant trois mois, cette étudiante a hébergé Gérard chez elle et l’a épaulé. Par solidarité simplement. Cela pouvait semblé risqué. On se souvient du film Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir où Boudu, clochard parisien, se jette à la Seine puis est repêché par un libraire dans la famille duquel il sèmera l’anarchie. Pourquoi je parle de ce film ? Parce que Gérard Jugnot en a réalisé une version récente où il fait tandem avec un autre Gérard : Depardieu. Mais surtout parce que notre Gérard SDF fut, lui, sauvé par Angela des eaux-de-vie. Je veux dire : il a cessé de boire.
Non seulement il ne boit plus, mais la malédiction associée au personnage de Boudu n’a pas détruit une famille. Bien au contraire. Gérard a renoué avec son fils handicapé de vingt-sept ans. Ce jour-là, il racontait son histoire au journaliste du Figaro en accompagnant son fiston à la gare, avec toute la fierté d’un père pour son enfant. Avec toute la fierté aussi d’avoir remporté une victoire décisive sur les pires aléas de l’existence.
Pour conclure cette histoire, qui mieux que Charlie Chaplin dans Les Lumières de la ville ? Le vagabond Charlot ne peut être vu par la jeune fleuriste -qui est aveugle- et il n’a que sa voix pour communiquer, mais cette voix n’est pas entendue par le spectateur car le film est muet. N’y voit-on pas la symbolique de notre époque où, jusqu’aux opérations récentes, (Une tente pour les SDF, puis l’action de l’association des Enfants de Don Quichotte) les SDF étaient comme invisibles à nos yeux, je veux dire invisibles par banalisation et réflexe conditionné de détournement de notre regard. Leurs voix n’étaient-elles pas aussi muettes que celle de Charlot ? Les oreilles des politiques et des décideurs ne les entendaient pas.
Retour à Gérard : il dit, en parlant de la jeune fille qui l’a sauvé : « Elle m’a filé une lumière dans ma tête. » Pour Gérard, le film de sa vie s’appellera donc "Les lumières de la vie". Aujourd’hui, Gérard vit à La Colombe, là encore tout un symbole (il s’agit d’un foyer de Boulogne-Billancourt). Il espère obtenir un logement indépendant. La demande qu’il a adressée à la mairie en octobre n’obtient pas pour l’instant de réponse. Espérons qu’elle aboutira avant que... Mais restons optimistes, et souhaitons bonne route à Gérard !