Grattes ciels à Paris : Trois petites tours et puis s’en vont ?

par Ouiza ABDAT
samedi 27 décembre 2008

La bataille fait actuellement rage, à Paris, entre les tenants et les opposants des immeubles de grande hauteur.
Selon les sondages avancés par les verts, qui siègent au conseil municipal de Paris, 67% des Parisiens y seraient opposés et le parti des écologistes préconise qu’un référendum soit organisé.

La division qui existe au sein de la population et chez les politiques, se vérifie également chez les Architectes.
Pourquoi les tours divisent-elles ? Qu’est-ce qui fonde l’attrait ou le rejet, exprimé ?

Ce qui peut être versé à l’actif de ces immeubles hauts :
Incontestablement ce sont de magnifiques objets qui racontent toute la suprématie de l’homme sur la technique. Pour preuve, les grandes capitales, en font l’emblème de leur modernité.
A ce stade, on pourrait ouvrir une parenthèse et permettre de s’interroger sur cette question de la modernité :
Si la modernité est le pendant de l’innovation technique, à cet égard les Tours sont restées, depuis les premières édifiées à Chicago ou à New York dans les années1870 un signe de modernité.
Tout d’abord parce qu’elles ont rompu avec l’immeuble traditionnel, en introduisant l’acier dans les structures et le verre dans les façades, les libérant ainsi de toute portée. (Question N°1 : Modernité =Rupture ?)

En construisant de plus en plus haut, en propulsant les tours vers les nuages, c’est tout un ensemble d’équipements technique qui est révolutionné et des innovations innombrables, qui sont mises au point : Ascenseurs, systèmes d’accrochage des façades, natures des vitrages, équipements de sécurité…. la liste est longue.

Sur le plan de l’architecture et de l’ingénierie, les cylindres ou les paraléllépipède de verre, laissent de plus en plus place à des formes plastiques plus sensuelles, qui ne sont pas dénuées d’attrait. Les sections rétrécissent au profit de la hauteur, pour augmenter l’élancement, et obtenir des profils en lames de rasoir.

Mais il ne faut perdre de vue, que les Tours ont été envisagées pour répondre à des contraintes de rentabilité foncière. (Question N°2 : Modernité = Rentabilité ?)
Avec l’accroissement des préoccupations environnementales, cet aspect tend à prendre une signification plus politiquement correcte ; celle de l’économie du sol.

L’argument mis en avant, est qu’en s’étendant, les villes vont consommer davantage de territoire, développer les réseaux routiers, polluer davantage, au détriment des forêts et des écosystèmes.

La réponse de la densification ou de la surdensification, peut apparaître comme une réponse possible voire recevable.
Le caractère résolument écologique ou prétendu comme tel, est presque étayé avec des projets de tours dites écologiques, parce qu’elles intègrent des dispositifs pour répondre aux économies d’énergies (éoliennes, capteurs solaires, récupération des eaux pluviales etc ou qu’elles font la part belle à la végétalisation.)

Pourquoi les tours font-elles peur ?
La peur ou l’insécurité sont les arguments négatifs récurrents, qui grèvent leur passif.
Les réponses filmographiques surgissent dans l’imaginaire collectif : la Tour qui se transforme en piège de cristal, se décline à loisir .
Plus grave et plus réaliste, le drame du 11 Septembre 2001, a mis en exergue des failles dans la sécurité (étanchéïté aux fumées des cages d’escaliers, notamment) qui ont contribué à aggraver le bilan des pertes humaines.

La sécurité est un des points les plus critiques : en cas de problème important, la tour peut se transformer en une fourmillière, de laquelle il peut être très difficile de s’échapper.

Autres inconforts ou angoisses évoqués : les ombres portées ; les effets « Venturi » en pied d’immeuble ; les temps de « voyage » jugés trop longs, dans les ascenseurs ; peut-on ouvrir sa fenêtre si on habite au 15 ème étage avec la même désinvolture que si on habite au 7ème étage ?
Peut-on faire pousser des plantes sur son balcon au 20ème étage, quand on connaît les effets dépressionnaires ?
La perte de convivialité et de notion de voisinage : trop de monde, on ne se reconnaît pas entre voisins.

Les risques d’incendie quant à eux, sont plutôt bien cadrés, par la réglementation en France :
Celle qui s’applique à ces immeubles, dits de grande hauteur (IGH) est inspirée de celle des bâtiments de la marine :
Dans un IGH, en cas de problème, seul le compartiment (un ou deux étages, suivant la surface par niveau) est évacué dans un premier temps.
Et si l’ampleur du sinistre impose l’évacuation complète des effectifs (les occupants), le bâtiment ainsi que ses principaux organes de sécurité, doivent résister au feu pendant 2heures.
Ce délai étant jugé largement suffisant pour évacuer la totalité de l’immeuble.

On touche ici, un problème crucial qui est la nécessaire fiabilité des dispositifs associés à la sécurité : celle-ci représente un coût d’investissement mais surtout un coût d’exploitation.
La question qui va se poser, dans ce débat du pour ou contre, est celle de l’information des futurs occupants sur le volume des charges (30 à 50 % plus élevées que dans un immeuble standard) sachant qu’au fil du temps, le vieillissement des équipements va encore alourdir cette ardoise !

Il reste une dernière question de poids qui mérite d’être abordée :
En France la réglementation IGH, s’applique pour les bureaux à partir de 28m (dernier plancher à + de 28m) alors que pour le logement, elle n’est appliquée qu’à partir de 50m.
Ce paradoxe, dont on comprend bien les incidences économiques, n’occulte pas la disparité entre les exigences de sécurité :
Cette disparité réglementaire, peut-elle, doit –elle être perpétuée dans le futur ?

Autre question : Le modèle de la Défense, traduit peut-être l’attrait du monde de l’Entreprise (institutionnelle souvent) pour les tours de bureaux. Mais est-ce que cela fait pour autant de la Défense, un quartier où il fait bon vivre ?

La juxtaposition de beaux objets architecturaux ne fait pas la ville et
l’alchimie du BIEN VIVRE ENSEMBLE n’est ni question de verticalité, ni d’horizontalité, mais plutôt, de prise en compte des besoins de la population.
Et si on abordait la ville sous l’angle du bonheur, plutôt que celui de la hauteur ?


Ouiza Abdat architecte

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