Grève scolaire parisienne : en un combat douteux ?
par J-F LAUNAY
jeudi 24 janvier 2013
Les enseignants du 1er degré sans doute les plus favorisés de France, ceux de Paris, se sont lancés dans une grève anti… anti quoi et anti qui d’ailleurs ? Anti la fin d’une décision arbitraire de Xavier Darcos ? Donc anti-Peillon qui veut revenir à une semaine de quatre jours et demi ? Anti Mairie de Paris qui veut mettre en œuvre cette mesure dès la prochaine rentrée ? Peut-on rappeler à ces enseignants qu’ils sont sans doute les plus privilégiés de France, puisque cette Mairie qu’ils attaquent leur offre ses intervenants en EPS< et dans les activités artistiques !
Dès qu’il est question d’enseignement, toutes les âneries sont autorisées. Ainsi a-t-on pu entendre, le procureur de service* (Bruno Denez ?) asséner au Ministre Peillon, invité du Grand journal (21/01/13), quelques stupidités. Il faudra ajouter un car pour la 5e demi-journée, ignorant que, sauf exceptions, les enfants du primaire ne sont pas astreints aux transports scolaires ; et d’ajouter que cette réforme allait accroître les inégalités car, alors que les élèves des villes les plus riches pourront bénéficier de gymnases, théâtres, bibliothèques et piscine, à la campagne ils se contenteront du « Ballon prisonnier » ! En quoi, le passage de 4 jours à 4 jours et demi joue sur cette situation, lui seul le sait… peut-être.
La ville de Paris, déjà très impliquée dans les écoles avec ses intervenants spécialisés en EPS et activités artistiques, qui allègent significativement (3h hebdo.) la charge de travail des enseignants parisiens, ville qui soutient à fond cette réforme ne pouvait pas faire autrement que de la mettre en œuvre dès la rentrée. D’autant que, dans le réseau des villes éducatrices, elle a participé à l’appel de Bobigny.
Bref rappel, de 1992 à 2008, la semaine de travail sur 4 jours et demi des élèves de primaire était de 26 h. C’est Xavier Darcos qui arbitrairement a décrété que le semaine ne serait plus que de 4 jours avec 24 h de classe à la rentrée 2008, mais, en principe, les heures libérées** pour les enseignants devaient servir notamment à des actions vers les élèves en difficultés. Luc Chatel, pas convaincu par cette contre-réforme qui fait de l’écolier français celui qui a la journée la plus chargée, mais l’année la plus courte, avait provoqué une conférence sur les rythmes scolaires, présidée par Christian Forestier.
Un procès d’intention
Qu’il y ait des difficultés dans la mise en œuvre du décret est indéniable. Mais pour les communes : elles devront faire face à un temps de pause méridienne parfois accru (90 mn, minimum), une 5e journée de cantine, et surtout la prise en charge d’activités périscolaires en fin de journée. S’y ajoute, dans les zones de désertification démographique où, faute d’élèves en nombre suffisant pour maintenir une école communale, on est obligé de les regrouper dans un bourg-centre, la question du transport. Les syndicats estiment que la ville de Paris ne sera pas prête à mettre en œuvre un service périscolaire de qualité. Procès d’intention évident, car à Paris, comme dans la plupart des communes décidées à appuyer cette réforme, tout n’est évidemment pas réglé au 22 janvier.
Pour les enseignants, ce serait un retour au statu quo ante Darcos. Un point peut poser problème, la 5e demi-journée aura lieu le plus souvent le mercredi matin et non le samedi. Dans les grandes déclarations qui justifient cette grève, aucun syndicat n’ose dire qu’il défend les 4 jours Darcos. Si l’on en croit Le Café Pédagogique " On ne veut pas passer à côté d'une réelle transformation de l'école", affirmait Jérôme Lambert, secrétaire général du Snuipp parisien. "La vraie priorité ce sont les méthodes pédagogiques, les contenus d'enseignement". Le Snuipp estime que le projet ministériel "dégrade les conditions d'apprentissage des élèves et les conditions de travail des enseignants" et qu'il "porte en germe la territorialisation du service public d'éducation". "Ce projet est une attaque frontale contre leurs statuts", estime Sud.
Le jeu qui consiste à dire que les questions de fond ne sont pas celle-là est classique. Qu’il faille aborder méthodes et contenus ne dispense pas de mettre fin à une semaine scolaire aberrante. Affirmer que cela dégrade les conditions d’apprentissage veut dire que la semaine de 4 jours est plus propice aux élèves que celle de 4 jours et demi avec journée allégée. Quant à la territorialisation, le SNUIPP parisien s’en accommode bien et SUD Paris ne juge pas les statuts mis en cause par l’apport des enseignants de la ville de Paris. Il se peut même que ce soit le fond de l’affaire : la crainte que la municipalité redéploye ses moyens et utilise ses enseignants pour le périscolaire obligeant les profs des écoles de Paris à prendre directement en charge EPS et activités artistiques, ce que font tous leurs collègues sur le reste du… territoire !
SUD et SNUIIPP ont-ils le courage de dire clairement qu’ils considèrent le décret Darcos comme un droit acquis ? C’est leur droit. Mais qu’ils ne fassent pas de procès d’intention à la ville de Paris et qu’ils ne mettent pas en avant l’intérêt des élèves pour masquer une grève corporatiste.
* Dans une savante leçon de calcul, il a affirmé que les 4 j ½ allait coûter 150 € par élève et qu’il y a 6 500 000 élèves, donc un coût total de 600 millions d’€ soit une légère erreur de 375 millions d’euros !
** Le service des personnels enseignants du premier degré s'organise en vingt-quatre heures hebdomadaires d'enseignement à tous les élèves et trois heures hebdomadaires en moyenne annuelle, soit cent-huit heures annuelles pour l'aide personnalisée individuelle et/ou en petits groupes, plus des tâches diverses.