Gros temps pour la viande
par jjwaDal
vendredi 5 janvier 2018
Lordon a coutûme de dire que « la force du capitalisme, c'est l'abstraction et l'éloignement ». Il veut dire par là que le cerveau humain n'est pas équipé naturellement de la capacité à appréhender des phénomènes complexes et distants.
Difficile de culpabiliser pour des actes dont on ne peut percevoir les conséquences que nous réprouverions si nous pouvions les comprendre et surtout les voir à l'oeuvre.
Il y a plus de 30 ans que j'essaie à l'occasion de faire passer un message simple qui est que notre régime alimentaire occidental récent est absolument insoutenable à échelle globale, pas essentiellement pour des raisons morales, mais pour des raisons physiques, la Terre n'étant simplement pas assez grande.
L'actualité récente apporte des évolutions très intéressantes dans deux directions différentes mais pouvant aboutir au même résultat : une humanité nourrie et un environnement (relativement) préservé.
Bien avant cet extrême, si nous devons utiliser la totalité des terres où des végétaux peuvent pousser pour notre élevage et nos cultures, implicitement on admet qu'il n'y a plus pour l'ensemble des autres espèces que les déserts chauds ou froids et donc qu'on programme dans notre assiette un écocide de grande ampleur. Le « marché » est là pour répondre aux demandes des individus pas pour se soucier des loups, renards, belettes, éléphants, grenouilles.
Si le produit de notre empreinte individuelle par nos effectifs (actuel et à venir) approche de cette nouvelle limite c'est clairement un choix de civilisation. Rayer de la carte la quasi totalité des grandes espèces pour pouvoir manger de la viande à volonté a minima nécessiterait que les acteurs soient conscients des conséquences de leur mode de vie.
Une étude récente montre par ex que sur la surface agricole US on peut soit nourrir 402 millions d'américains avec leurs actuel mode alimentaire ou 807 millions de végétariens. Un facteur 2 ne semble pas énorme, mais il est dû au fait qu'ils disposent de vastes surfaces éligibles à l'élevage extensif mais pas aux cultures intensives.
Au-delà de leur population ils peuvent donc nourrir soit 80 millions de gens se nourrissant comme eux ou quasiment 500 millions de végétariens (lacto-végétariens). Difficile quand on mange un hamburger chez Mc Donald au lieu de croquer une galette de lentilles d'imaginer l'ampleur des conséquences de préférences culturelles individuelles appliquées à vaste échelle. Nous sommes omnivores signifie bien que nous pouvons si nous le voulons manger de tout, pas que nous le devons.
Assez curieusement, ceux se préoccupant de la démographie des autres (qui est pour l'essentiel pliée avec un pic de 10/11 milliard peu évitable) et comment nous allons les nourrir ignorent ces chiffres particulièrement accusateurs pour notre mode de vie.
Difficile encore devant sa bavette d'imaginer qu'avec la même teneur en protéines qu'un plat de haricots elle a nécessité (selon une meta analyse US) cent fois plus de surface, soit 100 m2 contre 1m2 pour 100gr. La ligne de défense consistant à dire que les protéines ne sont pas équivalentes est insoutenable. Personne ne fait un repas d'haricots unique et avec un morceau de pain et un laitage au cours du repas, la complémentation des acides aminés lui donne quasiment la même valeur protéique (les excès des uns compensant les déficiences des autres pour redonner les blocs de base utiles pour construire nos protéines).
Plus de surface, mais aussi bien plus d'eau, d'engrais (pour le hors sol), d'énergie (transport, réfrigération), produits phytosanitaires balancés par milliers de tonnes dans la nature, à l'examen attentif le bilan de l'alimentation carnée telle que nous la pratiquons est un désastre. Accessoirement 15% de nos émissions de CO2 (celles qui font reverdir les déserts Atacama et Vallée de la mort récemment, toute la planète en gros) viennent de l'élevage (notre alimentation carnée), mais on ne fait pas d'omelette sans casser d'oeuf.
Raison pour laquelle commence à fleurir des études recommandant la taxation de la viande comme le tabac ou les carburants pour essayer d'endiguer la banalisation d'un mode de vie dont les conséquences ont été cachées si longtemps.
Des pays comme le Danemark, la Suède et même l'allemagne on déjà le sujet d'une taxation de la viande à l'étude. Elle est discutée, car elle frapperait asymétriquement en fonction du pouvoir d'achat, mais des études ont déjà montré que ceux qui bénéficierait le plus financièrement d'une alimentation très peu voire pas carnée sont ceux consommant le plus de viande à savoir les catégories socio professionnelles les moins éduquées . Les végétariens en 2017 sont plutôt dans les CSP aisées.
Et puis, si on veut que la mesure soit perceptible il faut viser le maximum de monde et il y a bien plus de revenus modestes que de milliardaires.
La pédagogie serait préférable, mais comme on le sait le temps de convaincre une masse critique, la plus grande catastrophe écologique depuis l'évènement C/T (l'impact qui a vu les derniers dinosaures disparaître) pourrait avoir lieu. On déboise la forêt amazonienne, qui doit avoir quelques millions d'années, pour faire de la viande. Si on change d'avis dans un siècle il nous faudra attendre des millions d'années pour revenir à l'état initial. Personne n'est habitué à ce genre de réflexions intégrées à ses choix quotidiens...
Le problème est tellement sérieux qu'une autre piste est très activement explorée, à savoir la viande de culture à partir de cellules souches musculaires. On sait fabriquer l'équivalent d'un steak haché en boîte de Pétri et le coût est encore selon les entreprises du secteur entre 10 fois et 2/3 fois plus cher que la viande issue d'un animal vivant.
Les Chinois sont particulièrement intéressés car la demande chinoise croissante en viande est une catastrophe prévisiblement ingérable. Ils sont aux taquets pour nourrir leur population qui jusqu'ici connaissait une alimentation peu carnée et ils savent leurs réserves en eau fossile déclinante. Leur production agricole va baisser quand elle devrait exploser, un dilemme que la viande de culture résoudrait en partie.
Pour ceux étudiant le secteur et y investissant il semble acquis que la parité de prix devrait être atteinte d'ici quelques années à 10 ans.
Personne n'imaginait réellement au moment du tournage de « Soleil Vert » que techniquement nous n'avons pas besoin de cadavres humains pour le « Soylent green » et que des cellules souches en culture nous donneraient du steak d'homme...
Taxation, viande de culture, les deux, personne ne connaît l'avenir à relatif court terme, mais en coulisse tout indique que notre attitude collective face à la consommation de viande animale devrait évoluer (on l'espère dans le bon sens) dans un avenir pas très lointain.
Accessoirement si nous devions collectivement supprimer le bétail pour notre alimentation (tous végétariens ou alimentation très végétalisées et viande de culture),on pourrait laisser les océans se réempoissonner (il y a des projets de poisson "pané" de culture ) et nourrir la planète en n'utilisant que l'agrobiologie. Une utopie, mais qui illustre que le monde est exactement ce que nous en avons fait, ce que nous en faisons, ce que nous en ferons...
https://www.nextbigfuture.com/?s=lab+meat