Guilluy décrypte la fracture hexagonale

par Laurent Herblay
mercredi 9 août 2017

« La France périphérique  » est définitivement un livre de référence sur la crise politique de notre pays, mais aussi de tous les grands pays occidentaux. Christophe Guilluy y décrypte d’une manière lumineuse les ressorts de cette crise, entre profondes inégalités territoriales et représentation totalement déformée de la réalité sociale de notre pays qui nous enferme dans une impasse.

 

Le géographe de la lutte des classes du 21ème siècle
 
Dans notre imaginaire, il y a des classes populaires, des classes moyennes, et des classes supérieures, dont une frange très riche. Et il y a les villes et la campagne. Mais Christophe Guilluy remet en cause notre vision traditionnelle du pays. Pour lui, les classes moyennes disparaissent, du fait d’une polarisation économique qui ne laisse que des classes supérieures (les cadre supérieurs, passés de 7,6 à 15,8% de la population active de 1982 à 2010) et des classes populaires mal représentées : « le marché de l’emploi ne s’adresse plus à tout le monde, mais surtout aux plus qualifiés, et aux peu ou pas qualifiés. Exit la classe moyenne ! Vive l’inégalité, de revenus, de statuts ». Il rappelle le célèbre mot de Warren Buffet : « la lutte des classes existe et nous (les riches) l’avons gagné  ».
 
Pour lui, la grande majorité des classes populaires sont devenues invisibles, trop largement représentées par des banlieues qui sont parties prenantes de l’économie mondialisée « pour l’essentiel situées au cœur des métropole, elles sont parfaitement adaptées à la nouvelle donne économique (…) ce sont les territoires de la France périphérique qui cumulent fragilités sociales et économiques et où se répartit désormais (…) la majorité des nouvelles classes populaires (qui partagent) une même perception des effets négatifs de la mondialisation ». « Les classes populaires ne font plus partie du projet économique des classes dirigeantes, elles n’intéressent pas ou peu le monde intellectuel  », comme le montre le traitement de l’information dans la majorité des média, avec ces journaux si métropolitains.
 
Pour lui, les cartes habituelles « rendent de fait invisible l’essentiel des classes populaires et occulte les effets sociaux et spatiaux de la mondialisation (…) Comme si tout le monde vivait dans des villes, mais de quelles villes parle-t-on ? (…) La véritable fracture n’oppose pas les urbains aux ruraux, mais les territoires les plus dynamiques à la France des fragilités sociales  ». L’auteur considère les 25 aires urbaines les plus peuplées, qui rassemblent au moins 370 000 habitants, cette France métropolitaine qui rassemble près de 40% de la population, mais deux tiers des intégrés, qui y sont majoritaires, alors qu’ils ne représentent que 20% de la population de la France périphérique.
 
Pour lui, « la polarisation du marché de l’emploi créé des espaces très inégalitaires  ». Il rappelle que l’emploi a progréssé de 2006 à 2011 dans les métropoles, au contraire du reste de la France. Malheureusement, le maintien de l’industrie dans de petites villes fait qu’elles sont les premières à trinquer dans la longue saga des délocalisations. Les inégalités produites par la globalisation et la déréglementation homogénéisent le territoire, comme le montre Michèle Tribalat, qui rappelle que de 1968 à 2006, dans les actifs de 25-54 ans, la part des ouvriers à Paris est passée de 25 à 8% et celle des cadres de 15 à 42%. Les métropoles ne sont plus accessibles à une très grande partie des classes populaires qui ne peuvent plus quitter la France périphérique du fait de l’évolution du marché de l’immobilier.
 
Pour Guilluy, le pays est coupé en trois : la France périphérique et populaire, qui rassemble les catégories populaires d’origine française et d’immigration ancienne, les banlieues ethnicisées, où l’intégration économique fonctionne mieux du fait de la proximité avec les métropoles, et les métropoles mondialisées. Une conclusion qui amène à se poser la question migratoire, thème du prochain papier.
 
 
Source : « La France périphérique », Christophe Guilluy, Flammarion
 

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