Guilluy, théoricien de la fracture de nos sociétés

par Laurent Herblay
jeudi 17 août 2017

Des essais que j’ai lus, « la France périphérique  » restera probablement une référence, une contribution majeure à l’analyse de la crise que traverse notre pays, mais aussi l’ensemble des pays dits occidentaux, en synthétisant économie, politique et géographie. Guilluy est un auteur qu’il faut avoir lu pour toute personne intéressée par la chose publique. Retour sur les comptes-rendus de ses livres.

 

Voir, ou refuser de voir la fracture de nos sociétés
 
Après le Brexit, l’élection de Trump, et l’accession de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, où, à chaque fois, les classes populaires autochtones ont voté contre la parole dominante métropolitaine, les livres de Guilluy devraient encombrer les devantures des librairies, et les média devraient se battre pour le faire parler. Dès 2014, il avait compris les ressorts de ces trois élections clés des derniers mois, prophétisant même certaines évolutions plus difficilement décernables à l’époque. Mais la pensée de Guilluy semble être taboue et suscite des réactions d’une hostilité parfois violente, qui m’a imposé, chose rarissime depuis plus de 10 ans, de suspendre la libre parution des commentaires.
 
Il est normal de débattre, y compris de manière parfois un peu vive. J’en ai l’habitude, sur une multitude de sujets, de la loi Taubira, que j’ai soutenue, à l’immigration, en passant par le FN. Mais il est tout de même très surprenant pour moi que les comptes-rendus sur les livres de Guilluy aient déclenché de telles hostilités, un tel rejet viscéral, agressif et non véritablement factuel. Les quelques contradictions pseudo-scientifiques échouant le plus souvent à côté ou déformant outrageusement les propos de l’auteur. De manière ironique, cela illustre la thèse de Guilluy d’une France d’en haut méprisante et adepte de postures moralisantes  : on peut penser que ces réactions ont probablement nourri sa pensée.
 
Guilluy voit juste dans la fracture territoriale grandissante de notre pays, notamment entre ceux qui profitent de la globalisation et habitent souvent dans les métropoles, et ceux, majoritaires, de plus en plus relégués dans la périphérie et qui en souffrent. Il voit aussi juste dans le roman qui se construit dans ces métropoles, cette représentation fausse de la réalité de leur propre pays, cet oubli de la majorité, que l’on distingue cruellement bien dans la fabrique de l’information, souvent déconnectée de la vie de la majorité. Je pense toujours que cette fausse représentation se construit de manière inconsciente, bien des phénomènes l’expliquant, de la révolution numérique à l’explosion des inégalités.
 
Guilluy a bien anticipé le succès de Macron et le rapprochement du centre-gauche et du centre-droit. C’est pourquoi il est inquiétant de lire sous sa plume sa crainte d’un basculement droitier des classes populaires sur les questions économiques, qui rejoint l’analyse de Généreux. Après tout, c’est aussi ce qui s’est passé dans les pays anglo-saxons, même si, dernièrement, de vrais progressistes ont fini par casser le consensus ultralibéral. L’évolution des plaques tectoniques politiques de notre pays semble malheureusement confirmer son intuition. Il faut espérer que nous y échapperons, afin que 2022 ne marque pas une nouvelle dérive droitière, qui poursuivrait les évolutions des dernières années.
 
Finalement, ce qui ressort de la lecture de ces livres, c’est une envie d’entendre ce que pense Christophe Guilluy aujourd’hui, de la victoire de Macron, et l’évolution du débat politique. Nul doute que ses analyses nourriraient de manière utile le débat public. Plus encore, il serait passionant de pouvoir échanger avec lui sur les moyens de sortir notre pays de l’impasse. Merci pour tout.
 

 

J’ai entamé la lecture de « Dans quelle France on vit » d’Anne Nivat, qui me semble un bon prolongement

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