Histoire des relations publiques au cours du XXème siècle 1

par maQiavel
mardi 26 novembre 2013

Le célèbre documentaire de la BBC4 sur Edward Bernays, et l'histoire des relations publiques au cours du XXème siècle. 


 


 

Edward Bernays était le neveu de Sigmund Freud. Né en 1891, mort en 1995, on le considère généralement comme l’inventeur de l’industrie des relations publiques. 

Freud et les foules

La pensée freudienne a une importance dans l'analyse des liens affectifs dans les groupes. Freud y consacre un lire intitulé « Psychologie de masses et l'analyse du moi » (1921), dans lequel il commence par rendre hommage aux thèses de Lebon sur la foule.

Freud fait référence à sa notion de libido : elle a ici pour noyau un amour sexuel recouvrant une grande variété de formes. Le lien groupal est par nature libidinal. Selon Freud, les créatures qui constituent une foule s’aiment les unes les autres, et délèguent leurs idées et leurs sentiments à celui qui les dirigent. La haine est reléguée aux autres, à ceux qui sont en dehors.

Les foules sont incapables d’avoir des opinions quelconques, en dehors de celles qui leur sont suggérées. Elles n’ont pas de système de pensée, pas de cohérence philosophique, et donc pas de colonne vertébrale qui puisse structurer une capacité créatrice. Elles ne fonctionnent qu’à l’instinct, en fonction de l’émotion.

Quels sont ces instincts ? Dans « Malaise dans la civilisation », Freud explique que la civilisation n’est pas l’expression du progrès humain mais au contraire avait été construite pour contrôler les forces animales et dangereuses cachées dans l’être humain.

La civilisation a toujours été animée par un « combat entre la pulsion de vie et celle de mort, et que nul « ne peut présumer du succès et de l'issue » de ce combat. Ainsi, rien ne garantit selon Freud que les civilisations, même celles qui sont considérées comme les plus modernes, ne finissent par s’autodétruire.

La culture est la somme totale des réalisations et dispositifs […] qui servent à deux fins : la protection de l'homme contre la nature et la réglementation des relations des hommes entre eux. » La culture n'est pas seulement soucieuse d'utilité car la beauté fait partie des intérêts de la culture. La culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel, le développement de la culture entraîne par conséquent une restriction de la liberté individuelle. La démocratie qui a comme socle la liberté individuelle est donc de ce fait impossible.

Cette série explique comment ceux qui furent au pouvoir ont utilisés les théories de Freud pour contrôler les foules à l’ère moderne de la démocratie de masse.

Bernays et la démocratie de marché

 

Lefoules n’ont de pouvoir que pour détruireIl existe cependant une mesure de prévention possible : que le pouvoir connaisse la psychologie des foules, afin de pouvoir les manipuler au lieu de se laisser mener par elles comme le préconisait Gustave Le Bon dans « Psychologie des foules ».

Bernays part de l’étude de cette psychologie des foules. Le groupe n’a pas les mêmes caractéristiques psychiques que l’individu : celui qui comprend ces caractéristiques peut influencer les groupes, qui à leur tour conditionnent les individus. Ainsi, les barrières de la psychologie individuelle sont contournées.

Les foules sont moutonnières. Elles suivent des leaders s’il y en a, à défaut des clichés imprimés dans les esprits, et réverbérés par l’écho infini de la masse. Il faut jouer sur ces clichés, ou sur l’image des leaders, et pour maximiser l’effet, il faut chercher à les mettre en cohérence avec les pulsions individuelles. Il faut jouer sur les frustrations des individus, deviner ce qui les fait souffrir en tant que personne, et proposer un schéma collectif qui, en enserrant l’individu dans un conformisme rassurant, lui permettra de surmonter sa frustration. 

La thèse de Bernays repose sur l’« Organisation du chaos ».Il existe un gouvernement invisible, qui règne secrètement sur la démocratie. Ce gouvernement est formé par les hommes qui savent influencer le public. Ce gouvernement est indispensable : sans lui, l’opinion, livrée à elle-même, ne pourrait pas faire fonctionner la « machine » démocratique. Si tout le monde devait étudier sérieusement les questions sérieuses, on n’en sortirait plus.Le gouvernement invisible, en rendant la démocratie possible, se substitue aux anciennes oligarchies au pouvoir visible. Des techniques existent, qui permettent « d’enrégimenter l’opinion ». Ce sont ces techniques que les hommes de pouvoir doivent désormais maîtriser pour maintenir l’ordre.

Il faut utiliser l’instruction du peuple pour l’enfermer dans un mode de pensée programmé. Il n’y a rien de scandaleux là-dedans : la propagande a été inventée par l’Eglise catholique, avec sa congrégation pour la propagation de la foi. C’est une technique de gouvernement, ni plus ni moins.

Une propagande efficace doit imprégner progressivement les esprits, de manière inconsciente, par la répétition. Il faut modifier les « images mentales que nous avons du monde » pour nous faire changer d’avis. Un exemple de technique de manipulation : trouver des leaders d’opinion, et leur faire promouvoir par leur comportement, par leur image, ce qu’on veut « vendre » à l’opinion. C’est la technique utilisée dans le marketing de la mode. Elle est transposable à n’importe quel autre domaine où la « fabrique du consentement » est nécessaire.

Que cela donne t-il en pratique ? Deux exemples :

1. Pendant les années 20, Bernays se fait remarquer par l’esprit novateur de ses méthodes. Son grand succès ? Amener les femmes américaines à fumer. Le commanditaire de l’opération est tout bonnement l’industrie du tabac, mais Bernays réussit un coup de maître en présentant l’affaire comme une « libération de la femme ». Instrumentalisant le mouvement des suffragettes, il exploite l’image phallique associée à la cigarette allumée pour faire de la « femme qui fume » l’image d’une « femme libérée, dotée de son propre phallus ». Le succès est foudroyant : les Américaines se mettent à fumer.

2. Ce que fit Bernays fascina les grosses banques et industries américaines qui sortirent riches et puissantes de la grande guerre mais également avec un souci grandissant : la surproduction ! Le système de production avait progressé pendant la guerre et les industriels étaient effrayés par le danger d’une surproduction qui atteindrait un point de non retour dans lequel les gens ayant tout ce qu’ils veulent s’arrêteraient d’acheter de nouveaux produits.Il s’agissait de transformer la manière dont les américains achetaient les produits, de déplacer l’ Amérique d’une culture du besoin vers une culture du désir, d’habituer les gens à vouloir de nouvelles choses avant que les anciennes soient inutilisable, de façonner une nouvelle mentalité : le désir humain doit éclipser le besoin. C’est la naissance de la démocratie de marché appelée également société de consommation.

En satisfaisant les désirs égoïstes des masses, on les rend heureuse et par conséquent docile. Un nouvel idéal politique apparait pour contrôler les masses :

Crise de 1929

Dans les années 20, les spéculateurs avaient emprunté des milliards de dollars et les banques avaient propagées l’idée d’une nouvelle ère dans laquelle l’effondrement du marché était une chose du passé mais elles se trompaient : le plus gros effondrement du marché de l’histoire se déroulait.

Les investisseurs paniquaient, vendaient leurs actions dans une fureur aveugle qu’aucune promesse des banquiers et des politiciens ne pouvaient stopper. Le 29 octobre 1929, le marché s’effondra. Face à la récession et au chômage, des millions de travailleurs cessèrent d’acheter des marchandises .L’ explosion du consumérisme que Bernays avait tant encouragé disparut. Lui et la profession des relations publiques tombèrent en disgrâce.

La crise de 1929 a permit l’émergence de deux modèles alternatifs de gestions moderne des masses.

Le national-socialisme 

Arrivé au pouvoir en Allemagne en mars 1933, les cadres du parti national socialiste ont souhaité gérer les masses différemment.

L’Etat prit le contrôle de l’économie par une planification de la production. Les nazis ne le voyaient pas comme un retour à une vieille forme de contrôle autocratique, il s’agissait d’une nouvelle alternative à la démocratie. L’élite Nazie était convaincue que la démocratie était dangereuse car libérait un individualisme égoïste. Les sentiments et les désirs de masses devaient rester centraux mais canalisés afin d’unir la nation en un tout. L’un des concepteurs de cette méthode de contrôle des masses était Joseph Goebbels.

 Le ministre nazi de « l’information » avait lu Bernays et s'est fortement inspiré de ses travaux. Goebbels organisait d’énormes manifestations dont le but était de forger l’esprit de la nation en une seule unité de pensée de sentiment et de désir. Les forces profondes du désir que Freud avait qualifié de « libidinales » sont sollicitées et données au chef tandis que l’instinct agressif est tourné vers ceux qui sont en dehors du groupe.

Le meneur entraîne la foule parce qu’il lui ressemble. Comme elle, il est instinctif, fanatique, unitaire dans sa pensée jusqu’à perdre de vue les exigences de sa propre conservation. Son charisme provient de l’isomorphie spontanée entre son idiosyncrasie et celle de la masse. S’il peut subjuguer la foule en lui offrant une croyance religieuse ou pseudo-religieuse, c’est parce qu’il a d’abord été lui-même subjugué par cette croyance. C’est pourquoi le meneur ne démontre pas : il affirme. Il n’approfondit pas, il répète. Il ne persuade pas, il contamine. Sa capacité d’influence ne résulte pas de son discours lui-même, mais du prestige dont il se pare

Le new deal 

Élu en 1932 président des Etats unis, Franklin Delano Roosevelt voulait faire contrôler le marché par l’Etat. Son but n’était pas de détruire la démocratie mais de la renforcer. Pour y arriver il allait développer une nouvelle manière de gérer les masses : le pouvoir exécutif élargit.

Roosevelt réunit un groupe de technocrates et de planificateurs dont le travail serait de mettre en place de nouveaux projets industriels pour le bien de la nation. A l’inverse des Nazis et des démocrates de marchés, Roosevelt pensait que les humains sont fondamentalement rationnels et qu’on pouvait leur faire confiance s’ils prenaient part au gouvernement. Il pensait qu’il était possible d’expliquer sa politique aux américains et de prendre en compte leurs opinions. Il fut aidé en cela par Goerge Gallup statisticien et sociologue américain qui s’opposait à Bernays .

Gallup ne faisait pas des êtres humains des créatures à la merci de forces inconscientes qui devaient être contrôlées. Il organisa des sondages d’opinion pour s’informer semaine après semaine de ce que la nation pensait des réformes. Son système de sondage se basait sur l’idée que l’on pouvait avoir confiance aux gens et que ces derniers savaient ce qu’ils voulaient. Il soutenait qu’on pouvait mesurer et prévoir l’opinion et le comportement du public en lui posant des questions strictement factuelles tout en évitant de manipuler ses émotions. Les sondages scientifiques devaient donner à la démocratie une chance d’être en contact avec le public en lui donnant une voix sur la manière dont le pays était dirigé.

Roosevelt fabriquait une nouvelle relation entre les citoyens et les politiciens : les américains n’étaient plus des consommateurs irrationnels dont on gérait les désirs en les assouvissant, ils devenaient des citoyens intelligents qui participaient à la gestion du pays.

Lutte au sommet

Si le new deal avait suscité l’admiration des Nazis , les grands hommes d’affaires américains étaient consternés par cette prise de pouvoir de l’Etat sur l’économie.

Pour les grandes entreprises, c’était le début d’une dictature. Le monde des affaires décida de contre- attaquer et de reprendre le pouvoir. Bernays reprit du service et se lança au cœur de la bataille avec sa profession, les relations publiques. Une guerre idéologique était menée contre le new deal pour réaffirmer le mariage inséparable entre la démocratie et de l’économie privée. Une campagne est lancée dans le but de créer un lien émotionnel entre le public et les entreprises. Les techniques de Bernays sont utilisées à une grande échelle. Une lutte implacable débuta. En réponse le gouvernement réalisa des films pour avertir de la manipulation de la presse par le monde des affaires. Ces films montraient comment des citoyens responsables surveillaient la presse et décelaient, par une méthode analytique, les parti pris cachés.

Mais une méthode si rationnelle ne pouvait atteindre les méthodes de manipulations de Bernays. Il aidera à la création d’une utopie visionnaire dans laquelle la libre entreprise du capitalisme se construirait sans la politique. Il s’agissait de faire passer l’idée dans le subconscient des masses que l’entreprise répondait aux désirs des gens comme les politiciens ne pourraient jamais le faire. Mais cette forme de démocratie ne traitait pas les gens comme des citoyens mais comme des consommateurs passifs. Fidèle à lui-même, Bernays considérait qu’en contrôlant les instincts et les désirs inconscient des masses, on pouvait obtenir d’elles ce que l’on veut. Son action fut couronnée de succès !

Cette bataille entre ces deux vues sur l’être humain, à savoir s’ils sont rationnels ou non, changera brutalement avec la guerre.

La suite au prochain épisode.

Sources : Propaganda

 Scriptoblog

 Psychology Lessons

 wikipédia

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