HLM de Paris : farce judiciaire
par Bernard Lallement
mercredi 25 janvier 2006
Tous les ingrédients sont réunis pour en faire une vaste fresque à la Balzac.
A l’origine, l’office des HLM de Paris (OPAC au nom décidément très prédestiné) était au centre d’un vaste réseau de trafics d’influences pour la passation de ses marchés publics entre 1989 et 1994, alors qu’à la Mairie de Paris, dont il dépendait, régnait un certain Jacques Chirac, par ailleurs président du RPR.
Sur fond de guerre fratricide entre balladuriens et chiraquiens, en vue de la présidentielle de 1995, une plainte avait été initiée par Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget dans le gouvernement d’Edouard Balladur.
Le déroulement de l’affaire a, abondamment, nourri les rubriques justice, faits divers et politique de tous nos journaux, avec quelques épisodes méritant de passer à la postérité.
Ayant épuisé pas moins de trois juges d’instruction, la procédure, qui connut toutes les arcanes des juridictions pénales, permit de réunir des indices graves et concordants pour mettre en cause l’ancien maire de Paris, devenu depuis président de la République. Aucun magistrat ne put l’entendre, même comme témoin, car le Conseil constitutionnel et, ensuite, la Cour de cassation arguèrent de son « irresponsabilité pénale. »
En vue d’une perquisition au domicile de Jean Tibéri, qui lui avait succédé à l’Hôtel de ville de Paris, le juge Eric Halphen s’était vu refuser, fait unique dans les annales judiciaires, l’assistance de la police, sur ordre de la hiérarchie du ministère de l’Intérieur que tenait, d’une main de fer, Charles Pasqua.
Mais à cette occasion, la découverte, fortuite, d’un rapport d’études bidon, écrit par Xavière Tibéri, et rémunéré à grand frais par le Conseil général de l’Essonne, avait entraîné l’ouverture d’une information par le parquet de Créteil. Afin d’en obtenir le classement sans suite, Jacques Toubon, Garde des sceaux de l’époque, avait projeté de faire récupérer, en hélicoptère, le procureur de la République parti en vacances dans l’Himalaya.
Les péripéties, dignes des Marx Brothers, ne s’arrêtèrent pas là. Une mise en scène d’une tentative de corruption de l’encombrant juge Halphen fut organisée par Didier Schuller, conseiller général des Hauts-de-Seine, et proche de Charles Pasqua : devant des policiers, accourus à cet effet, il remit une enveloppe censée contenir 1 million de francs au Dr Jean-Pierre Maréchal, psychiatre à l’Hôpital américain de Neuilly et beau-père du magistrat. Par la suite, Didier Schuller s’enfuit, plusieurs années, aux Caraïbes. Le juge avait commis l’irréparable outrage d’adresser une convocation, comme à n’importe quel justiciable, à « Chirac, Jacques. » Les proches du président crièrent à la forfaiture.
Une corruption sans corrompu
Décédé en 1999, dans une cassette posthume, il désigne le chef de l’Etat comme « instigateur » d’un système de fraude sur les marchés publics. François Ciona, directeur général adjoint de l’OPAC, confirmera ces propos.
Le montant de la corruption s’élève à 5,7 millions d’euros.
Michel Roussin et Jean Tibéri, un temps mis en examen, ont bénéficié d’un non-lieu.
Parmi les 49 prévenus qui comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris, ne figure aucun parti ni responsable politique ou élu.
Bref, un procès de corruption dans lequel ne comparaissent que les corrupteurs. Les corrompus, eux, ne seront pas inquiétés. Judiciairement parlant, il n’y en avait pas. Surréaliste !
Un dossier qui ne sera pas de nature à redorer les ors de la justice, passablement ternis ces derniers temps.
Quant au statut pénal du chef de l’Etat promis par le candidat Chirac en 1995, nous l’attendons toujours.
Faire un parallèle avec l’affaire Outreau est tentant, et permet de constater, une nouvelle fois, que, depuis La Fontaine, les mentalités de nos vénérables hermines n’ont guère changé : Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir.
Photo : AFP