Huit enseignants en cinq mois dans une école de Châtillon (92)...

par Beauceron
lundi 23 janvier 2023

Ce n'est pas un scoop, l'école française est en "crise". Crise du climat scolaire, de la violence, du manque de profs, etc. Depuis quarante ans, on nous rabâche ce discours convenu renforcé par une langue de bois de plus en plus lisse. Souvenez-vous de l'excellent film de Claude Berri avec Coluche, le seul de mon point de vue qui allie humour et réalisme : il résumait début 1980 ce qu'était l'école primaire publique avec l'impertinence qui était encore autorisée à l'époque.

Donc BFM-TV a découvert qu'une classe de la très select ville de Châtillon (92) se retrouve avec une noria d'enseignants depuis la rentrée de septembre. Huit en cinq mois, ce qui est loin d'être un record pourtant. Pour avoir exercé comme titulaire-remplaçant dans les écoles du 93 voisin, je sais de quoi je parle.

Hélas, vous ne trouverez ni explications concrètes, ni solutions dans le reportage de BFM, destiné à faire de l'audience pour vendre des pages de publicités. Il faudra passer par les réseaux sociaux, votre serviteur par exemple, pour décrypter ce qui se passe. Comme toujours, on vous expliquera qu'il manque des postes, que les maîtresses d'école sont toujours en congé maternité, qu'il faut des moyens supplémentaires. Une osmose entre administration féodale (l'inspectice du coin se nomme madame Prince, il fallait oser !), associations subventionnées de parents d'élève et syndicats de mandarins pour ensabler la triste réalité du terrain.

Quand une classe se retrouve sans enseignant et que les remplaçants démissionnent les uns après les autres, c'est qu'elle est ingérable, impraticable. Concentration d'élèves pénibles et mal élevés, de parents sans gêne eux-mêmes mal éduqués dans leur jeunesse avec une direction d'école impuissante ou servile. Il n'y a pas de secret professionnel. Les raisons peuvent aussi venir de la répartition des élèves, d'enseignants des autres classes qui tirent la couverture à eux. La solidarité n'existe pas entre profs, sauf si elle est forcée. 

La nouveauté, c'est que tous les quartiers, toutes les régions sont touchées par le phénomène. Il y a vingt-cinq ans, on ne parlait que de la Seine-St-Denis, de ses ghettos, de ses enfants "en difficulté d'intégration", de ses voyous. On trouvait normal la valse des profs dans les établissements où, il est vrai, enseigner relevait du parcours du combattant. On parlait moins des secteurs plus favorisés où les "gosses de bourges" n'attiraient pas les projecteurs.

A présent, après des années de politiques d'inclusion, de rejets de l'autorité et de la sanction, de rabaissement des profs, on s'étonne de trouver des classes vides. Quel diplômé serait assez inconscient pour préparer un concours destiné à prendre en charge une classe de gamins mal éduqués ou semi-délinquants, pour un salaire médiocre, un système de mutation injuste et rigide, avec en prime la retraite à 65 ans ?

Début 2000, il était encore possible de se loger en région parisienne. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ; à Châtillon un loyer pour un F2 c'est 1300 euros : quasiment le salaire d'un prof stagiaire. Les logements de fonction ont été supprimés il y a trente ans, et le parc HLM du 92 est inaccessible aux fonctionnaires. Pour faire simple, le gogo qui prendra en charge la classe de BFM devra supporter des élèves (et des parents) pénibles, avec les injonctions de Mme Prince en cerise sur la gâteau, tout en dormant la nuit dans sa voiture ou à l'hôtel social : les journalistes auraient dû conclure ainsi leur topo.

Avis aux amateurs : il y a des marées de postes non pourvus dans l'enseignement. Mais dans notre belle démocratie, expliquer les véritables raisons du phénomène permettrait d'essayer d'entrevoir des solutions autres que le baratin pédagogiste sur le manque de formation des profs, le recrutement au profil, l'incitation au "management" des inspecteurs et toutes les tartufferies de circonstances.

Source de l'article : https://twitter.com/BFMTV/status/1616694424448139264

PS : le dessin d'illustration est... belge. Je l'ai mis pour montrer deux choses : d'autres pays sont aussi touchés par le problème scolaire, mais ils semblent plus lucides et moins "langue de bois"...


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