Il y a 25 ans, un crépuscule de l’Occident a commencé

par Bernard Dugué
mercredi 7 septembre 2016

1991, il y a 25 ans, c’est l’année officielle du démantèlement de l’Empire soviétique fondé en 1917 après la révolution bolchevique conduire par Lénine. Les intellectuels européens ont largement commenté cet événement sans en saisir la portée. Sous le miroir du bloc de l’Est en décomposition, les puissances occidentales se sont réconfortées et quelque part justifiées dans leurs croyances idéologiques associant la démocratie et l’économie de marché. Mais progressivement, les sociétés occidentales ont fini par s’endormir en gérant les pays comme de grandes entreprises. Si bien que l’espérance collective s’est éteinte au profit des cultes individualistes associant le souci du corps, des loisirs et la réussite économique personnelles. Les mouvements sociaux de grande ampleur ont disparu au profit de quelques franges contestataires antimondialistes ou néo-nationalistes. En 2016, il n’est plus question de construire l’avenir mais de le préserver. Les fantasmes climatiques ont fait croire à la population que les grands de la Cop-21 ont décidé de sauver la planète. Le monde avancé se mire dans le développement durable et ne fait plus la différence entre le monde réel et le blockbuster planétaire scénarisé et storytellisé par les agents de communication émanés des officines de réflexion technocratique. Les politiciens ne croient plus dans les sociétés civiles et ne jurent que par la croissance qui du reste, se fait attendre depuis des lustres. Sans oublier l’illusion technologique consécutive au protocole de Lisbonne qui a vite montré ses failles et ses limites.

Depuis 1991, la morosité en politique et l’effet trompe-l’œil des progrès technologiques ont été accompagnés d’un crépuscule de la culture qui en France fut capté avec lucidité par JM Domenach à travers l’évolution du roman. Ces dernières années, les romans ont largement labouré le passé pour s’en inspirer et faite preuve d’intention littéraire après l’hégémonie de la littérature nombriliste. Depuis 1991, les télévisions ont suivi l’audimat et diffusé des produits industriels formatés, non sans quelques poches de résistance avec le salut médiatique que fut la chaîne Arte et quelques émissions tardives à prétention culturelle. Le rock post-MTV est resté médiocre. Le cinéma populaire a capté les masses. Bref, un crépuscule dans tous les secteurs, y compris la littérature scientifique en France. Je ne connais pas la situation dans les autres pays européens. Je sais juste que dans le monde anglo-saxon, la science et sa médiatisation se porte mieux, avec des articles de très bon niveau dans des revues comme le New Scientist et of course Nature. En France, les revues scientifiques pour public instruit sont formatées pour des potaches d’amphi. La Recherche n’est plus la belle revue aventureuse qu’elle fut dans les années 60 à 80. Le lent déclin de la pensée scientifique est accompagné par le marasme de l’éducation nationale avec une proportion de jeunes qui n’ont plus le goût de l’effort et la passion d’apprendre.

2017, et si on effectuait un détour par la campagne. Pas de quoi écrire des tonnes de pages. En vue dans les médias, un ex-président Sarkozy, agité compulsionnel vomissant ses obsessions et colères pour un effet blast. Un président Hollande, homme sans qualité qui depuis plus de quatre ans joue au président dans les médias en bénéficiant d’un socle de fidèles et qui n’a plus la cote tant sa gestion a été médiocre. Les médias jouent alors la carte du renouvellement sans voir que Bruno Lemaire est un quadra déjà vieux dans sa tête, avec des réflexes de retraité et des idées rétrogrades. On dirait un catho bon chic bon genre des années Pompidou. Emmanuel Macron n’est guère plus audacieux, trempant son idéologie dans le positivisme de 1830 et le républicanisme scientiste de la Troisième République. Rien d’innovant n’émerge si bien que le seul candidat par défaut reste Alain Juppé. Malgré ses 70 ans, c’est lui qui possède l’esprit le plus jeune. Mais tout est relatif et la France ne peut pas élire un audacieux car ce pays a une mentalité de vieille nation moisie guidée par des idées rances et gérée par des technocrates. Juppé représente un peu le sage capitaine capable d’éviter le naufrage du paquebot France.

Plus généralement, tous les pays occidentaux sont minés par cette errance idéologique traduite en terme de désaffection à l’égard des classes dirigeantes. L’ONU s’inquiète des discours populistes sans mettre l’accent sur le terrain qui favorise l’imprégnation du populisme chez des gens qui se sentent délaissés par ces élites nomades qui se sont détachées des peuples. Et ont géré les pays comme des entreprises au lieu de les prendre pour des ensembles d’humains réunis par des souffrances, des aspirations et un puissant terreau historique et culturel.

Ce crépuscule de la France et d’autres pays s’explique par l’absence d’innovations depuis 25 ans. Les acquis obtenus entre le 18ème siècle et les années 1980 ont été copieusement utilisés et sont maintenant usés. Même aux Etats-Unis, le désarroi se dessine, avec deux candidats suscitant une défiance comme jamais auparavant. En France, le cirque des présidentielles ne fera pas émerger un visionnaire mais aura le mérite de divertir les spectateurs avec des journalistes maintenant habitués à commenter la vie politique comme un match de foot. Machin ou Truc est taclé par Bidule. C’est sûr qu’on va aller loin. La société est devenue un centre commercial. Quand le mur de Berlin a été fracassé, les Allemands de l’Est se sont vus offrir des billets en marks pour aller acheter des biens dans le monde libéré de la marchandise. Rien n’a changé depuis. Le long crépuscule de l’histoire moderne est en marche. Rien ne peut dévier ce processus qui a le mérite de satisfaire une majorité de gens qui s’en sortent et/ou ne sont pas très regardants sur les valeurs et l’éthique.

Pourtant, les idées révolutionnaires émergent dans beaucoup de secteurs mais elles ne sont pas partagées ni examinées. Les gens en place préfèrent les idées convenues quitte à moisir d’une acceptable existence.


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