Immobilisation générale. Les dangers d’un confinement durable

par Bernard Dugué
jeudi 19 mars 2020

 A l’attention des commentateurs. Essayez cette fois de réserver cet espace à des réflexions et témoignages pouvant faire avancer la compréhension. Pour ricaner, il y a d’autres lieux.

 

 Il règne une ambiance étrange, les gens anxieux, les rumeurs qui circulent. Le plan de confinement est une mesure d’urgence que nul ne peut contester et fut acté le 16 mars. Il a été suivi d’un Etat d’urgence sanitaire, un Etat d’exception aurait ajouté Giorgo Agamben. Cette décision est fut en fonction des remontées de terrain très inquiétantes et des anticipations réalisées avec des modélisations. En revanche, il ne semble pas que l’impact sur les populations ait été évalué et que les problèmes collatéraux aient été réfléchis, ce que l’on ne reprochera pas aux autorités, car il faut d’abord régler une urgence. Lorsque des choix difficiles se présentent, souvent les experts évoquent la balance entre les coûts et les bénéfices. Les coûts n’étant pas forcément financiers. Le confinement aura un impact économique mais aussi des conséquences à court et moyen terme assez rapides. Les conséquences sur la vie d’un pays doivent être prises en compte, même si pour l’instant il faut rester chez soi. Et avoir une pensée pour les professionnels du soin sur le front des opérations sanitaires. Leur condition est autrement plus difficile que la nôtre.

 

 (i) L’impact psychologique, avec les anxiétés et surtout les angoisses qui on le sait, ne font pas bon ménage avec les défenses immunitaires ni avec le reste de la physiologie humaine. De plus, on ne peut pas prédire avec les conséquences de cette expérience de confinement sans précédent dans l’histoire de notre pays. Les anxiétés ne sont pas forcément liées au virus mais à des tas de constructions imaginaires sur les choses ordinaires du quotidien, par exemple un appareil qui tombe en panne. S’ajoutent les inquiétudes liées au confinement. Cette anxiété ne peut que s’accentuer dans un pays connu pour ses citoyens bien peu optimistes sur ce que réserve l’avenir. Par ailleurs, l’isolement des personnes risque de réveiller un classique de la psychologie, le sentiment d’abandon. Un autre facteur vient de s’ajouter. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase psychologique. Le confinement était censé contribuer à contenir la vague épidémique pour éviter la saturation des lits d’hôpitaux. C’était une justification au nom de la communauté et maintenant, ce confinement est pris aussi comme une mesure permettant d’éviter le virus pour bon nombres qui pensent être menacés à titre personnel. Mais ces mesures ont des conséquences non négligeables.

 

 Sur BFM, le professeur Gentilini a fait remarquer que l’arrêt des visites dans les Epad pourrait avoir de graves conséquences. Les visites des proches sont des instants quotidiens grâce auxquels les anciens se raccrochent à leur histoire et rien qu’une caresse sur la joue ou un toucher de main permet de les retenir à la vie. Gentilini a même suggéré que cet isolement pourrait faire plus de dégâts que le virus sur nos anciens. Que dire aussi des parloirs fermés dans les centres de détention. Lorsque l’on sait à quel point la visite d’un proche est indispensable pour raccrocher les détenus à leur humanité. Enfin, les experts savent que le confinement peut conduire au suicide les personnes les plus fragiles. Bref, comme le virus, qui tue aussi les personnes les moins solides sur le plan physiologique.

 

 (ii) L’impact sur la vie sociale risque d’être d’une grande ampleur, même si les réseaux de communication permettent aux proches de rester en contact. En revanche, cette situation peut nous inciter à sortir de notre bulle pour ceux qui y sont et créer de nouveaux liens. La tempête des gilets jaunes a créé des relations. L’ouragan viral pourrait favoriser des solidarités et créer des amitiés éphémères, des discussions par réseau interposées… Le confinement n’empêchera pas les relations de voisinage, l’entraide. Mais il sera délicat d’entretenir une conversation dans ce contexte où se mêlent la sage prudence, les précautions d’usage et les comportements irrationnels. Il est certain que les mesures de précaution doivent être respectées car c’est pour une majorité de gens une consigne servant à ralentir la propagation du virus. Mais si votre voisin vous parle (à une distance de un mètre), ne lui tournez pas le dos, vous n’allez pas attraper le virus. Facile à dire cependant. Dans ce genre de situation on comprend que chacun redoute d’attraper le virus après avoir écouté les informations anxiogènes et en croyant que c’est encore plus grave que ne le disent les autorités. N’oublions pas que la grande inconnue, c’est la prévalence du virus et la proportion de sujets peu ou pas symptomatiques.

 

 (iii) Le troisième point paraît presque anecdotique. Il concerne les pratiques concourant à la bonne santé. Des millions de Français ont besoin d’une activité sportive en plein air, marche, jogging, vélo. Ce n’est pas le problème qui arrive en premier mais il est compréhensible qu’on le mentionne. Ce que je craignais n’est pas arrivé. Heureusement, il sera possible d’aller faire son jogging ou son tour à vélo sous réserve que l’on remplisse l’attestation et que l’on soit en possession d’une pièce d’identité. Cela dit, ce confinement limitera les activités physiques considérablement et si cela dure trop longtemps, non seulement la santé psychique mais aussi la santé physique des Français sera impactée.

 

 (iv) Les risques économiques doivent être pris en compte. L’intensité du phénomène sera puissante mais les systèmes financiers ont la possibilité d’amortir le choc. Le risque est néanmoins sérieux, surtout pour les petites entreprises et tous les indépendants qui vont se trouver à court de trésorerie. C’est un coût de plus pour ces mesures dont l’addition risque d’être salée. Et comme en 29 et même après 2008, l’addition sera répartie de manière inégale. Il est évident que les Français ne sont pas maîtres du destin de leur économie mais qu’ils peuvent trouver des solutions pour amortir le choc. On nous prédisait un 1929 lors de la crise financière de 2008 dans une configuration sans commune mesure avec la Grande dépression. Cette fois le risque est sérieux. Les Etats et les banques ont su amortir 2008, il faudra qu’ils amortissent ce qui se prépare. Ce qui impose d’inventer d’autres dispositifs car la crise de la demande risque d’être... je vous laisse choisir l’adjectif qui convient.

 

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Remarque importantes d’ordre général. Ce coronavirus a placé les complexes sanitaires dans une perspective dont l’incertitude est liée uniquement au virus, sa propagation, sa létalité exacte que nul ne connaît car on ne sait pas quelle est la prévalence. Le tableau clinique se précise. Le système sanitaire n’avance pas dans l’inconnu, il sait ce qu’il faut faire mais il est dépassé. Le système économique navigue à vue et possède des mécanismes de correction. En revanche, une deuxième incertitude et pas la moindre concerne les effets psychologiques du confinement. Il n’existe que très peu d’études sur ce sujet. Les Anglais qui souvent tirent les premiers ont publié dès le 26 février, dans la revue Lancet une recension croisée sur ce sujet. Un seul point est incontestable, le confinement n’est pas bon. Le confinement est d’autant plus nocif qu’il se prolonge dans la durée. Autre point sans contestation. Cette expérience de confinement n’a jamais été réalisée à l’échelle d’un pays. Un point de repère nous est fourni par la recension du Lancet qui se base sur cinq études de comparaisons entre personnes placées ou non en quarantaine. Celle-ci : « Environ 34% (938 sur 2760) des propriétaires de chevaux mis en quarantaine pendant plusieurs semaines en raison d'une épidémie de grippe équine ont signalé une détresse psychologique élevée pendant l'épidémie ». Ce chiffre rejoint le taux de stress confinatoire (néologisme que je viens d’inventer) observé en Chine.

 

 Une autre incertitude est déterminante, c’est la durée du confinement. D’aucuns parlent de trois, voire six mois. « La mauvaise nouvelle, c'est que selon le modèle de Neil Ferguson, ce confinement ne peut être efficace que sur le long, voire le très long terme. Le rapport propose une modélisation avec cinq mois de quarantaine, de la fin mars 2020 à la fin août 2020. Ce qui, notamment pour les parents obligés de cumuler télétravail et école à la maison ou les couples coincés dans 30 m2, est déjà (très) long » (Europe1, 18/03/20). Fin août, vous vous voyez confiné par une canicule de 40 degrés ?

 

 La seule chose certaine, c’est que, pour parler comme un stoïcien, cette décision de durée dépend de nous, tout en étant éclairée par les données remontées du terrain clinique mais aussi scientifique. Zeus, maître du jeu mais pas du jeu, serait bien embarrassé pour nous envoyer un signe du destin.

 

Pour conclure. Tout dépend maintenant de la durée de l’état d’exceptions dont les effets risquent de créer une seconde épidémie d’affections psychiques. Nous disposons d’une remontée d’expérience des Chinois confinés à Wuhan. 5 % souffrent de troubles graves de type post-traumatique (comme après une guerre ou bien des attentats). Et 30% d’affections psychologiques non négligeables. Les Italiens, plus proches culturellement, auront un retour d’expérience prochainement. A vue de nez, 15 jours c’est jouable. Un mois, ce sera plus délicat et après, nul ne sait comment la résilience peut amortir le choc, notamment pour les personnes isolées. Ces choses ne seront pas prises en compte pour les prorogations du confinement dont les décisions seront prises sur des critères scientifiques, technique et sanitaires. Un capitaine de navire sait qu’il n’est pas tenu de respecter le cap si les vents changent, il peut réajuster les voiles et parfois dévier.

 

 

 L’épidémie de Covid-19 confirme qu’il est parfois des situations pour lesquelles le choix se situe entre deux options conduisant vers des dégâts et c’est « tragique » pour les consciences. L’Etat a décidé, sans faire participer les citoyens aux décisions, en consultant les experts. C’était la seule décision possible. On commence par calmer la fièvre et ensuite, on regarde sur le moyen et long terme. Cette fois, je ne suis franchement pas très rassuré. Il ne faut pas attendre que la tempête s’arrête, chaque citoyen devrait réfléchir au cas où une décision devrait être prise.

 

 Crise en grec veut dire à la fois jugement et décision. Voilà pourquoi il faut être éclairé avant de trancher. Entre quoi et quoi ? Des idées ?

 

L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister. Si des doutes s’élèvent sur ses frontières, consultez les populations disputées. Elles ont bien le droit d’avoir un avis dans la question. Voilà qui fera sourire les transcendants de la politique, ces infaillibles qui passent leur vie à se tromper et qui, du haut de leurs principes supérieurs, prennent en pitié notre terre à terre. « Consulter les populations, fi donc ! Quelle naïveté ! Voilà bien ces chétives idées françaises qui prétendent remplacer la diplomatie et la guerre par des moyens d’une simplicité enfantine. » ― Attendons, messieurs ; laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Peut-être, après bien des tâtonnements infructueux, reviendra-t-on à nos modestes solutions empiriques. Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. (E. Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ? Discours prononcé à la Sorbonne en 1882)

 

A lire ici, l’étude du Lancet. Si vous le souhaitez, je fais une traduction Google et le diffuse ici, comme je l’ai fait pour les données du CDC d’Atlanta.

 

https://www.thelancet.com/action/showPdf?pii=S0140-6736%2820%2930460-8

 


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