Inquiétudes pour la France qui perd : quel avenir pour la politique de la Ville ?

par Comité Carnot
lundi 18 septembre 2017

 

 

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Alors que 2017 marque le quarantième anniversaire de la politique de la Ville, la première mesure significative en direction des quartiers dits prioritaires (ou quartiers sensibles dans le langage commun) a visé à réduire les crédits de 11 % par rapport à la loi de finances initiale – tout en promettant, comme pour les militaires encore sous le choc du limogeage de leur chef d’Etat-major, une sanctuarisation de leurs crédits en 2018. Ce n’est pas complètement étonnant pour un cadre de pensée qui doute du bien-fondé de ce type de « discrimination positive territoriale », mais cette coupe budgétaire apparaît peu cohérente avec le souci global du Président de la République d’accorder la priorité « absolue » à la sécurité intérieure.

 

Des territoires fragiles qui devraient mobiliser l’attention du gouvernement

La politique de la Ville fête son quarantième anniversaire [1], et sa survie montre au pire son inefficacité, au mieux sa nécessité face à l’enracinement de la pauvreté dans des quartiers relégués. L’inefficacité tient d’abord à la désinvolture avec laquelle les gouvernements successifs se sont penchés sur le problème : le budget national de la politique de la Ville, hors habitat, est inférieur au budget du département du Nord concernant les politiques sociales. La réforme de la politique de la ville, engagée dans le cadre de la loi Lamy de 2014, marquait un progrès : une concentration de la géographie prioritaire (resserrement de la liste des quartiers bénéficiant des dispositifs dérogatoires), un système de conventions d’objectifs et de moyens avec les ministères pour qu’ils mobilisent enfin le même niveau – ou davantage - de moyens dits de droit commun (plus d’enseignants, de policiers, d’agents d’accueil dans les quartiers), et la coordination de toutes les politiques publiques afin d’établir un projet global, cohérent de traitement de ces quartiers au niveau de l’agglomération (et non de la simple commune, parfois trop pauvre pour faire face au défi). Elle s’appuyait enfin sur un nouvel effort en matière de rénovation urbaine (détruire ou réhabiliter les barres dégradées, reconstruire des logements en partie dans d’autres quartiers moins défavorisés, afin de développer la mixité sociale) concernant plus de deux cents quartiers. La réforme, bénéficiant d’un assez large consensus, tout en étant critiquable sur certains aspects de sa mise en œuvre, a besoin de temps pour faire sentir ses effets, et elle ne peut à elle seule résorber la fracture urbaine, profonde, qui affecte encore notre pays : avec un taux de 36 % de chômage chez les moins de 30 ans, et de 16 points supérieurs à la moyenne nationale chez les 15-64 ans, le défi demeure redoutable.

Le nouveau gouvernement apparaît, par son programme, sa démarche, sa sociologie et l’histoire de ses dirigeants, éloigné de la politique de la Ville. Aucun ministre en titre n’a été nommé et le responsable de la compétence, une parmi d’autres de son maroquin, était précédemment sénateur du Cantal. Le cadre posé par le Président de la République reflète une conception socio-libérale du traitement de la pauvreté et de l’aménagement du territoire : quand l’entreprise se porte bien, l’économie va de même, et l’emploi repart. Les politiques sociales doivent se réduire dès lors à traiter les aspects les plus graves de la société fracturée, bénéficier à un nombre restreint, parmi les plus pauvres : ainsi en est-il de l’esquisse de sa politique du logement, de l’éducation et des contrats aidés. Un certain nombre de programmes d’accompagnement social devraient être remis en cause en attentant la reprise de l’emploi (déjà visible au niveau des cadres).

Le candidat ne proposait pas de mesures révolutionnaires en faveur des quartiers : il a ressorti une vieille promesse de campagne de François Hollande – les emplois francs, tués dans l’œuf par le ministère de l’Emploi sous le gouvernement précédent, et désormais peu compatible la réduction actuelle du nombre de contrats aidés - et affirmé que les jeunes des quartiers s’en sortiraient par la création d’entreprise : quand l’entrepreneuriat va, tout va, même si des études viennent fortement atténuer cet optimisme (cf. prochains travaux du comité Carnot).

 

La conjonction des mesures met en péril la politique de la ville et le calme dans les quartiers

Cette approche ignore quelques réalités du fonctionnement des poches de pauvreté. Quand l’emploi va, « il va » surtout là où les catégories sociales sont propres à bénéficier de l’embellie, et ne souffrent pas de discrimination. Ainsi, le début de reprise a permis de réduire légèrement le chômage des diplômés des quartiers, mais celui des immigrés a augmenté de 2,2 points entre 2014 et 2015. L’expérience de la phase d’expansion au tournant du siècle a montré que la croissance pouvait ne pas bénéficier au taux d’emploi dans les quartiers. Plus généralement, la reprise d’activité pourrait ne pas avoir cet effet de « ruissellement » sur les catégories défavorisées si cher aux théories libérales. La réduction des contrats aidés est malvenue alors qu’il faudrait accompagner les populations structurellement éloignées de l’emploi afin qu’elles bénéficient de la reprise. La réduction des crédits des politiques d’intégration, au même moment, contredit l’ambition affichée du prochain plan en la matière.

Le maintien ou l’augmentation des financements gérés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ne peut qu’être salué – elle traduit en fait le poids d’une alliance objectifs entre monde du bâtiment, élus désireux d’accroître leur patrimoine immobilier et hauts fonctionnaires crédibles face à Bercy (car proposant de l’investissement matériel), mais il faut bien comprendre que c’est toute la philosophie de la politique du logement qu’il faut surveiller : sans réelle politique de peuplement visant à la mixité sociale, point de lutte contre la « ghettoïsation ». Et pas de lutte contre la ségrégation scolaire – grande impensée des réformes Blanquer.

 

Enfin, l’orientation dessinée en début de mandat montre l’incompréhension entre soutien public, lutte contre la dérive communautariste et donc prévention de la radicalisation – même si les liens entre les deux demeurent encore obscurs. La réduction des crédits de la politique de la ville se conjugue avec celle des contrats aidés qui bénéficient massivement aux associations… des quartiers. Or, ceux qui connaissent la situation des quartiers ne peuvent que s’alarmer de l’effondrement prévisible et prochain de ces associations, qui tiennent à bout de bras le « vivre ensemble » et le peu d’optimisme qui demeurent encore dans les territoires fragiles. Le coup de barre budgétaire a précédé l’explosion juvénile des quartiers en novembre 2005. Pour un pouvoir élu de manière étriquée et qui n’a pas su susciter durant la campagne l’adhésion des habitants des banlieues – sans parler de parvenir à inverser la désaffection générale envers les urnes -, il aurait été plus sage de tendre la main et de montrer sa bonne volonté.

Les élus des communes possédant un ou des quartiers prioritaires ont interpelé le Président par une lettre ouverte ; l’association « Bleu, Blanc, Zèbre », propose déjà à la réunion des « états généraux de la politique de la ville » qui pourraient se tenir à la mi-octobre à Grigny (Essonne).

 

Admettons que la politique de la ville n’ait pas été plus maltraitée que la plupart des politiques publiques lors du coup de rabot visant à faire plaisir à Berlin. Accordons le bénéfice du doute à une nouvelle équipe peu sensibilisée au sort des quartiers. Le temps pourtant, ne suspend pas son vol et la réaction d’une partie de la jeunesse sans illusion pourrait coûter plus que les quelques dizaines de millions épargnés par myopie comptable.

 

[1] Programme Habitat et vie sociale, 1977. 


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