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par Bernard Dugué
mercredi 21 août 2013

S’inscrire dans une histoire. Un thème prisé des modernes, bien que tous les anciens aient souscrit à ce principe car l’homme étant pourvu de conscience, de mémoire et de capacité critique, il peut penser, comprendre ou écrire des histoires. Avec des actions et des rencontres. Tout se prête à la production d’histoires. L’homme est le seul animal biographique. Que ce soit dans le monde matériel, dans celui de l’inconscient ou dans l’imaginaire, avec les fictions, qu’elles soient profanes ou religieuses. S’inscrire dans une histoire suppose une aventure personnelle avec des rencontres ou parfois un dessein collectif. Pour ma part, je me souviens avoir animé un site contre le TCE européen en 2005. C’est de l’histoire collective. Et puis les cafés philos que j’anime. C’est de l’histoire personnelle et locale. Savoir écrire et interpréter des histoires, la sienne, celle des autres, celle des peuples, c’est un élément fondamental qui élève l’homme vers une conscience affirmée de l’existence.

Il fut un temps ou les histoires avaient des rôles herméneutiques, livrant des connivences de sens à travers les mythes. Freud ne dirait pas le contraire. Dans les églises du Moyen Age, on pouvait voir des images pieuses mais aussi des scènes de la vie quotidienne. La conscience de l’Histoire avec un H majuscule est arrivée il y a peu de temps, vers 1700, avec Bossuet, Leibniz, Vico. Un siècle plus tard, la conscience de faire l’Histoire est apparue, livrant les peuples et les gouvernants à de grands desseins, politiques, colonialistes, culturels, nationalistes, idéologiques.

Quelques touches pour peindre ce thème. Le communisme, rêve collectif vite enterré avec les désillusions de l’expérience soviétique. L’inscription des hommes dans le fascisme n’a pas donné d’issue viable. Cette affaire s’est décidée entre 1920 et 1945. Ensuite, l’inscription dans une histoire collective fut une sorte de renaissance des rêves utopiques, dans les années 1960 et 1970. Puis, ces rêves ont été enterrés par un nouveau schéma mis en place à partir de 1980 avec une brutalité affirmée et assumée. On peut dire que Reagan, Thatcher, Mitterrand et Kohl ont bien géré la partie tout en créant les conditions pour que se développe un nouvel âge, un nouveau régime, mais n’incriminons pas quelques figures de l’Histoire. Ce nouvel âge repose aussi sur les techniques et les médias de masse avec la nature humaine qui fait le reste. Les médias formatent les consciences en livrant des normes et références permettant aux gens de s’inscrire artificiellement dans leur histoire. C’est certainement calamiteux, mais c’est la réalité.

Les médias de masse véhiculent des options pour l’existence. Les gens dociles s’y réfèrent, les gens libres préférant inventer leur vie. 1990, le grand récit communiste s’est achevé. Les chouettes de Minerve ont glosé sur la victoire de la démocratie, comme Fukuyama. En fait, après la guerre du Golfe, les années Clinton ont vu une autre Histoire se mettre en place. Assez étrange à comprendre puisque le principal ennemi des Etats-Unis était à terre. Clinton a dérégulé les marchés et favorisé l’avènement du capitalisme de casino qui a produit les crises financières de 2000 et 2008. Entre temps, le 11 septembre a plongé les Etats-Unis dans un schéma politique conduisant à la destruction de la démocratie. Les deux piliers de la société autoritaire sont en place. La finance et la sécurité. Le ressort de la civilisation est cassé, celui de l’éducation. Ces deux orientations montrent que les élites avaient des intentions et que le reste n’est que prétexte à justifier les dominations en enfumant les masses. En 2013, les Etats-Unis sont plus proches de la Chine et l’Iran que de la démocratie. Un changement de régime s’est opéré. A l’époque moderne, les régimes se définissent pour une bonne part en référence aux histoires personnelles des individus. La démocratie se pense en référence avec la possibilité pour les citoyens d’être auteurs de leur histoire et de l’Histoire collective. Ce qui n’est plus le cas dans les nations qui se prétendent démocratiques.

Cela n’empêche pas que les gens ont besoin de trouver du sens à leur histoire. Ils se confessent. Même que lors d’incidents fâcheux, les autorités dépêchent des cellules psychologiques qui sert de rustine pour que les gens recollent les morceaux fragmentés de leur histoire. Ils se confessent au prêtre, aux amis, sur le web, sur l’écran, à écrire, causer et dialoguer sans fin. C’est essentiel que de s’inscrire dans une histoire. Et de s’intéresser aux histoires des autres, celles des enfants, des amis. C’est universel et humain. Inventer son histoire est un signe de liberté, inventer à l’écart des normes et des schémas. L’homme qui invente son histoire est libre. Celui qui suit les histoires et les schémas est comme un cheval, un homme domestiqué, dressé, avec des œillères. La société qui se met au service des élites fait en sorte de mettre des œillères aux populations. Elles n’ont pas tort de leur propre point de vue intéressé, une partie de l’humanité étant du genre servile.

Il y aurait matière à écrire un chapitre de livre, voire même un essai sur l’inscription de l’homme dans son histoire avec d’autres histoires et la grande Histoire. Ou à défaut, une méditation estivale. Il va faire chaud aujourd’hui.


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