Interdiction de boycott et liberté d’expression
par Laurent Herblay
mardi 17 novembre 2015
Alors que l’UE a approuvé l’étiquetage des produits des colonies israéliennes en Palestine, en France, la justice semble vouloir interdire l’appel au boycott des produits venus d’Israël. Pour une fois, difficile de ne pas être en accord avec le Monde, ainsi que l’Union Européenne.
Selon le Monde, « le simple appel à boycotter des produits israéliens est totalement illégal en France. Et sévèrement puni. Deux arrêts de la Cour de cassation (…) font de la France l’un des rares pays du monde, et la seule démocratie, où l’appel au boycott par un mouvement associatif ou citoyen (…) est interdit ». En fait, 14 militants ont été condamnés à 28 000 euros de dommages et intérêts pour avoir participé, en 2009 ou 2010, à une manifestation dans un magasin Carrefour en Alsace, distribuant des tracts disant « acheter les produits importés d’Israël, c’est légitimer les crimes à Gaza, c’est approuver la politique menée par le gouvernement israélien ». Il note qu’il n’a été relevé aucune dégradation, aucune entrave au fonctionnement du magasin (qui n’a pas porté plainte), ni aucun propos antisémite.
C’est une circulaire envoyée par le ministère de la justice début 2010, visant spécifiquement les « appels au boycott de produits israéliens » et appelant à une « réponse ferme » qui semble en être à l’origine. L’avocat des manifestants veut porter l’affaire devant la Cour Européenne des droits de l’homme. Cette décision est très critiquée. Notre particularité, c’est que « beaucoup de pays n’ont pas de lois aussi poussées en matière de lutte contre les discriminations ». Un magistrat de la défense se demande si « les droits de producteurs étrangers doivent-ils prédominer sur une liberté politique ? Où est la limite ? ». Même si sur le fond, je reste opposé au fait que l’Europe puisse avoir un mot à dire sur toute décision de justice de notre pays, malgré tout, pour une fois, je dois reconnaître que ce ne serait pas injuste.
La totalitarisation du débat public
Ici, il faut bien reconnaître que c’est l’UE qui a le beau rôle. D’abord, d’une manière bien plus politique que réglementaire, elle veut imposer une information parfaitement légitime sur les produits venant des colonies palestiniennes d’Israël. Mais elle pourrait aussi jouer un rôle dans la préservation de la liberté d’expression dans notre pays face à des dérives liberticides que je suis d’autant plus à l’aise pour critiquer que je ne juge pas que l’on puisse absolument tout faire. Déjà, je ne suis pas à l’aise sur les interdictions des spectacles a priori ou même les sanctions prises à l’égard de dirigeants politiques pour certains propos, même si je les juge critiquables. Il me semble qu’ici encore, nous tombons dans une totalitarisation orwellienne du débat public indigne de ma conception de ce qu’est une démocratie.
Comment peut-on critiquer Poutine ou Chavez quand on peut être condamné pour de tels propos en France ? On peut aussi voir dans cette évolution une raison de l’éviction un peu hallucinante de Philippe Verdier, le présentateur météo qui conteste le réchauffement climatique. Une démocratie fonctionnelle ne devrait-elle pas permettre un débat plus apaisé, sans condamner de la sorte certains opposants ? On peut dire qu’il y a des relents totaliltaires dans certaines pratiques de notre époque. Et ils sont d’autant plus gênants quand ils s’appliquent de manière aussi différenciés, ne punissant pas de la même manière toutes les discriminations, à nouveau une caractéristique typique des régimes totalitaires. Plus largement, cela amène à se poser des questions sur les lois de notre pays, sans doute excessives ici.
La rigidification du débat public a sans doute à voir avec l’état de nos sociétés, à l’épuisement d’un système politique où le débat est à la fois trop limité ou trop caricatural, et au refus de plus en plus dogmatique par l’idéologie dominante néolibérale d’accepter un véritable débat démocratique.