J’ai survécu ŕ l’entreprise !
par Babar
samedi 10 avril 2010
Attention, ceci n’est pas une fiction. Ça en a pourtant la saveur. Mais c’est un récit et c’est du vécu. Cocasse et parfaitement écrit Tu m’envoies un mail ? (éditions Privé), livre d’Emmannuelle Friedmann qui oscille entre journal intime et récit de voyage, raconte les véritables aventures d’une Candide égarée dans la jungle de l’entreprise et de sa bureaucratie.
Candide, mais pas naïve. Inouï parce que si l’on ne travaille pas dans un des différents services qui font l’ordinaire d’une grosse compagnie on n’a peu de chance de savoir ce qui s’y passe vraiment. L’entreprise c’est la grande muette.
En dehors du cercle privé, qui va clamer sur les toits qu’il n’en peut plus de sa chef de service qui met la pression parce qu’elle a raté sa vie et n’a plus que la « boîte » comme horizon indépassable et le Directeur général comme dieu suprême ?
A l’arrivée, Emmanuelle Friedmann, qui ne pensait sûrement pas en ramener ce témoignage, propose ce qu’elle a toujours su faire : une véritable enquête journalistique. Décalée et drôle. Et un peu pathétique.
Si parfois, à propos du travail, le suicide, la souffrance, le mal-être, voire de grandes problématiques de santé publique (l’amiante ou le nucléaire) font la une de la presse, les « banals » témoignages d’insiders existent, mais ils sont plus rares. Ils sont d’autant plus précieux.
Si parfois, à propos du travail, le suicide, la souffrance, le mal-être, voire de grandes problématiques de santé publique (l’amiante ou le nucléaire) font la une de la presse, les « banals » témoignages d’insiders existent, mais ils sont plus rares. Ils sont d’autant plus précieux.
Seuls ceux qui n’ont rien à perdre osent lever le voile. Et Emmanuelle Friedmann n’a plus rien à perdre. Elle est entrée dans l’entreprise. Elle en est sortie. Entre temps elle a tenu jour après jour le journal de cette expérience, il n’y a pas d’autre mot.
Elle aurait pu concocter un guide genre L’entreprise pour les nuls ou Guide de survie dans le tertiaire. Elle a préféré la fable. Les lions ne parlent pas, peu importe, ce qui compte c’est la morale de l’histoire. Ce livre témoigne de son année passée dans un bureau, mais aussi de sa guérison.
Pourtant elle n’a pas l’air malade, elle est même plutôt spirituelle et joyeuse. On le sent bien en lisant son livre : c’est une bonne nature.
Avant d’entrer dans « l’Entreprise », elle a été pigiste ici et là, directrice de collection dans une maison d’édition, toujours payée en droits d’auteur. Des boulots qui ne lui permettent pas de gagner correctement sa vie, à peine de joindre les deux bouts.
Pourtant elle n’a pas l’air malade, elle est même plutôt spirituelle et joyeuse. On le sent bien en lisant son livre : c’est une bonne nature.
Avant d’entrer dans « l’Entreprise », elle a été pigiste ici et là, directrice de collection dans une maison d’édition, toujours payée en droits d’auteur. Des boulots qui ne lui permettent pas de gagner correctement sa vie, à peine de joindre les deux bouts.
Soudain tout change quand le directeur général de « l’Entreprise » qui a remarqué plusieurs de ses articles parus dans un quotidien national lui propose un poste de rédactrice au sein du service communication de la société. « Fini le monde des intellos précaires ! écrit-elle, J’allais entrer dans la vraie vie. J’étais tentée par cette nouvelle opportunité qui s’offrait à moi : devenir une personne classique, sérieuse et normale. » On ne devrait jamais forcer sa nature.
L’Entreprise, on l’aura compris, est un faux nom, tout comme le sont ceux des protagonistes - Véronique Paladin, Marie Merlot, Pascale Pafrais, Marianne Lavallette, etc. . Un aspect fictionnel qui paradoxalement renforce la crédibilité de l’ouvrage. Si Emmanuelle Friedmann avait cité de vrais noms, l’aurait-on cru ? Surtout elle se serait pris un bon procès !
"Tu m’envoies un mail" est quasiment la première phrase qu’elle entend en arrivant dans le saint des saint, le service du personnel. Elle revient comme un leitmotiv, un sésame. C’est tout juste s’il ne faut pas en envoyer un pour aller pisser. Plus bureaucratique, tu meurs ! Dans le monde de l’entreprise on appelle ça l’organisation du travail...
L’Entreprise, on l’aura compris, est un faux nom, tout comme le sont ceux des protagonistes - Véronique Paladin, Marie Merlot, Pascale Pafrais, Marianne Lavallette, etc. . Un aspect fictionnel qui paradoxalement renforce la crédibilité de l’ouvrage. Si Emmanuelle Friedmann avait cité de vrais noms, l’aurait-on cru ? Surtout elle se serait pris un bon procès !
"Tu m’envoies un mail" est quasiment la première phrase qu’elle entend en arrivant dans le saint des saint, le service du personnel. Elle revient comme un leitmotiv, un sésame. C’est tout juste s’il ne faut pas en envoyer un pour aller pisser. Plus bureaucratique, tu meurs ! Dans le monde de l’entreprise on appelle ça l’organisation du travail...
Au service du personnel on lui demande sa date de naissance, son numéro de sécu, bref, des informations qu’elle a déjà données. Après « trente minutes d’interrogatoire » où elle a « répondu patiemment à toutes les questions », la chef du personnel lui lance « tu m’envoies un mail pour me confirmer ce que tu m’as dit ».
Puis, lorsqu’elle doit retirer son badge d’accès, la responsable exige qu’elle fasse sa demande par mail, idem de la part de la responsable de la formation. Mais surprise ! Lorsqu’elle arrive à son bureau, elle n’a pas d’ordinateur. Impossible d’envoyer des mails. Qu’à cela ne tienne elle téléphone au service informatique qui lui demande... d’envoyer un mail.
Comme dit l’auteur : "Bienvenue dans le pays où la vie est absurde". Elle ne sait pas encore à quel point. Chapitre après chapitre elle décrit les intrigues de couloirs entre chefs de service qui se concurrencent non pas pour travailler mieux, mais afin de se faire bien voir du « beau directeur-général » qui observe avec un cordial mépris ces conflits agiter son « harem ». Car mine de rien l’auteur s’en prend à un tabou. Celui de la mixité entre hommes et femmes dans le travail. Trop de femmes tue-t-il le travail (la réciproque est aussi vrai) ?
Elle raconte par le menu le quotidien de l’entreprise où « tout le monde se tutoie » et où chacun fait semblant d’être copain, où l’on parle un sabir incompréhensible : « Lorsqu’on anime une réunion, il faut commencer par dire : « Y’a pas de paper ? Qui peut aller chercher un paper ? »... Deux, trois mots d’anglais dans une réunion feront toujours la différence, madame l’ambassadeur ! Et on ne rigole pas, tout est dans l’apparence. Dans l’apparence d’un monde où les Américains et les Anglais sont plus in, plus efficient, plus attractive, plus incentive que nous. »
Souvent Emmanuelle Friedmann s’adresse à son lecteur. Soit elle l’interroge - « Vous est-il arrivé, comme à moi, de ne pas comprendre ce que vous disent vos nouveaux collègues ? » - soit elle constate : « Moi, naïvement, avant de faire partie du personnel de l’Entreprise, je croyais que travailler était simple ».
Dans ce monde factice rien ne l’est, simple. Il n’y est presque jamais question de travail, mais de pathologies, de rapports humains tendus, dégradés et superficiels : « T’as vu comment elle est habillée aujourd’hui ? », « Je brasse du vent donc je suis », « je suis débordée et j’ai plein d’amis »...
Comme dit l’auteur : "Bienvenue dans le pays où la vie est absurde". Elle ne sait pas encore à quel point. Chapitre après chapitre elle décrit les intrigues de couloirs entre chefs de service qui se concurrencent non pas pour travailler mieux, mais afin de se faire bien voir du « beau directeur-général » qui observe avec un cordial mépris ces conflits agiter son « harem ». Car mine de rien l’auteur s’en prend à un tabou. Celui de la mixité entre hommes et femmes dans le travail. Trop de femmes tue-t-il le travail (la réciproque est aussi vrai) ?
Elle raconte par le menu le quotidien de l’entreprise où « tout le monde se tutoie » et où chacun fait semblant d’être copain, où l’on parle un sabir incompréhensible : « Lorsqu’on anime une réunion, il faut commencer par dire : « Y’a pas de paper ? Qui peut aller chercher un paper ? »... Deux, trois mots d’anglais dans une réunion feront toujours la différence, madame l’ambassadeur ! Et on ne rigole pas, tout est dans l’apparence. Dans l’apparence d’un monde où les Américains et les Anglais sont plus in, plus efficient, plus attractive, plus incentive que nous. »
Souvent Emmanuelle Friedmann s’adresse à son lecteur. Soit elle l’interroge - « Vous est-il arrivé, comme à moi, de ne pas comprendre ce que vous disent vos nouveaux collègues ? » - soit elle constate : « Moi, naïvement, avant de faire partie du personnel de l’Entreprise, je croyais que travailler était simple ».
Dans ce monde factice rien ne l’est, simple. Il n’y est presque jamais question de travail, mais de pathologies, de rapports humains tendus, dégradés et superficiels : « T’as vu comment elle est habillée aujourd’hui ? », « Je brasse du vent donc je suis », « je suis débordée et j’ai plein d’amis »...
« L’Entreprise, constate avec dépit l’auteur, c’est un peu l’illustration de ce que Darwin appelait struggle for life, « la lutte pour la vie ». Les faibles, ceux qui doutent du système, sont inexorablement éjectés ».
Elle assistera à la mise à mort symbolique de sa chef avant de devoir elle-même quitter le navire. On lui reproche de « manquer d’ambition », de ne pas de se donner corps et âmes à son travail. Comme si les nombreuses heures supplémentaires qu’elle lui a consacré comptaient pour du beurre.
« Cette année passée dans l’entreprise aura été difficile, conclue-t-elle. Mais elle m’aura servi à me décider à faire ce que je voulais et que j’avais peur de faire ».
Emmanuelle Friedmann est redevenue pigiste dans la presse écrite. Elle galère à nouveau. Chaque mois elle doit se demander comment elle va payer son loyer. Mais elle est libre. Et puis maintenant elle est l’auteur d’un livre. D’un bon livre, aussi plaisant qu’instructif.
Emmanuelle Friedmann est redevenue pigiste dans la presse écrite. Elle galère à nouveau. Chaque mois elle doit se demander comment elle va payer son loyer. Mais elle est libre. Et puis maintenant elle est l’auteur d’un livre. D’un bon livre, aussi plaisant qu’instructif.
Avec une telle plume, elle devrait arriver à décrocher un job dans un service de com’. Est-ce vraiment tout le mal qu’on lui souhaite ?
Crédit photo : shutterstock/le journal du bureau