Jacques Attali : « L’islam est un atout extraordinaire pour la France »

par Douglas Barr
vendredi 24 septembre 2010

C’est le sujet récurrent qui agite nos sociétés européennes. Tabou, refoulé, il est néanmoins toujours présent dans le moindre de nos débats politiques ; on ne cesse de tourner autour, sans vouloir l’affronter de face. Trop dangereux, trop propice aux « dérapages ». L’immigration obsède le Vieux Continent, l’islam obsède cette vieille terre chrétienne aujourd’hui largement déchristianisée, et touchée par le déclin démographique. La montée des « populismes » partout en Europe atteste d’une crainte de plus en plus évidente, et qu’il n’est plus possible de cacher. Le débat doit avoir lieu, tel que la journaliste Natacha Polony l’a lancé sur son blog, hier, de façon mesurée mais franche. Le débat contre le discours de l’inéluctable, tenu il y a encore quelques jours par Jacques Attali et Emmanuel Todd chez Frédéric Taddeï. Le débat, car, en démocratie, il n’est pas tolérable que le destin d’un peuple ne soit pas décidé par lui, le souverain.

Pour la première fois de son histoire, l’extrême droite fait son entrée au Parlement suédois, suite aux élections législatives de dimanche. Si la classe politique parle de "choc", la population paraît plus apaisée, puisque 59 % des Suédois considèrent que les "Démocrates de Suède" (SD) constituent un parti "comme les autres".
 
De la même manière, lorsqu’en Allemagne, la classe politique se scandalisait du livre "choc" du social-démocrate Thilo Sarrazin, 95 % des Allemands considéraient que le membre de la Bundesbank (depuis révoqué) n’allait pas trop loin dans sa dénonciation de l’islamisation de son pays, et 51 % se disaient opposés à son renvoi de la banque centrale.
 
Partout en Europe, les partis d’extrême droite progressent à grande vitesse. Un phénomène que le politologue Dominique Reynié juge très préoccupant. Le cas suédois est à ce titre significatif : car, comme il le souligne, le pays connaît une santé économique remarquable, ce qui met clairement en évidence que c’est à un rejet de l’immigration musulmane que nous sommes confrontés, un rejet culturel, qui n’a rien à voir avec les problèmes socio-économiques, qui sont la cause traditionnellement avancée pour expliquer la poussée de l’extrême droite.
 
 
Dominique Reynié insiste sur le fait que l’immigration ne va pas diminuer dans l’avenir, mais au contraire augmenter considérablement en Europe : "Les Européens ne font pas assez d’enfants, et il faut dire une chose : il n’y aura pas moins, mais de plus en plus d’immigrés en Europe, de plus en plus. Les Européens n’ont pas été préparés à cela, on ne leur a pas expliqué, il y a eu une espèce de refoulé, où on cache : il y a maintenant un effet de bascule ou de levier, pour des raisons démographiques, donc tout d’un coup ça devient plus visible, et le mouvement démographique est enclenché, c’est-à-dire que maintenant ça commence, et ce glissement sera irrésistible...".
 
C’est précisément de ce bouleversement démographique que les Européens ont peur, qui les fera devenir à terme minoritaires dans certaines zones. La progression des "populismes" dans toute l’Europe suggère que les populations sont, pour une part non négligeable, opposées à ce mouvement. Voir le reportage Europe : Ascenseur pour les fachos ci-dessous.
 
2e partie3e partie - 4e partie - 5e partie - 6e partie
 
 
Mais ce qui frappe dans le discours de Dominique Reynié, c’est qu’il parle de l’immigration massive comme d’une nécessité (économique), contre laquelle nul ne peut se lever - alors même que les systèmes démocratiques en vigueur en Europe pourraient nous laisser songer que ce sont aux peuples de décider de leur destin. Le politologue dit que les peuples ont besoin de pédagogie, il faut leur expliquer leur avenir, leur expliquer le monde dans lequel ils vont devoir vivre ; à aucun moment, il n’est question de leur laisser décider eux-mêmes de cet avenir. Naïvement démocrate, je trouve cela choquant.
 
Ce discours, notons-le, est le même que celui que tenait déjà, il y a quelques années, Philippe Douste-Blazy (UMP) face à Jean-Marie Le Pen, sur le plateau de Franz-Olivier Giesbert : "L’immigration, rien ne pourra l’arrêter" (fin de la 1ere vidéo et 2e vidéo).
 
 
Il n’est dès lors pas étonnant d’entendre depuis plusieurs années ces discours politiques, à gauche comme à droite, vantant les mérites du métissage et du "vivre ensemble" - ou comment faire de nécessité vertu... Ecoutez Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, Julien Dray, Jack Lang...
 
 
Le 21 septembre 2010, sur le plateau de Frédéric Taddeï, c’est Jacques Attali qui nous expliquait que tous les Français étaient par nature des étrangers (sic), et que sans l’immigration, nous mourrions. Autant dire que nous n’avons pas le choix. De son côté, Emmanuel Todd affirmait que la France était en train de se métisser, et que si jamais elle n’y parvenait pas, elle disparaîtrait. Là encore, pas d’alternative : c’est le métissage ou la mort. Le même type de rhétorique que celle de Nicolas Sarkozy au sujet du nouvel ordre mondial...
 
 
Il faut noter que le discours exactement inverse - faisant planer lui aussi une menace de mort - est tenu par les opposants à l’immigration massive et musulmane. C’est ainsi que le néoconservateur canadien Mark Steyn déclarait le 11 septembre dernier que l’Europe - telle que nous la connaissons - allait disparaître, et qu’en raison de la démographie, nombre de pays européens auraient dans un avenir proche un caractère politique semi-musulman.
 
 
Même discours alarmiste et défaitiste chez le Suisse Oskar Freysinger (UDC), selon lequel la France - comme la Grande-Bretagne - est d’ores et déjà "foutue" (interview du 13 décembre 2009).
 
 
Le géopoliticien Aymeric Chauprade, qui appartient politiquement à la droite nationale (et qui est très opposé au néoconservatisme incarné ici par Mark Steyn), parle lui aussi d’un "suicide" de l’Europe occidentale, considérant que la situation russe - pourtant mauvaise - est préférable à la nôtre : en effet, la Russie se dépeuple considérablement, mais n’a pas fait le choix d’une immigration de repeuplement non européenne. Chauprade considère que les peuples européens existent (et doivent être préservés), contrairement à d’autres, qui n’y voient que des agrégats de peuples venus du monde entier, sans identité propre (en particulier ethnique) bien définie.
 
 
Discours encore assez analogue chez Ahmed Al-Sarraf, journaliste laïc et démocrate koweïtien, qui écrivait récemment : "Un jour on regrettera l’Europe". Lui insiste davantage sur la dimension culturelle, plutôt qu’ethnique.

Quand elle défend son identité et sa façon de vivre, nous n’avons pas le droit de nous en offusquer. Elle ne fait que défendre la démocratie et les libertés individuelles contre une pensée religieuse, celle de l’islamisme. Il faut être objectif pour comprendre les réactions de colère des Européens face à "l’assaut culturel et humain" musulman.

Au bout d’une ou deux générations, le monde entier, et le monde arabe en premier lieu, regrettera l’Europe telle qu’elle avait été jusque là. Celle-ci aura été transformée sous l’effet de l’immigration musulmane. Les Européens ont donc raison de s’inquiéter. Mettons-nous à leur place : dans les pays du Golfe, ne nous inquiétons-nous pas de l’influence exercée par les immigrés asiatiques sur nos propres modes de vie ?

Les ghettos musulmans prolifèrent autour des grandes villes européennes, le voile s’y est banalisé, le niqab y progresse jour après jour et les mosquées y attirent plus de monde que les églises. Il y aurait quarante cinq millions de musulmans en Europe, ce qui ne serait pas si grave s’ils voulaient vraiment s’intégrer. Or beaucoup soutiennent le principe des attentats, les crimes d’honneur sont courants et les femmes se voient souvent traitées par leurs familles comme si elles étaient encore dans leur pays d’origine.

C’est effrayant de voir que ceux qui ont fui les dictatures politiques, militaires ou religieuses voudraient transformer l’Europe en quelque chose qui ressemblerait à ce à quoi ils cherchaient à échapper.

 
Le journaliste koweïtien fustige ici les immigrés qui ne veulent pas s’intégrer, mais il omet de pointer les politiques qui ne les ont jamais incités à le faire, préférant promouvoir - par idéologie et surtout clientélisme - le modèle multiculturel et communautariste. Aujourd’hui, le projet assimilationniste est clairement abandonné ; c’est ce qu’affirment sans détours Dominique Reynié et Hervé Le Bras dans C dans l’air le 22 septembre 2010 : "L’immigré ne s’assimilera pas. Il gardera un lien préférentiel pendant longtemps à son pays d’origine. (...) Il ne faut pas non plus dire “on va assimiler”, c’est fini ! Il faut comprendre comment coexister. (...) Apprendre à vivre ensemble dans des communautés relativement différenciées, sans faire du communautarisme... on est là sur une tension qui peut être..." (assez rude, on l’imagine).
 
 
Ainsi peut-on recenser presque chaque jour en France des renoncements à l’assimilation républicaine et à la laïcité : enseignement de l’arabe et de la culture algérienne dans une école primaire de Grigny (alors que dans certaines villes de banlieue 70 % des enfants ne parlent pas français à l’école primaire !), interdiction du porc en équipe de France de football (avec Laurent Blanc), halal pour tous (avec Raymond Domenech), prières dans des rues de Paris tous les vendredis depuis des années tolérées par la mairie PS, mais interdiction d’un apéro "saucisson pinard", programmation d’une visite scolaire dans une mosquée de Lorraine avec foulard pour les filles, barbecue géant halal à Dijon lors d’un tournoi de football (la polémique fera revenir le maire PS quelque peu en arrière), propos scandaleux du trésorier d’une mosquée de Roubaix défendant la lapidation et la charia, appel à brûler le Code Pénal par des musulmans de Limoges, etc., etc.
 
Dans toute l’Europe, des situations inquiétantes font monter les tensions. En Suisse, Hani Ramadan n’est pas gêné de défendre à la télévision le principe de la lapidation. En Allemagne, de jeunes Allemands se sentent stigmatisés dans une école où 70 % des élèves sont étrangers et refusent ouvertement de s’adapter aux moeurs locales. En Italie, à Milan, l’un des deux seuls enfants italiens de l’école Paravia refuse de retourner en classe, car ses camarades parlent arabe entre eux (une langue qu’il ne comprend pas) et c’est lui qui - c’est un comble - se sent étranger dans son environnement (cf. La Repubblica, traduit en français ici). Etc., etc.
 
Au fond, derrière la question de l’immigration se cache celle de l’islam, comme le souligne encore Jacques Attali, sur le plateau de Ce soir ou jamais le 21 septembre dernier. L’ancien conseiller de François Mitterrand se montre très confiant, considérant que la présence d’une importante communauté musulmane en Europe est un formidable "atout" dans un monde où les musulmans seront bientôt deux milliards. Selon lui, "il faut avoir la fierté d’admettre que l’Islam est une des dimensions fondatrice et positive du passé et de l’avenir de l’Europe”.
 
 
On le voit, ce sont bien deux visions de l’Europe qui s’affrontent. La première considère que l’islam est une des dimensions constitutives de l’Europe, et que l’immigration musulmane massive doit être vue comme une chance dans le monde de demain. La seconde refuse d’intégrer l’islam dans l’identité européenne, celui-ci appartenant à une autre entité civilisationnelle, et voit dans l’immigration massive un risque de ruine de l’identité européenne. La question de la laïcité est ici cruciale : fondatrice en Europe, elle paraît impossible en islam, si l’on en croit l’ancien roi du Maroc Hassan II.
 
 
Cela dit, l’argument le plus couramment utilisé pour valoriser l’immigration massive, ce n’est pas l’argument culturel, mais bien l’argument économique. "Les immigrés paieront nos retraites" : tel est l’argument massue, présenté comme une évidence. N’étant pas personnellement compétent en la matière, je me contenterai de vous soumettre le point de vue dissident de Natacha Polony, essayiste et journaliste spécialisée dans le domaine de l’éducation. Voici ce qu’elle écrit sur son blog du Figaro le 23 septembre 2010 :

[...] D’autres, d’une gauche plus libérale, expliquent, comme Eric Fotorino à la Une du Monde, que l’immigration doit venir compenser notre trop plein de vieux et financer nos retraites. Drôle d’idée. La France n’a jamais compté autant de jeunes. Elle a un taux de fécondité sans commune mesure avec les autres pays d’Europe. Et un taux de chômage des jeunes qui frôle les 25%. On ne manque pas de main d’œuvre en France. On manque de travail à offrir à cette main d’œuvre. [...] D’autant que la solution d’une immigration venant combler le déficit des caisses de retraites est largement démentie par les quelques études démographiques qui ont pu passer le filtre des réticences idéologiques. Il n’est besoin que de lire l’excellent ouvrage de la démographe Michèle Tribalat, Les yeux grand fermés (Denoël) pour s’en convaincre. Et qui regarde les taux de chômage des jeunes hommes dans certaines banlieues comprend que les immigrés venus « payer nos retraites » font des enfants, et que ces enfants, si l’on est incapable de les former et de leur donner du travail, ajoutent encore aux déséquilibres économiques, et plus encore aux fractures politiques et sociales. Mais surtout, cette immigration peu qualifiée, parfois illégale, qui accepte des emplois au noir et des conditions salariales misérables, fait mécaniquement baisser les bas salaires et porte préjudice aux classes les plus défavorisées, français ou immigrés moins récents. Les travaux des démographes prouvent que ce genre de solution, en revanche, favorise plutôt les salaires les plus élevés. Les tenants farouches de la libre circulation des personnes oublient toujours qu’ils sont les meilleurs alliés des adorateurs de la libre circulation des capitaux… [...]

Car ce qui manque à la France est sans doute avant toute chose une forme de cohérence idéologique qui consiste à envisager toutes les conséquences d’un choix politique et à les assumer dans leur ensemble. [...] On ne peut pas vouloir à la fois la libre circulation des personnes, l’accueil de tous les immigrés, quel que soit leur niveau de qualification, et le maintient du système français de protection sociale. [...] On ne peut pas se prétendre démocrate et accepter que ces choix cruciaux échappent aux peuples au nom de l’adaptation à une prétendue réalité incontournable qui sert des intérêts très précis, pour les uns financiers, pour les autres idéologiques.

Je suis en parfait accord avec cette dernière phrase.
D’aucuns pourraient penser que seul le Front national peut incarner politiquement la position exprimée ci-dessus. C’est justement ce qu’a fait remarquer un commentateur sur le blog de Natacha Polony. Voici la réponse qu’elle lui a apportée :

Cher PM,

Que Marine Le Pen soit la seule à s’opposer à ce système, voilà ce que tentent de faire croire tous ceux qui ont intérêt à ce que le Front National, dont ils pensent qu’il n’arrivera jamais au pouvoir, reste l’unique forme d’opposition. Cela permet de disqualifier à peu de frais toute pensée alternative. Car derrière Marine Le Pen, qui a si bien compris ce dont souffrent les Français, il y a des gens qui ne sont absolument pas républicains, et qui ne partagent en rien les convictions qui sous-tendent les analyses de ce blog.
En fait, outre les nombreux élus du PS ou de l’UMP qui savent que le système tel qu’il est détruit le tissu économique et social de la France (sans parler de ses bases culturelles), mais qui ne le disent qu’à voix basse de peur de perdre leur position, on trouve, de Jean-Luc Mélenchon à Nicolas Dupont-Aignan en passant par Jean-Pierre Chevènement, toute une palette de gens, de gauche comme de droite, dont les analyses peuvent rejoindre plus ou moins celles de cette note. Le plus célèbre est sans doute Henri Guaino, prototype du gaulliste social (mais de ses discours aux décisions politiques...).
Un commentaire précédent citait Debout la République, le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan : on y retrouve cet intérêt pour la souveraineté populaire, cette conviction que le modèle social français est celui qui garantit une société vivable, fraternelle et libre, et le refus farouche de tout angélisme teinté d’idéologie libertaire.
Vous voyez bien que le choix politique existe...
Cordialement,
NP

Maigre, le choix existe donc tout de même.

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