Je travaille 18 heures par jour, moi, Monsieur !
par Fergus
lundi 7 décembre 2009
Il y a quelques jours, un restaurateur rennais, entendu lors d’une réunion, affirmait travailler… 18 heures par jour. Autant que Jean-Louis Borloo sous le poids de ses responsabilités écologiques planétaires, nous apprenait mercredi dernier Le Canard Enchaîné. 18 heures par jour : une spécialité de droite initiée en son temps par l’éphémère ministre de l’Économie et des Finances Hervé Gaymard...
Les journées ne comptant que 24 heures, sauf erreur de ma part, voilà des hommes qui, dans les 6 heures qu’ils ne passent pas à trimer durement pour sortir la nation de son ornière économique, ont le temps de : petit-déjeuner, déjeuner, dîner, se doucher, se peigner, se raser, se laver les dents au moins deux fois par jour, s’habiller, consacrer un moment à l’éducation de leurs enfants et, cerise sur le gâteau, honorer leur épouse.
Un constat duquel on peut logiquement déduire : 1° qu’ils n’ont jamais de loisirs, si ce n’est quelques rares moments le week-end ; 2° qu’ils dorment moins de 3 heures par nuit. Impressionnant, n’est-ce pas ?
À moins que ces travailleurs acharnés ne fassent qu’une station très brève dans la salle de bains, ce qui pourrait être le cas de Borloo, vu l’état de sa coiffure et la puanteur de ses pieds révélée en mars 2008 par Rachida Dati.
À moins, autre hypothèse, qu’ils n’éprouvent pas un grand intérêt pour la copulation et se dispensent de cette corvée. Difficile à croire de la part des hommes de pouvoir dont on sait qu’ils sont très largement portés sur le coït. Plus difficile encore dans le cas de Gaymard dont la ribambelle de futurs petits ultralibéraux élaborés sous la couette avec son épouse Clara (série en cours) nécessite de remettre souvent l’ouvrage sur le métier et le… tenon dans la mortaise ! Encore qu’entre les performances de Rocco Siffredi et celles du lapin Panpan, il y ait moyen de dégager un temps précieux. Qui sait à quelle catégorie appartient Gaymard ?
Bref, on ne croit pas un instant à ces rodomontades visant à nous persuader que ces messieurs n’hésitent pas à sacrifier leur sommeil, leurs loisirs et leur vie de famille au bien-être de leurs administrés ou de leurs clients. Ou alors il faut admettre que les galipettes de Strauss-Kahn avec une collaboratrice hongroise du FMI relevaient de la réunion de travail. Et que la turlute (rien à voir avec un chant québecois) pratiquée par Monica sur l’hypertrophie pénienne de Bill avait été rendue nécessaire pour soulager le Président des États-Unis d’une douloureuse crise de priapisme survenue dans l’exercice de ses fonctions ; une sorte d’accident du travail en quelque sorte.
La majorité des commerçants sont exactement sur la même ligne. Sans mettre en avant leurs 18 heures de boulot quotidien, tel mon restaurateur rennais, nombre d’entre eux affichent 10, 12, voire 14 heures de travail par jour. Y compris ceux ou celles, pourtant très nombreux, qui habitent au-dessus de leur boutique et qui, en attendant le client, lisent le bouquin de Frédéric Mitterrand pour se documenter sur les boxeurs thaïlandais de 40 ans, regardent Les feux de l’Amour, ou testent le vibro-masseur reçu la veille dans un paquet discret.
Des redoutables, ceux-là, qui n’hésitent pas à entrer dans le lard de ces « fainéants de bureaucrates qui se la coulent douce » alors qu’eux-mêmes sont contraints de « bosser comme des forçats », et tout ça pour « se faire plumer par le fisc ». « Ah, ils ne connaissent pas leur bonheur, ceux qui bénéficient des 35 heures ! » ajoutent-ils d’un air pincé. C’est sûr que la vie est tellement plus douce pour le chaudronnier-fraiseur P3 affecté en équipe de nuit dans une unité de production à 50 kilomètres de son domicile, ou pour l’opératrice téléphonique qui, stressée par les cadences imposées et la crainte des appels mystères, doit se payer de surcroît deux ou trois heures de transport en commun par jour entre son centre d’appel et son HLM de banlieue. Le pied !
On touche d’ailleurs là une règle d’or : le petit patron, le commerçant et le travailleur libéral incluent toujours, lorsqu’ils ne résident pas sur place, leur temps de transport dans le temps de travail qu’ils brandissent comme une preuve de leur sacrifice aux yeux d’une société ingrate. Un temps de transport qu’ils refusent pourtant de prendre en compte pour ces privilégiés de salariés, toujours prompts à revendiquer et partisans du moindre effort. Les différences entre les uns et les autres s’en trouvent artificiellement gonflées.
Tout cela pour dire – en restant dans le domaine du plein-temps – qu’il existe d’énormes disparités dans tous les secteurs d’emploi, qu’ils soient publics ou privés, libéraux ou salariés, qu’ils concernent les employés ou les cadres, les salariés protégés par des conventions ou ceux qui sont soumis à l’arbitraire des petits patrons. Tout cela pour souligner également que, du côté des commerçants ou des travailleurs indépendants, on constate de très grandes inégalités entre ceux qui mouillent leur chemise sans compter leurs heures et ceux qui se la jouent galériens en se prélassant dans l’arrière-boutique.
On peut d’ailleurs étendre le constat de cette disparité au monde agricole, marqué lui aussi par d’énormes différences entre les secteurs de production. Rien de commun entre un céréalier, un maraîcher, un producteur d’agrumes, un vigneron, un éleveur traditionnel, un éleveur hors sol ou un aviculteur semi-industriel. Chacun a ses contraintes professionnelles, ses moments de forte charge et ses périodes de relative liberté. Impossible d’évaluer pour eux un horaire quotidien de travail tant cela serait dépourvu de sens entre les journées sans fin au moment des moissons ou des vendanges – pour ne citer que ces exemples – et les longues périodes hivernales de quasi inactivité en raison du repos de la terre ou de l’enneigement des cultures.