Joey Starr : une conscience civique, vraiment ?

par Philippe Bilger
mercredi 15 novembre 2006

L’actualité est inventive qui, du tragique au dérisoire, nous oblige à jouer de toute la palette de notre esprit et de notre sensibilité. De l’indignation au grotesque, du futile au sérieux. La société est à pleurer ou grimace son rire.

On vient d’apprendre - et Le Parisien y consacre une pleine page - que Didier Morville, plus connu sous l’identité de Joey Starr, a usurpé, en 2001-2002, celle d’un ouvrier de trente-quatre ans malencontreusement prénommé Didier et nommé Morville. Celui-ci s’est vu imputer, à son grand désarroi, un certain nombre d’infractions routières, dont certaines graves si l’on en croit son avocat.

Joey Starr a, au cours de sa carrière, été impliqué dans un certain nombre d’incidents. Il a fait l’objet de procédures, notamment pour deux affaires de violences. Il a déjà été condamné à plusieurs reprises.

Certes, c’est le passé, et l’honnête Didier Morville a subi les agissements de « l’artiste », il y a quatre ou cinq ans, le Trésor public ayant rajouté sa contrainte en 2003, avant que, beaucoup plus tard, la vérité ne se fasse jour. Certes, Joey Starr, mis en examen, est défendu par un très grand avocat, de surcroît mon meilleur ami, Me Jean-Yves Le Borgne. Mais tout de même !

Je me souviens des dithyrambes ayant accueilli le mois dernier le nouveau CD du chanteur. Dans leurs pages culturelles, Le Monde, Libération et d’autres publications avaient fait fort dans l’idolâtrie. Si cette dernière ne s’était rapportée qu’au créateur, pourquoi pas ? A chacun ses goûts et ses dégoûts. Mais à cette occasion, on a prétendu le représenter en héros des banlieues, héraut d’un civisme rajeuni et penseur traité avec infiniment de respect, comme si de sa bouche, lors des entretiens, n’était sorti que le miel de la finesse et de l’élégance, avec quelques « enculés » en prime. Il a même été baptisé, sans rire, « conscience civique », et cité en exemple à tous ceux de sa génération qui pouvaient douter de la politique et avaient oublié qu’il fallait insulter Nicolas Sarkozy.

Que lui n’ait pas eu ce sens élémentaire de l’humour pour se moquer, au regard de son passé tumultueux, de la statue que les médias dressaient, c’est déjà étonnant. Qu’il ait pu, en demeurant concentré, se voir affubler du titre d’éclaireur civique ou tout comme, sans exploser de dérision, montre ses limites intellectuelles ou sa capacité de moquerie, vérifiant jusqu’où les journalistes étaient capables d’aller trop loin.

Ceux qui ont participé, il y a peu, à cette célébration, quelle opinion ont-ils d’eux-mêmes aujourd’hui ? Probablement aucun regret. Pourtant, s’il était normal de rendre compte de son « oeuvre », il était déjà ridicule d’en faire plus, de camper le chanteur en sociologue lucide des banlieues, en militant averti , en « conscience civique ». On savait ce qu’il avait accompli. La série de ses démêlés avec la justice aurait justifié, à elle seule, une réserve de bon aloi. Maintenant, il convient de rajouter un malheureux Didier Morville à la liste des personnes ayant déjà eu à pâtir de Joey Starr. Lira-t-on une vague contrition, qu’on s’est fourvoyé, que c’était trop ? Bien sûr que non. Cet encens déversé - seul Le Parisien, à l’époque, a su mettre un bémol
- demeurera absurdement acquis à Joey Starr. Un trait paradoxal contemporain veut que des leçons de morale publique ne soient recevables que de la part de personnalités peu habilitées à les donner. Il n’empêche. Conscience civique il a été intronisé, conscience civique il demeurera. Pour les imbéciles et les gogos.

Le prochain délire médiatique est pour quand, le prochain dé-rap-age ?


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