Johnny, héros d’une société narcissique
par Bernard Dugué
vendredi 8 décembre 2017
Je dois vous avouer que je n’ai jamais aimé les chansons de Johnny ni apprécié plus que ça le personnage. Je ne suis pas le seul dans ce cas, bien que le sentiment favorable à ce chanteur hors norme soit majoritaire et c’est ce qui en fait l’idole du peuple et le ciment national. J’aimerais comprendre pourquoi je ne suis pas fan aussi, je vais tenter la méthode gnostique pour poser la question et trouver la vérité qui résonne. Johnny reste un personnage remarquable dont la prouesse est de réunir Nietzsche et Platon qui tous deux l’auraient décrié, Platon parce qu’il y aurait vu un poison au même titre que celui distillé par les poètes grecs. Nietzsche y aurait vu une dissonance et un procédé grotesque, une sorte Wagner non pas chaste mais hédoniste.
Mais au fait, quelle est cette chose qui sonne faux, ou du moins me mettrait en porte à faux face à ce héros musical qui rassemblait les fans par milliers en suscitant chez certain un culte de l’idole aussi appuyé que la vénération d’un gourou par les adeptes d’une secte. Il n’y a pas de secte mais juste des millions de fans, quoique, disons des millions de Français qui apprécient ce chanteur et des fans par centaines de mille. Il y a quelque chose de narcissique dans cet engouement pour Johnny et d’ailleurs, le personnage l’est aussi. Entre Johnny et ses fans, c’est une relation narcissique accompagnée d’un thymos sincère. Johnny est bon disent ces amis. Oui, il est bon mais si on est de sa tribu. Un groupe de gens qui s’admirent et dont l’âme se reflète dans le héros du rock chanté à la française. Johnny, le héros des bons gars aurait dit Nietzsche pour compléter la généalogie de la morale ; Johnny, apôtre de la société du spectacle.
Ce narcissisme à la française est venu sur le tard car à ses début, la rock attitude avait un côté sincère, joyeux, volubile pour ne pas dire juvénile. La société narcissique et le culte du moi sont arrivés en France dans les années 80, quelques temps après le phénomène similaire aux Etats-Unis si bien analysé par Lasch. Le narcissique est aussi un phénomène émergent lié à la société du spectacle et aux médias de masse. Je ne porte pas de jugement de valeur. Si les français veulent s’admirer et admirer Johnny, qu’ils le fassent. Qu’ils l’admirent, qu’ils l’adorent, mais sans moi. Nous sommes en vérité tous un peu narcissiques, nous avons tous un peu de Johnny, cette propension à nous regarder dans la glace pour nous voir en peine ou en rebelle, fracassé par l’existence ou extasié par la délivrance que procure une Harley-Davidson qui fait de nous une personne dont nous avons besoin… de personne. Nous sommes tous un peu capricieux, comme Johnny qui tel un parrain de la faune du show-biz, zappait les uns et gerbait quelques autres qui ont le malheur de rire comme un sergent. Cela dit, Johnny était un personnage plus complexe, comme du reste la plupart de ceux qui, le voulant ou non, sont captés par un dessein national. Johnny, un brave gars au fond, qui se cherchait en sachant se perdre. Se perdre dans le regard de la foule narcissique qui l’admirait. La ruse du miroir aurait dit Hegel. L’âme du peuple veut son image ! Johnny, quelle présence dans le Dasein du peuple français !
Adieu les années yéyé, adieu les illusions françaises, adieu Johnny, RIP