Journée de lutte contre le harcèlement scolaire : est-elle utile ?
par Sylvain Rakotoarison
jeudi 9 novembre 2023
« Cette année, nous avons voulu donner à cette journée une ampleur inédite. Jeudi prochain, les cours s’arrêteront pendant deux heures dans toutes les classes de France pour un temps dédié à la lutte contre le harcèlement. Les équipes éducatives échangeront avec les élèves sur ce phénomène et un outil d’auto-évaluation sera proposé à tous les élèves. (…) Nous pousserons plus loin notre action avec le développement de temps dédiés à l’apprentissage de l’autre, de la différence, de la tolérance et de la bienveillance dans toutes les écoles primaires dès la rentrée de septembre prochain, et dans une école par département à partir de janvier. » (Gabriel Attal, le 7 novembre 2023 à l'hémicycle).
Ce jeudi 9 novembre 2023, c'est la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. Depuis quelques années, la société s'inquiète du harcèlement, pas seulement en milieu scolaire, aussi dans les milieux familiaux, associatifs, politiques et professionnels, etc. Le harcèlement est une plaie qui pourrit la vie de près d'un enfant scolarisé sur dix (plus de 700 000 élèves !) et de nombreux adultes : harcèlement des femmes, sexuel, professionnel, etc.
L'État a pris de plus en plus la mesure de l'ampleur de la difficulté en milieu scolaire car cet harcèlement s'abat sur des êtres qui ont encore du mal à prendre du recul, à se défendre. Plusieurs suicides d'adolescents ont alerté ces dernières années et les pouvoirs publics veulent agir en conséquence. En particulier, le suicide de Nicolas à Poissy a fait de la lutte contre le harcèlement scolaire une « priorité absolue » du gouvernement pour cette rentrée scolaire 2023. Une enveloppe de 30 millions d'euros consacrée à la lutte contre le harcèlement scolaire a été votée dans la nuit du 3 au 4 novembre 2023 dans l'examen du projet de loi de finances de 2024. Il s'agit notamment de la création de brigades anti-harcèlement dans chaque académie représentant 150 emplois.
La Première Ministre Élisabeth Borne a ainsi présenté un plan d'action globale de lutte contre le harcèlement à l'école le mercredi 27 septembre 2023 : « Que vous soyez un élève victime de harcèlement, un témoin d'actes inacceptables, un parent désemparé face à ce que subit son enfant, un enseignant ou membre de la communauté éducative inquiet devant certains faits, vous n'êtes pas seuls ! ». Le plan du gouvernement pourrait se résumer à ce triple mot d'ordre : 100% prévention, 100% détection et 100% solutions. Parmi les solutions, la chef du gouvernement a mis en garde : « Nous allons permettre d'exclure les élèves harceleurs des réseaux sociaux. (…) Nous voulons des sanctions rapides en classe comme sur les réseaux sociaux. ».
Le Ministre délégué chargé de la Transition numérique Jean-Noël Barrot a complété : « Nous allons ouvrir la possibilité pour le juge de la détention et de la liberté et le juge d'instruction, de prescrire cette mesure de bannissement dans le cadre d'un contrôle judiciaire sans attendre qu'une peine soit prononcée. (…) Lorsque l'on est victime ou témoin de violences en ligne et en particulier de cyberharcèlement scolaire, il y a une chose à faire c'est signaler. ». Le Ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a évoqué aussi la confiscation automatique du smartphone de l'élève harceleur : « S'il a bien sûr servi pour les faits de harcèlement, la confiscation définitive sera décidée par la juridiction pour mineurs. ».
L'un des points forts de ce plan, c'est aussi que, lorsque le harcèlement est grave, c'est l'élève qui est l'auteur du harcèlement qui devra quitter l'établissement et pas sa victime comme c'était trop souvent le cas : « Un décret important prévoit désormais que c'est au harceleur de changer d'établissement et non plus harcelé. ». Dans la prévention, l'institution de « cours d'empathie » (à partir de 2024) est prévue sur le modèle de pays comme le Danemark : « Le harcèlement scolaire s'est effondré dans ce pays grâce à cette stratégie. » a précisé Gabriel Attal le 27 septembre 2023.
La détermination du nouveau Ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, grand animal médiatique et politique, ne fait aucun doute et il a passé beaucoup de temps à se rendre dans des établissements scolaires pour apporter la "bonne parole". Le harcèlement scolaire est désormais un délit, il est grave puisqu'il peut entraîner jusqu'au suicide de la victime. Tout doit donc être mis en place pour que des signalements puissent empêcher le pire.
Le principal outil pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire, c'est donc la parole ! Parler. L'enfant harcelé est généralement honteux de sa situation et se livre rarement (parfois) à sa famille, à ses parents. La communauté éducative est là aussi pour recueillir ces signaux. Un module électronique sera proposé aux parents à partir de janvier 2024 pour détecter les signaux faibles d'un harcèlement.
Il y a une multitude de raisons pour harceler un gamin. D'abord, parce qu'il peut être Autre, la différence avec les autres : religion (supposée), sexe, couleur de peau, poids, taille, handicap physique, milieu social très différent, "fayot" (bon élève), accent linguistique, etc. Ou tout simplement parce qu'il a montré une faiblesse quelconque, un isolement, une asociabilité, une tristesse, etc. Les harceleurs sont plutôt des lâches, s'en prennent aux plus faibles, à ceux qui ne peuvent pas (ou ne savent pas) se défendre, et souvent à plusieurs, par effet de groupe, de meute.
L'introduction des réseaux sociaux depuis une dizaine d'années a renforcé le phénomène car le harcèlement peut devenir rapidement du cyberhacèlement, ce qui rend la vie impossible à la victime tout le temps puisque le harcèlement dont elle est la victime la poursuit au-delà du temps scolaire jusque dans sa chambre à coucher, chez elle, un lieu normalement qui est synonyme de sécurité absolue face à l'extérieur possiblement hostile.
L'efficacité de la lutte contre le harcèlement scolaire se repose aussi sur les témoins, les élèves qui ne participent pas au harcèlement mais qui sont présents. C'est la principale action du gouvernement et l'utilité d'une Journée nationale du harcèlement scolaire : impliquer les témoins, initialement qui ne se sentaient pas concernés, en leur donnant la responsabilité d'alerter voire de faire arrêter ce harcèlement, d'être acteur de la lutte contre le harcèlement qui, demain, pourrait les rendre eux-mêmes victimes.
Le problème a souvent été que dans les établissements scolaires, la direction entendait réduire au maximum les "affaires" et les scandales, en dédramatisait voire en ignorant, pour qu'il n'y ait "pas de vagues" ni de mauvaise réputation. Donc l'action du gouvernement est de sensibiliser tous les acteurs de l'Éducation nationale : les élèves pour ne pas laisser un de leur camarade dans les difficultés du harcèlement ou pour prendre conscience, le cas échéant, qu'ils sont eux-mêmes des fauteurs de harcèlement en se moquant ainsi en croyant que c'est sans conséquence, les parents pour qu'ils s'aperçoivent rapidement d'un harcèlement de leur enfant, le personnel éducatif, soit pour alerter, soit pour prendre en charge le dossier (proviseur, principal).
Ce 9 novembre 2023, le Ministère a mis en place un questionnaire très détaillé à faire remplir aux 7,5 millions d'élèves du CE2 à la Terminale jusqu'au 15 novembre 2023. Le questionnaire, dont les réponses resteront anonymes, a été construit avec des spécialistes de la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent et des spécialistes du climat scolaire : le professeur Marcel Rufo, Éric de Barbieux et le docteur Nicole Catheline. Cela permettra à l'administration d'avoir une vision d'ensemble du phénomène, et aussi à certains élèves qu'ils sont en situation de harcèlement, car la prise de conscience n'est pas toujours là.
Répondant à la question d'une députée de la majorité (Céline Calvez) à la séance de questions au gouvernement le 7 novembre 2023 à l'Assemblée Nationale, Gabriel Attal a justifié ce questionnaire : « On constate que les élèves qui subissent du harcèlement finissent malheureusement par élever leur seuil de tolérance, sans même s’en rendre compte, et acceptent, pour se protéger eux-mêmes, des choses qui ne peuvent pas être acceptées. Ce questionnaire permettra de libérer davantage la parole. Il nous permettra aussi de collecter des données actualisées au niveau national : les dernières données sur le harcèlement dont nous disposons datent de 2011, à l’époque, TikTok et Snapchat n’existaient pas. ».
En parler, prendre le temps d'en parler, si possible par anticipation, avant tout harcèlement, sera la meilleure lutte contre le harcèlement à l'école. Des résultats forts sont donc attendus très prochainement pour apporter la preuve de l'efficacité de ces mesures. Les enfants n'attendent pas.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (08 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
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