Justice : de Monchal à Hortefeux

par Fergus
lundi 20 septembre 2010

Faire appel à des jurés populaires* est une belle chose. Qui mieux que les citoyens d’une nation est à même de juger les justiciables pour les fautes qu’ils ont commises. Certes, mais il serait illusoire de croire qu’il s’agit là de la panacée en matière de justice. Pour une raison simple : les jurés sont des êtres humains, terriblement humains, confrontés à leur raison mais aussi à leurs instincts et leurs passions, à leurs forces mais aussi à leurs faiblesses, confrontés parfois aux manipulations de tous ordres, au bruit médiatique, à la pression sociale. En un mot, des femmes et des hommes faillibles.

Christophe Monchal a été acquitté, et les parents de sa victime, Joseph Guerdner, constitués en partie civile ne pourront pas faire appel de ce verdict. Le gendarme Monchal est par conséquent libre, les jurés de la Cour d’assises du Var ayant estimé qu’il était légitime de la part de ce militaire de tirer sept fois dans le dos d’un fuyard désarmé, menotté et partiellement entravé des jambes. Un fuyard qui constituait à l’évidence une menace grave et imminente pour la société ! Au point qu’il s’est avéré nécessaire d’atteindre Joseph Guerdner de deux nouvelles balles dans le corps alors qu’une première l’avait d’ores et déjà blessé.


La loi est ainsi faite : si un policier ne peut faire usage de son arme de service qu’en état de légitime défense, un gendarme peut, tout en restant dans son droit, tirer un fuyard comme un lapin et même le cribler de balles. Tout juste lui demande-t-on, dans la mesure du possible, de viser les jambes pour neutraliser l’individu. Mais sans obligation de résultat. Et si, par une malchance insigne, ce fuyard est atteint de trois balles dans le dos, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat, les règlements ayant été scrupuleusement respectés comme l’a confirmé la Cour d’assises de Draguignan.


Faute d’avoir eu accès au dossier, d’avoir assisté aux débats, d’avoir entendu les parties et les experts, d’avoir écouté le réquisitoire et les plaidoiries, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de porter un regard totalement objectif sur le verdict de ce procès. Certes. Mais cela n’empêche pas d’énoncer des faits et de déduire des conséquences possibles, non sur cette affaire particulière mais sur le contexte plus général d’un procès d’assises.


Les faits. 1) Contrairement aux États-Unis où l’unanimité des 12 jurés est nécessaire pour rendre une décision de culpabilité d’un accusé, il suffit en France d’une majorité qualifiée de 8 voix sur 12 pour emporter cette décision. 2) Contrairement aux États-Unis où les 12 jurés sont tous des citoyens tirés au sort, ne siègent en France que 9 jurés tirés au sort encadrés par 3 magistrats professionnels : le président de la Cour d’assises et ses 2 assesseurs. 3) Ni aux États-Unis ni en France les jurés populaires n’ont accès au dossier d’instruction et leur conviction doit se faire sur les seuls éléments évoqués durant les audiences. Les 3 magistrats ont, eux, bien évidemment un accès total à l’ensemble des pièces de la procédure.


Les conséquences possibles. Disons-le tout net : dans l’écrasante majorité des procès d’assises, au-delà de la protection de la société défendue par l’avocat général, seuls des intérêts privés sont en cause : ceux de la partie accusée d’une part, ceux de la partie victime d’autre part. Il en résulte des débats plus ou moins sereins, mais non (ou très peu) pollués par des influences, voire des pressions extérieures, et rarement relayés par les médias au niveau national. Cela cesse d’être le cas pour les procès mettant en scène des caciques politiques, des grands patrons ou les membres de corps constitués bénéficiant d’un fort soutien syndical ou de l’appui de puissants lobbies comme on le constate très souvent dans les affaires qui mettent en cause des policiers ou des gendarmes poursuivis pour des homicides commis dans des circonstances troubles ou en possible violation des règles d’usage de leur arme de service.


Inutile de se voiler la face, les pressions directes ou indirectes sont presque toujours présentes dans de tels cas, qu’elles émanent de la classe politique, des syndicats ou de la vox populi. Des pressions qui devraient en principe laisser de marbre un jury réputé totalement indépendant. Et c’est là que le bât peut blesser dans certaines affaires sensibles, non seulement dans la conduite des débats, parfois visiblement orientés, mais surtout dans la délibération.


Le législateur a voulu que les jurés populaires soient encadrés par des magistrats pour structurer cette délibération et lui permettre de se dérouler dans la sérénité et la méthode. Il a aussi voulu tempérer les éventuelles dérives qui pourraient résulter d’un climat de passion peu propice à rendre une justice sereine. Ce noble objectif a pourtant son revers : la possible manipulation par des magistrats plus ou moins téléguidés, sinon par des consignes (évidemment non écrites) de la Chancellerie, du moins par des considérations politiques fortement incitatives visant à prévenir des frondes syndicales ou à brosser tel ou tel électorat dans le sens du poil.


La délibération peut alors prendre un tour particulier sous la conduite d’un président autoritaire qui use de toutes les ficelles pour obtenir le verdict qu’il a pour mission de délivrer. Á ses côtés, les assesseurs, pourtant théoriquement indépendants, ne sont la plupart du temps dans de tels procès, que des supplétifs zélés. Et pour cause : ces magistrats subalternes n’ont, en terme de carrière, aucun intérêt à s’aliéner la sympathie d’un président de Cour puissant et influent. Il ne reste plus, dès lors, qu’à convaincre 5 des 9 jurés tirés au sort pour obtenir les 8 voix nécessaires. La chose est d’autant moins difficile qu’il y a toujours dans un jury des personnes dont les opinions vont dans le sens recherché, et d’autres qui se révèlent très influençables et sur qui la personnalité du président mais également son impressionnant habit de Cour exercent une forte impression. Tout ne se passe évidemment pas aussi simplement et il peut arriver que la présence d’un ou deux jurés peu enclins à se laisser manipuler, ou d’une majorité de jurés bien décidés à aller au fond des choses en dehors de toute influence, mette le président en échec. Mais la chose est probablement rare, et c’est ainsi que, régulièrement, certains verdicts, particulièrement décalés par rapport aux faits dans des affaires sensibles, font polémique.


Les jurys populaires ne sont donc pas la panacée, mais ils valent bien les jurys de magistrats professionnels dont le fonctionnement peut être perverti par des considérations de carrière et de fortes pressions politiques. En cela, le système français est probablement sinon la meilleure, du moins la solution la moins mauvaise pour rendre une justice équitable.


De là à élargir, comme le propose Brice Hortefeux hors de son champ de compétence, le recours à des jurés tirés au sort pour certaines affaires correctionnelles, pourquoi pas ? L’idée n’est pas forcément mauvaise, même si elle risque de se heurter à d’évidentes difficultés budgétaires. Mettre en place en revanche des JAP (juges d’application des peines) élus par les citoyens relève de la provocation pure et simple et vise manifestement à cliver le pays en relançant les dissensions entre police et magistrature d’une part, et en brossant dans le sens du poil un électorat en demande d’une répression toujours plus grande d’autre part. Mais on est là dans la politique politicienne, loin de la sérénité qui devrait s’imposer à tous les acteurs de la justice, et cela, c’est une calamité !

 

* L’introduction de jurés populaires dans les procès d’assises date de 1791. Depuis 1978, les jurés populaires sont tirés au sort sur les listes électorales.

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