Justice pour la police
par Philippe Bilger
mardi 20 février 2007
Qu’on ne compte pas sur moi pour participer si peu que ce soit à une offensive partiale et corporatiste contre la police. Magistrat, je me sens plus solidaire d’elle que désireux de la fragiliser par des critiques injustes.
Un mot d’abord, pour souligner le caractère ridicule de la polémique engagée par deux syndicats de magistrats - l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) - à l’encontre de Martine Monteil, remarquable Directeur de la Police judiciaire qui, pensez donc, au cours d’une manifestation fêtant les cent ans de la Police judiciaire, a souhaité la victoire de Nicolas Sarkozy à la prochaine élection présidentielle. J’espère que cette pitoyable tempête est déjà brisée net par son absurdité même.
Beaucoup plus sérieuses sont les accusations formulées contre les services de police, dans le rapport 2006 de la direction des affaires criminelles et des grâces sur la politique pénale. Un "constat largement partagé" émanant des procureurs dénonce "l’affaiblissement de la qualité des procédures" dressées par la police et la gendarmerie. Je tire ces informations d’un article de Nathalie Guibert dans le Monde daté du 16 février. Sont mises en cause aussi bien, dans la forme, une maîtrise insuffisante des règles procédurales fondamentales, la violation très dommageable de certaines mentions obligatoires, une connaissance médiocre des réformes pénales multipliées ces dernières années, qu’au fond l’absence de rigueur dans la conduite des investigations, une mauvaise qualité des enquêtes et une rédaction parfois incorrecte. Je n’ai aucune raison de douter de ces appréciations qui synthétisent ce que beaucoup de mes collègues, chefs de parquet, ont relevé. Je crois d’autant plus volontiers à leur validité que dans l’examen des seules procédures criminelles à la cour d’assises de Paris, j’ai moi-même remarqué des lacunes et des carences regrettables qui ne sont pas pour rien dans la légère augmentation des acquittements. Il est manifeste qu’une prise de conscience est nécessaire pour favoriser l’accomplissement de diligences plus complètes, cohérentes et maîtrisées. Je note aussi une autre difficulté se rapportant à l’oralité des débats : de plus en plus de fonctionnaires de police cités comme témoins sont empruntés et manquent des qualités qui facilitent les auditions, mémoire, maniement du langage et faculté de synthèse. Il serait utile qu’une formation soit dispensée pour prévenir, autant que faire se peut, des catastrophes judiciaires. L’exercice du témoignage est suffisamment difficile pour qu’on ne s’offusque pas, du côté de la police, d’un tel apprentissage.
N’accablons tout de même pas les policiers et les gendarmes sans souligner que la procédure pénale, en évoluant sans cesse, non seulement a déstabilisé les enquêteurs mais a surtout, en multipliant les règles et les formalités, favorisé l’émergence d’une bureaucratie qu’il est malaisé d’appréhender sans commettre de faute. Cette prolifération oblige le fonctionnaire à se soumettre à la dictature du papier plutôt que de s’attacher à la confrontation des êtres et des visages. La bureaucratie procédurale est à la fois la cause des errements constatés dans le rapport et leur excuse.
Enfin, pour que le procès fait à la police soit équitable, il faut relier ce qu’on dénonce dans ses enquêtes à son état général, en quelque sorte. Rappelons que les suicides de policiers ont augmenté en 2006, quarante-huit agents ayant mis fin à leurs jours. Les demandes d’aide psychologique ont explosé au lendemain des émeutes urbaines. En 2006 également, plus de 26 000 appels ont été adressés à la permanence téléphonique des psychologues de la Place Beauvau (Le Figaro). Ce survol montre à quel point la mission nécessaire de la police s’exerce dans des conditions épouvantablement difficiles, qui viennent en particulier de la méfiance voire de l’hostilité du citoyen à son égard, sauf quand il a personnellement besoin d’elle. On la voudrait tranquille, sereine et efficace quand, en notre nom, elle s’affronte à une délinquance qui la met à rude épreuve.
Je réclame justice pour la police. C’est seulement grâce à cette équité qu’elle sera susceptible d’écouter nos reproches légitimes et nos encouragements civiques.