L’accès au logement : « Mais c’est pas possible, ça ! »

par Voris : compte fermé
lundi 5 février 2007

Traité de « looser » par PPDA dans un sketch des Guignols, l’abbé Pierre fait aussi dire au Nouvel Observateur : « Et s’il avait échoué ? » La loi sur le droit au logement opposable doit porter son nom, mais c’est surtout le donquichottisme qui a fait bouger les choses, et permis au passage aux dirigeants de ce pays de faire leur grand spectacle : Le « SDF show » qui tient chaud. Avec la main sur le cœur dont ils se disputent le monopole. Ce grand spectacle n’entamera pas la campagne de Sarkozy qui avance tel un rouleau compresseur. Champion des promesses en tout genre, l’homme qui se pose comme l’héritier de Jean Jaurès pourrait rafler la mise en avril ! Et si l’abbé Pierre avait travaillé toute sa vie pour en arriver à çà ?

Un constat d’échec :

La Fondation L’Abbé Pierre, dans son dernier rapport annuel sur l’état du mal-logement en France, révèle une donnée effrayante : la France compterait plus de 10 % de mal-logés. Plus de 3,2 millions de personnes n’auraient pas de logement ou seraient très mal logées et près de 6 millions d’autres vivraient dans de telles conditions de précarité qu’elles pourraient rapidement basculer dans la première catégorie. En grande majorité, la population décrite dans le rapport n’est pas « sans toit ». L’Insee recense ceux que l’on appelle communément les SDF. Ils seraient entre 80 000 et 100 000. De son côté, le CERC a estimé à 16 000 le nombre d ‘enfants qui sont sans domicile fixe, un chiffre inquiétant pour un pays qui se veut la figure de proue des droits de l’homme et de l’égalité républicaine.

Alors qu’il y a un gros effort à faire du côté de l’offre immobilière sociale, le dispositif développé ne va pas dans le sens de l’aide aux plus démunis : les PLS, sorte de HLM "haut de gamme" ont vu leur construction multipliée par 2,5 depuis 2002. S’ils sont soumis à condition de ressources, les plafonds de revenus permettent à 82% des ménages d’y accéder. Et leurs loyers sont supérieurs en moyenne de 40 % à ceux des logements sociaux ordinaires. Mais dans le même temps, les mises en chantier des HLM de catégories Plus et Plai, accessibles aux ménages se situant dans les deux tiers inférieurs de l’échelle des revenus, n’ont progressé que de 4%. Conséquence : si les mises en chantier dans le secteur social affichent une progression spectaculaire de 43% depuis 2002, cette hausse est gonflée par la proportion de PLS (10 % de l’offre nouvelle en 2000, 30% en 2005, 40% prévus en 2009, selon les objectifs du plan de cohésion sociale). Cette évolution permet à l’Etat de « faire du chiffre », et à bon marché, car les PLS ne sont pas assortis de subventions directes de l’Etat, mais uniquement d’aides fiscales : TVA à 5,5% et exonération de la taxe foncière. Notons toutefois que le Sénat vient d’adopter un amendement au projet de loi et qui vise à "accentuer l’effort de construction en faveur de logements très sociaux". Il porte à 591 000 le nombre de logements sociaux à construire sur la période 2005-2009, soit 91 000 de plus que prévu par le plan de cohésion sociale de 2005.

Un droit au logement enfin opposable ?

Le Premier ministre a permis en mai 2006 aux collectivités territoriales volontaires d’expérimenter la mise en oeuvre locale du droit au logement opposable. Xavier Emmanuelli, le président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), a rendu public, le 3 janvier 2007, le rapport sur l’expérimentation locale du droit au logement opposable. Le calendrier de la mise en œuvre de la loi que propose le HCLPD est le suivant :

- fin 2008 : obligation de proposer un hébergement digne à toute personne en situation d’urgence ;
- mai 2012 : droit au logement pour toute famille avec enfants ;
- mars 2014 : droit au logement pour tous.

L’association Don Quichotte est venue placer l’enjeu sous les feux brûlants de l’actualité et au coeur de la campagne électorale. Dès lors, le gouvernement s’est activé et les candidats à la présidentielle ont fait des promesses. « Mais c’est pas possible, ça ! », dirait l’Abbé des Guignols. C’est "pas possible" de tenir pour réalistes les promesses faites par certains candidats ou gouvernants. Mais c’est "pas possible" non plus d’admettre cette situation comme une fatalité, de rester sans rien faire ou de se reposer sur le système d’aides existant. De nombreuses réserves et critiques fusent de tous les côtés : de la « Plate-forme pour un droit au logement opposable » (groupe de 60 associations), du syndicat de la magistrature, du syndicat de la juridiction administrative, de l’Association des maires de grandes villes de France, de l’association « Terre d’asile », de la FNARS (fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Près des trois quarts des Français sondés par TNS-SOFRES (pour le promoteur immobilier Nexity) pensent que les mesures prises par le gouvernement Villepin sont inefficaces.

Rappelons que le droit au logement est récent. Inscrit dans la loi depuis 1989, il existe surtout depuis la loi dite "Besson" du 31 mai 1990. Étonnamment, si le droit de propriété fut garanti dès la Révolution dans la Déclaration de 1789, le droit pour chacun d’avoir un toit n’était prévu nulle part. Aujourd’hui le droit au logement existe et l’on parle autant de droit à l’accès que de droit au maintien, dans un logement décent et salubre. Ce droit va devenir opposable. Faut-il aller au-delà et aller dans le sens de ce que réclame Marie-Noëlle Lienemann -ex secrétaire d’état au logement- dans son article sur Agoravox du 2 janvier et dans sa lettre à Jacques Chirac, à savoir l’inscription du droit au logement opposable comme principe constitutionnel ? Je ne le pense pas, car la constitutionnalité est une chose qui doit se faire à l’épreuve du temps. Il n’est jamais bon d’aller trop vite dans la rédaction dans le marbre de principes nouveaux (L’inscription actuelle du principe de l’abolition de la peine de mort a mis 25 ans à aboutir et répond à un besoin précis : permettre à la France de ratifier des textes internationaux). D’ailleurs, le Conseil constitutionnel regarde déjà le droit au logement comme un objectif à valeur constitutionnelle.

L’exemple de l’Ecosse qui a voté le Homelessness Scotland Act en 2003 est intéressant : cette loi de 2003 soumet les communes écossaises à une obligation de résultat en matière de logement, et non plus seulement à une obligation de moyens. Son entrée en vigueur est progressive et ce n’est qu’en 2012 que les communes devront impérativement fournir un logement stable à toute personne en faisant la demande. Trois ans après son adoption, on ne peut donc tirer un bilan complet de sa mise en œuvre mais les premiers éléments sont cependant encourageants. Mais revenons à la France.

Qui, de l’Etat ou des collectivités locales, sera responsable ?

C’est l’Etat qui garantira la mise en oeuvre du droit au logement : Le Sénat a adopté dans la nuit du 30 au 31 janvier, les deux premiers articles du projet de loi. Il prévoit que l’Etat garantira la "mise en oeuvre" de ce principe "à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière (...), n’est pas en mesure d’accéder (à une habitation) par ses propres moyens ou de s’y maintenir". Mais les collectivités locales resteront les acteurs de terrain. L’Etat pourra se substituer à la collectivité défaillante ou la contraindre.

Pour ce qui concerne les collectivités locales, le rapport du HCLPD (Haut Comité pour le logement des personnes défavorisés), rendu public le 3 janvier 2007, dit que l’opposabilité entraînera des obligations pour toute collectivité à hauteur des compétences qu’elles détient : une responsabilité de première ligne qui fera peser une obligation de résultat sur une autorité et une seule, et une responsabilité de seconde ligne qui mettra à la charge de toute autorité compétente une obligation de moyens. Le cas particulier de la région parisienne, des zones urbaines où la situation du logement est tendue (les départements d’outre-mer ou les grandes agglomérations urbaines par exemple), devrait faire l’objet d’une analyse approfondie spécifique.

La procédure d’opposabilité :

Toujours selon le rapport, il s’agirait de privilégier la recherche d’accord entre les partenaires et le recours amiable, de rendre possible le recours juridictionnel pour garantir le droit. Le tribunal pourra prononcer une injonction de loger à l’autorité responsable.

Après le Sénat, c’est l’Assemblée nationale qui examinera le projet à partir de la mi-février. En attendant, Serge Paugam, journaliste au Nouvel Observateur interpelle : Quand les Français découvrent l’abbé Pierre en 1954, dit-il, on comptait 2 000 sans-logis à Paris. Aujourd’hui, on en dénombre près de 12 000. Ces derniers années, les politiques ont tous encensé l’abbé Pierre. Mais ils n’ont pas fait grand-chose pour que soit appliqué le quota de 20% de logements sociaux prévu par la loi dans chaque commune. Si l’abbé Pierre a su initier des actions de générosité en faveur des plus démunis, son interpellation des responsables politiques a globalement échoué.

"Ah ! Mais c’est pas possible ça !", dirait l’Abbé...

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