L’adieu par la plume …
par C’est Nabum
mardi 4 décembre 2012
En direct de ma Segpa
Les écrits de leurs douleurs.
Vous vous souvenez sans doute des trois lettres de Poilus que j'avais donné à lire à mes élèves. L'une d'elles les a particulièrement touchés. C'était celle de Charles qui annonçait à sa femme qu'il allait mourir d'une blessure qui ne pouvait guérir. Parce qu'elle était courte, parce qu'elle disait des mots tendres, parce qu'il était question d'un enfant qui ne verrait jamais son père .. Je n'ai pas cherché à découvrir, comprendre ce qui peut expliquer la force de ce dernier message.
J'ai simplement souhaité profiter de l'engouement ou de l'émotion pour oser aborder un thème à risque, un sujet délicat : les adieux. Mes élèves, qui ne sont ni faciles, ni en paix avec l'écriture, devaient imaginer une lettre de séparation, un ultime message sans retour. Je devinais bien les dérives possibles, les pièges dans lesquels ils ne manqueraient pas de m'entraîner.
Nous avons pris le temps de structurer le message demandé, tout en fixant un cadre rigoureux. Il ne fallait pas que me reviennent des réactions scandalisées de la part de parents qui hélas, regardent que bien trop rarement le travail de leurs enfants. Mais il suffit d'une fois pour déclencher parfois des réactions furieuses …
J'ai insisté sur la nécessité de créer une fiction, d'utiliser un prénom factice, un lien imaginaire pour éviter une réaction trop forte, trop émotive. Certains, n'ont pas pu respecter cette recommandation, trop pris parce qu'ils avaient entrepris. Je leur ai demandé simplement trois petits paragraphes de cinq lignes, cherchant à reproduire la structure simplifiée du dernier message de Charles.
Une première partie pour annoncer progressivement, délicatement si possible, le drame à venir, une seconde pour l'expliquer avec quelques détails, une dernière pour évoquer les regrets et les émotions, les souvenirs à jamais perdus. À ma grande surprise, beaucoup ont cherché à suivre ce canevas.
Nous avons ensuite dressé la liste des motifs possibles pour des adieux. La mort bien sûr, très présente, immédiatement dans les propositions de ces jeunes. Le suicide fut même évoqué et une jeune fille voulut choisir ce motif. Je me suis permis de l'en dissuader afin d'éviter une spirale infernale, un engrenage qui est si dangereux à cet âge.
Petit à petit, d'autres suggestions se firent : la fugue, le départ, le déménagement, le retour au pays, la séparation, le divorce. Nous étions au cœur de ce qu'ils peuvent avoir vécu sans jamais avoir cherché à mettre des mots sur ces drames du quotidien. Il ne leur restait plus qu'à trouver une personne à qui il devait dire adieu lors d'une dernière lettre, comme le fit en son temps le pauvre Charles sur son lit de douleur.
Il m'a fallu beaucoup de temps pour vous présenter le contexte. C'est que j'ai fait de même en classe, prenant de nombreuses précautions oratoires et formelles pour que cet exercice puisse se faire dans un environnement et dans un climat de qualité. Ce fut le cas à n'en point douter et ce qu'ils produisirent ensuite valait à mes yeux, les efforts demandés.
Je n'aurai pas l'indélicatesse de reproduire ici des extraits de ces lettres si secrètes. Aucun n'a souhaité lire à haute-voix ce qui lui avait demandé tant d'efforts. Ils ont respecté, chose rare, la consigne de confidentialité, ne venant qu'un par un au bureau pour obtenir une correction, un conseil, une petite retouche pour une phrase un peu bancale.
J'ai vu des élèves aux yeux rougis, des larmes coulaient même de quelques visages. Une jeune fille, envahie par l'émotion, demanda à sortir quelques minutes pour reprendre ses esprits. Ce n'était pas feint, ce fut un de ces moments rares qui donnent toute sa signification et sa grandeur à ce métier si merveilleux et si douloureux …
Des failles du réel sont évidemment apparues au cours de ces lignes délicates. La mort fut plus présente que je ne l'aurais souhaité. Elle s'exprimait par des accidents de la route, des maladies incurables. Elle fait partie du décor malheureusement. D'autres propos plus insidieux pointèrent le bout de leur vilain visage. Des coups à la maison, des menaces et des situations invivables trop vraies pour être imagination.
Des drames plus ordinaires montrèrent pourtant à quel point ils peuvent toucher profondément un adolescent qui donne toujours l'impression de se moquer de tout. Le départ d'un grand frère, engagé dans l'armée et qui n'est plus à la maison, le déménagement d'une voisine à qui l'on n’a jamais pu avouer son amour, la dernière rupture amoureuse qui a fait des ravages sans qu'on s'en rende vraiment compte !
Je suis entré par effraction dans des intimités, j'ai découvert des faces cachées. Je n'en peux rien dire, il faut jouer le jeu de la supposée fiction. Ces aveux dissimulés, ces craintes et ces douleurs, je souhaite que de les avoir ainsi couchés sur le papier, auront fait grandir ces adolescents qu'on déclare si souvent incapables d'écrire ….
Bien sûr, il y eut trois provocations, des garçons qui sont si souvent évoqués pour leurs manières détestables. Deux prétendaient devoir fuir le pays parce qu'ils devaient échapper à la police dans une sombre affaire de stupéfiants naturellement. Je n'ai rien dit, j'ai simplement repris la forme et l'orthographe. Je n'attends rien de mieux pour l'instant de ces pauvres messieurs. Le troisième partait en prison après avoir trucidé son professeur. Là, je l'ai prié de changer de victime par correction.
Vous voyez, le métier demeure toujours exercice d'équilibriste, même quand tout semble aller bien, il y a la possibilité d'un dérapage, le besoin de se confronter. On me rétorquera du côté des bons esprits que je l'avais bien cherché. Je leur concède cette remarque, il est sans doute préférable de ne rien faire !
Expressionécritement leur.