L’allégorie de Rapanui

par Michel Tarrier
vendredi 7 octobre 2011

Quand on veut faire passer le message de l’empreinte écologique, on choisit souvent comme cas d’école l’Île de Pâques pour expliquer comment une population insulaire s’est suicidée en outrepassant sa charge effective et en induisant l’épuisement des ressources insulaires, notamment l’éradication du palmier dont sa survie était tributaire. L’effondrement des Pascuans, que l’on pourrait, pour pasticher le titre d’un best-seller de Michel Houellebecq, intituler « l’impossibilité d’une île » correspond à une véritable modélisation mathématique dont il convient de s’inspirer.

La Terre n’est qu’une île aux fruits rationnés

Lorsque les premiers colons polynésiens découvrirent l'île, aux environ de l'an 900, une forêt subtropicale diversifiée couvrait ses 180 kilomètres carrés. Mais la population augmenta progressivement pour atteindre un effectif de quelque 20.000 personnes. La forêt fut défrichée et déboisée, non seulement pour donner la place aux cultures, mais aussi pour la fabrication de pirogues et pour la construction des longues rails qui devaient traîner les 857 statuts gigantesques des carrières jusqu’aux lieux d’érection. Dès 1400, comme il n’y avait plus un arbre et donc plus de pirogue pour aller à la rencontre des gros poissons, l’alimentation s’appauvrit et pour se nourrir il fallut, en désespoir de cause, chasser tous les oiseaux insulaires. Les rats importés se chargèrent de compléter l’écocide, tandis que l’érosion du sol empirait. En 1722, lorsque les Européens mirent le pied sur l’île, ils ne découvrirent qu’un millier de survivants, alors décrits comme « petits, maigres, effarouchés et misérables », et les statues de la mégalomanie gisant sur un sol pulvérulent.

 

Tuvalu et les couches-culottes religieusement correctes

Mieux encore est de réfléchir au petit état de l’archipel polynésien des Tuvalu : 5,6 kilomètres carrés, avec un taux de natalité de 5 enfants par femme et des familles dans l’impossibilité de vivre en autarcie, contraintes de tout importer, y compris des couches-culottes polluantes. La moitié de la population du royaume des Tuvalu vit sur les 2,6 kilomètres carrés de l'atoll de Funafuti. L’eau potable y est rare, polluée par l’élevage du porc, elle doit être importée. La culture des légumes traditionnels est devenue problématique car leurs racines supportent mal les infiltrations d'eau salée suite à l'élévation du niveau des eaux. Ce petit paradis en apparence sera la première nation évacuée pour cause de submersion due au réchauffement climatique. Un millier d’habitants, réfugiés climatiques, a déjà fui en Nouvelle-Zélande ou en Polynésie française. 97 % des Tuvaluans sont membres de l’église chrétienne protestante. Que l’on m’explique comment ne pas égratigner le tabou de la procréation, comment pouvoir considérer les habitants de Tuvalu comme une espèce divine, démiurge, contre-nature et hors sol pour ne pas blesser les susceptibilités, briser le religieusement correct, alors que l’impossibilité d’une surpopulation sur une île aux ressources limitées crève les yeux, et que pour comble de la fatalité, ils connaissent déjà ce que tous les terriens risquent bientôt de vivre : quitter leur île, et pour les autres, quitter la planète.

 

Tikopia n’est pas en Utopia

Il existe cependant un modèle de « la possibilité d’une île », dont l’exemplarité est rapportée par Jared Diamond, dans son livre Effondrement. C’est Tikopia qui ne se situe pas pour autant en Utopia ! Sur cette île mélanésienne des Salomon, perdue dans le Pacifique, la conscience écologique aiguë semble chevillée au mode d’existence et le millier d’habitants vivant parcimonieusement sur 5 km2 est stable depuis 3000 ans ! Mariage tardif, utilisation de plantes contraceptives et abortives, voire recours à l’infanticide, définissent une vraie politique de régulation démographique se superposant aux limites extrêmes des ressources locales. Les arbres, pour la plupart productifs, y sont sacrés. La surpêche fut évitée en limitant la consommation de poissons. Jugés trop coûteux en ressources, des porcs introduits furent sciemment éradiqués. On y observe aucune disparité sociale, les chefs coutumiers ne jouissant d’aucun privilège partagent pour l'essentiel le sort commun.

 

Libre à nos gouvernants de nous indiquer la voie à suivre pour que l’avenir de la planète Terre soit sur le modèle borné de Rapanui ou sur celui avisé de Tikopia. Libre à nous de vivre en toute myopie écologique, en peuplant à l’excès le globe, avec une empreinte démesurée et en complète inadéquation avec des ressources dont la finitude est une évidence.

 


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