L’apocalypse c’est maintenant ! (I) Chaos, dévoilement et ordre

par Bernard Dugué
mercredi 4 novembre 2015

Un coup d’œil sur l’Histoire, récente ou plus ancienne, permet de comprendre que le monde occidental a toujours été chaotique, avec des périodes de paix et de stabilité, mais aussi des époques tragiques pour ne pas dire apocalyptiques, terme sans doute galvaudé car nous n’avons eu aucune révélation, ou du moins nous n’avons vu rien de neuf hormis la traduction d’une nature humaine devenue autoritaire, belliqueuse, totalitaire, folle, lancée dans une destruction physique sans précédent. 1914-1945, une guerre mondiale de 30 ans.

2015, le chaos est toujours là mais il a pris une forme nouvelle en s’amplifiant. La dernière guerre conventionnelle a eu lieu en 2003 en Irak. Armée contre armée. Actuellement, la guerre est devenue fluide, délocalisée ; une guerre que les stratèges définissent comme asymétrique, avec des guérillas menées sur le terrain par des factions, assorties de frappes aériennes conduites par des nations, dans un contexte de flou diplomatique et géopolitique dont on voit la traduction édifiante dans le jeu de la Turquie. Une large zone est devenue instable, couvrant l’Afrique et le Moyen Orient. La Turquie a voté pour un parti conservateur, nationaliste, pratiquant une idéologie islamique et une politique autoritaire traduite par des coups sévères apportés à la liberté de la presse. En Europe, les tendances nationalistes s’accroissent. Le licenciement de Philippe Verdier laisse transparaître une tendance autoritaire de la France et la présence d’un techno-socialisme qui a fait place au socialisme qui fut mitterrandien, puis social-démocrate, puis social-pragmatique.

Le monde scientifique du 20ème siècle a troublé les consciences. Il y eut les réflexions du club de Rome après 1968, puis la mise en place d’un club de Budapest autour de personnalités en vue du monde des penseurs et des décideurs. 1992. Après l’intervention en Irak puis la chute de l’Empire soviétique, les élites unies des nations ont signé un agenda 21 lors du sommet de Rio. Depuis, l’ONU n’a cessé d’exercer quelques prérogatives de gestionnaire mondial des questions climatiques et sanitaires. Le GIEC est l’émanation de l’agenda 21. Un esprit très aiguisé saura trouver une cohérence entre la COP-21 et le devenir autoritaire de nombres de nations, la Turquie étant un exemple riche d’enseignement.

Que nous promet ce monde devenu autoritaire, signant la marque des structures de domination humaine assurée par des individus oeuvrant sous couvert de la légitimité de l’expertise avec une idéologie dissimulée, contrairement aux mouvances intégristes qui affichent la couleur ? La manipulation prend des formes distinctes dans un système démocratique géré par la technopolitique et un système théocratique.


(A) Un peu de métaphysique. Le chaos dans la pensée aboutit à une révélation. C’est du moins ce qu’on peut entendre dans la parole de Nietzsche (il faut avoir du chaos pour accoucher d’une étoile), à laquelle on associera une parole de Heidegger sur la clairière, sorte d’éclaircie dans la pensée faisant office de révélation. Une autre parole de Heidegger introduit la notion de dévoilement comme résultat de la technique, ajoutant de plus que l’essence de la technique n’a rien de technique. Avec une énigme. Quelle est cette essence et que dévoile la technique ? (La technique dévoile mais ne produit pas de révélation ou alors, c’est une autre technique… à méditer, vertiges métaphysiques assurés).

(B) Quelques signes du moment. L’année 2015 a vu se dessiner des événements qu’on doit considérer comme chaotiques, ou plus communément, comme du désordre et s’il y a lieu de la crise. Désordre, chaos et crise vont bien ensemble. En Israël, l’insurrection des couteaux représente un phénomène inédit depuis la période des attentats terroristes et l’intifada. La peur gagne la société israélienne. Le chaos moyen-oriental s’étend en Irak, en Syrie et même en Turquie sans oublier les zones périphériques elles aussi affectées, le Liban ou le Sinaï, sans oublier le Yémen. L’Europe se trouve face à une situation pratiquement ingérable qui risque de dégénérer à plus ou moins longue échéance. Un chiffre. Le nombre de migrants présents (nombre en évolution) représente 200 fois le campement de Calais. Quand on voit comment un Etat tel que la France peine à gérer la situation à Calais, on image l’étendue du problème. La situation est historique. C’est sans doute la crise de plus grande intensité que va traverser l’Europe depuis 1945. La Turquie montre aussi un visage trouble, qu’on ne lui connaissait pas lorsqu’elle se présentait voici 15 ans comme une démocratie laïque et présentable, ayant une légitimité à rejoindre l’Union européenne.

(C) Chaos et ordre. Auguste Comte, père du positivisme, fut l’inventeur d’une devise reprise par le Brésil : ordre et progrès ! Le progrès n’a plus cours actuellement. Il reste le perfectionnement scientifique, le chaos et l’ordre. Les signes du monde évoqués en (B) ne sont pas des caprices de la contingence. Ils sont au contraire des émergences et des dévoilements issus de tendances vieilles de dix ans. En Israël, la lassitude des population palestiniennes qui ne peuvent plus se projeter dans l’avenir. Mais ce n’est qu’un point particulier dans une tendance plus globale dont bien peu d’analystes savent donner les explications de fond. La technique, ce n’est pas seulement des opérations matérielles, des transformations de matériaux ; c’est aussi des interactions, des réseaux et des communications.

L’Internet a accéléré le chaos des informations alors que l’économie à globalisé ses productions, ce qui a créé des crises sociales. Sans oublier la finance frénétique qui croit sur un fond de chaos sociétal et de désirs exacerbés. Ce chaos d’information conduit en retour à une réaction des systèmes de contrôle sur les effets physiques et les normes sanitaires autant que mentales. Les réactions politiques se font avec les dispositifs normalisateurs ancestraux ou bien modernes. Cela dépend des pays et des histoires. La Turquie est un exemple de régression religieuse face à la globalisation des cultures. Elle est loin d’être la seule nation dans ce cas. L’Inde est elle aussi face au retour d’un ordre culturel traditionnel. Et dans nombre de pays, comme la Pologne ou en France, la nation redevient un principe qui n’est plus offensif comme à l’ère coloniale mais défensif, protecteur, pourvoyeur d’un certain ordre face au désordre et au chaos global. Il n’y a que peu de différences entre la fausse réac Marine Le Pen et le faux progressiste Jacques Attali. Préférence nationale contre gouvernement mondial mais dans les deux cas, il est question d’Ordre.

L’Ordre assure la stabilité mais éteint un conflit qui à travers le positionnement des opposés, produit un renforcement des parties et leur permet de fonder leurs différences sur des bases essentielles. C’est un peu hégélien je l’avoue. Comme une impression d’artifice. Les parties s’affrontent sans savoir ce qu’elles veulent vraiment, à part des territoires et de l’argent. C’est un peu marxiste comme analyse je l’avoue.

(D) Fanatismes et obsessions. Le fanatisme a été évoqué lors de l’attentat dans les locaux de Charlie avec l’exhumation d’un texte quelque peu oublié de Voltaire. Le fanatisme se définit autant par des conséquences que par un caractère psychique que l’on cerne diversement, oscillant entre l’obsessionnel et le psychotique mais avec un dénominateur commun qui est l’irrationnel. Le fanatisme cause des désordres dans la société. Mais il est aussi le résultat d’un chaos social et culturel élaboré comme une réaction irrationnelle. Le fanatique a besoin d’un ordre et parfois, il passe à l’acte pour celui qu’il croit être le fauteur de trouble. L’obsessionnel est lui aussi épris d’ordre mais c’est plus dans la disposition des choses. Pour faire simple, dans le domaine religieux, chrétien, islamique, juif mais aussi hindou ou bouddhiste, on trouve des fanatismes dont la manifestation est politique voire communautaire et souvent violente. Le fanatisme obsessionnel intervient dans les choses matérielles et techniques. Il prend la forme politique de la technocratie. Avec des obsessions sanitaires, climatiques ou autres, accompagnées de normes édictées par les technocrates au pouvoir. Parfois, la technologie induit des idéologies délirantes, comme peut-être le transhumanisme et la singularité. La COP-21 et le wahhabisme saoudien, c’est le signe d’un contrôle social et technique des instances dirigeantes. Technocratie et théocraties vont parfois ensemble.

(E) Dévoilement. La question du dévoilement par la technique est-elle un peu plus claire ? L’essence de la technique ne serait-elle pas le pouvoir. En ce sens, la technocratie dévoile les structures de pouvoir et d’ordre en œuvre dans le monde. Quant aux théocraties, ne sont-elles pas le signe d’une réaction elle aussi ordonnée face au chaos que produit le technocosme avec les informations, les émotions, les narcissismes et toutes les pathologies du ressentiment éprouvées dans le monde ? L’apocalypse n’aura pas lieu sans révélation. La technocratie se nourrit du chaos et n’a pas besoin de révélation. Mais le monde ne court-il pas à sa perte ? La grande énigme du 21ème siècle n’est qu’esquissée mais pas encore pensée.


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