L’arbre qui cache la forêt ? Un créationniste français à l’honneur

par Olivier Brosseau
mercredi 6 mai 2009

Par Olivier BROSSEAU et Cyrille BAUDOUIN (auteurs du livre Les créationnismes, une menace pour la société française ?, Syllepse, 2008)

La France, pays des Lumières, est-elle à l’abri des obscurantismes dont l’un des avatars est le créationnisme ? En cette année Darwin célébrant notamment le bicentenaire de la naissance du naturaliste anglais, l’intervention dans les médias d’un scientifique français créationniste est l’occasion de constater que les mouvements créationnistes sont bien présents en France.

Le 24 avril, en ouverture de son journal de 8h, France Inter interroge André Eggen, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (INRA) sur le décryptage du génome d’un bovin, résultat publié dans Science, revue scientifique de renommée internationale. Puis c’est au tour du journal Le Monde de solliciter l’expertise de ce généticien dans son article consacré à l’événement. Jusque-là rien d’anormal puisque ce chercheur a participé à cette publication scientifique internationale. Le problème réside dans certaines activités parallèles d’A. Eggen. Depuis de nombreuses années, il milite pour un créationnisme "Terre jeune" selon lequel la théorie de l’évolution est un mensonge institutionnalisé, l’âge de la Terre étant compris entre 6000 et 20 000 ans (selon les interprétations faites de la Bible). Ainsi, il a créé et préside l’association chrétienne évangélique "Au Commencement" qui, par le biais de son site Internet et de conférences organisées en France, propose de "faire connaître le point de vue créationniste basé sur le texte de la Genèse ainsi que sur les observations scientifiques." A. Eggen utilise sa légitimité de chercheur pour mystifier un public "en quête de sens", notamment en mélangeant allègrement démarche scientifique et croyances personnelles. Il affirme, par exemple, dans une interview donnée à la puissante structure créationniste Answers in Genesis : "En tant que créationniste, je trouve fascinant d’étudier ce que Dieu a réalisé en six jours, particulièrement dans ma thématique, la génétique. Je trouve merveilleux de découvrir comment Dieu a utilisé le code génétique pour coder la vie." A la manière d’un pasteur, il invite le public à lire la Bible avec lui, comme ce fut le cas lors d’une série de conférences données à Nice le 18 octobre 2008.
 
Et alors ? Ce prosélytisme créationniste ne relève-t-il pas de la liberté de conscience individuelle ? La réponse est non. Premièrement, l’INRA, établissement public de recherche, se retrouve implicitement ou explicitement nommé sur de nombreux sites Internet créationnistes (comme l’illustre une rapide recherche sur un moteur de recherche) ou dans les publications d’organismes créationnistes américains, tel l’Institute for Creation Research (ICR), à l’origine des procès intentés aux Etats-Unis dans les années 80 pour imposer le créationnisme dans l’enseignement scientifique. Deuxièmement, ces conférences créationnistes vont à l’encontre d’une de ses missions de chercheur : assurer la diffusion de la culture scientifique auprès du grand public. Quels moyens a ce public de faire la part des choses ?

Le cas d’un créationniste prosélyte français pourrait apparaître comme "l’exception qui confirme la règle" selon laquelle notre pays laïque est protégé de ces offensives à l’encontre de la science et de l’enseignement de la théorie darwinienne de l’évolution. Pourtant d’autres structures créationnistes sont très actives et sévissent avec des approches parfois beaucoup plus insidieuses et moins caricaturales que le créationnisme "Terre jeune" de A. Eggen. Il s’agit des approches de type "dessein intelligent" (intelligent design), des mouvements à visée théologique qui acceptent une évolution mais refusent le cadre darwinien de la biologie contemporaine. La défense d’une évolution dite "non darwinienne" ne doit pas masquer la volonté commune à tous les créationnismes : réintroduire une transcendance dans la démarche scientifique et l’imposer dans l’enseignement des sciences. L’argumentation des partisans d’un dessein intelligent repose sur l’apparente perfection de la nature ainsi que sur l’irréductible complexité des organismes qui peuplent notre planète. Cela justifierait l’existence d’un grand concepteur, d’un designer. En général ledit Créateur n’est pas nommé car cette approche se veut multiconfessionnelle, chacun le désignant comme bon lui semble (Dieu, Allah, Jéhovah…).

Dans cette mouvance, il faut relever une association très active, l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), dont l’un des membres éminents, le physicien Bernard d’Espagnat s’est vu remettre, il y a quelques semaines, le prestigieux Prix Templeton de plus d’un million d’euros pour les "avancées de la recherche ou des découvertes sur les réalités spirituelles". L’UIP participe et structure de nombreux programmes internationaux dans une volonté de rapprochement entre science et religion, objectif partagé avec certains partenaires prestigieux tel le Vatican. Rappelons, entre autres prises de position vaticanes qui soutiennent une évolution dirigée, la lettre adressée par le Saint-Siège à des parlementaires* pour empêcher le vote de la résolution du Conseil de l’Europe sur "Les dangers du créationnisme dans l’éducation" (adoptée en octobre 2007).

En définitive, la France est loin d’être à l’abri du développement des créationnismes. D’autant plus qu’entre réformes polémiques de l’enseignement et remise en cause de la loi de 1905, les pouvoirs politiques sont en passe d’ouvrir des portes à des mouvements créationnistes déjà très actifs dans notre pays.

* Interview de Guy Lengagne, rapporteur de la commission parlementaire, dans Les créationnismes, une menace pour la société française ? (Syllepse, 2008)

Pour en savoir plus :
- Notre site internet dédié à la question du créationnisme

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