L’argent dans le couple : Un tabou qui tombe ?

par Eric Donfu
mercredi 18 mars 2009

 Sous l’effet de la crise, les solidarités familiales sont sollicitées. Comment cela se passe dans les couples, en 2009 ? Quelles évolutions observons nous ces cinquante dernières années ? Et bien, l’argent – sujet plus tabou que le sexe selon certains psychologues – est sans doute, justement, le dernier tabou qui est en train de tomber dans le couple. Pourquoi ? Parce que l’on sait que les unions sont fragiles, et donc on prévoit la séparation des biens, mais aussi parce que, dans un couple sur trois, la femme gagne plus que son mari ou compagnon. Alors, quand on s’aime, on compte, pour mettre tout sur la table en sachant que l’égalité n’existe pas, quand on aime, on ne compte pas, pour ne pas faire payer à l’autre sa soumission par l’argent, et n’oublions jamais que ce qui compte n’a pas de prix, et que des rapports sains sur l’argent dans le couple sont une preuve d’amour. L’argent dans le couple, aujourd’hui, par le sociologue Eric Donfu.

 Une femme qui gagne plus que son mari ? C’est un phénomène de plus en plus courant. Même s’il existe toujours de fortes inégalités, surtout sur l’ensemble d’une carrière, la moyenne des salaires des hommes et des femmes tendent à se rapprocher. C’était déjà le cas pour les employés depuis une dizaine d’année, mais l’égalité des salaires chez les cadres progresse aussi. Selon une étude récente de l’APEC, les écarts de salaires entre les hommes et les femmes cadres diminuent avec le temps en raison notamment de la féminisation progressive de la population cadre, qui s’est accompagnée pour les femmes d’une diversification des postes occupés et, par voie de conséquence, d’un accès de plus en plus fréquent aux emplois les mieux rémunérés" Ainsi, parmi les cadres, la part des femmes est passée de 14% en 1974 à 33% en 2006, selon des données de l’Agirc citées par l’étude.

Si l’on exclut les fonctions de direction, qui restent les mieux payées et si l’on se concentre sur les salaires des femmes cadres, les femmes de la fonction Finance, Trésorerie perçoivent le salaire médian le plus élevé (48.000 euros annuels bruts). A l’opposé, les femmes cadres de la fonction Ventes en magasin sont les plus mal loties (salaire médian de 30.000 euros).1

Le boom des femmes ingénieurs

La féminisation des écoles d’ingénieurs a commencé dans les années 70. La progression de la proportion de femmes dans les formations d’ingénieurs et l’accroissement du nombre total de diplômés formés chaque année conduisent à une très forte progression du nombre de femmes ingénieurs dans la classe d’âge la plus récente « Moins de 30 ans » où elles sont au nombre de 48340 alors qu’elles ne sont que 1570 à avoir entre 60 et 64 ans. Il y avait 371 femmes ingénieurs diplômées en 1968 soit 4,2% du total des diplômes, il y en a eu 6313 en 2003, soit 24,6% du nombre de diplômés

Aujourd’hui, il n’est plus rare que des femmes gagnent plus d’argent que son mari ou compagnon. 

Cette situation, qui tranche avec le poncif de la femme soumise, entretenue par son mari, est de moins en moins rare. Ce n’est toujours pas la parité, mais nous pouvons l’évaluer à un couple de 28 / 49 ans sur trois. Cela va de différences faibles ( par exemple Barbara, 27 ans, chef de projet à la SNCF1800 euros et David, technicien en informatique, 1600 euros ) (cités par Le Parisien, en 2005) à des écarts plus spectaculaires ( Comme Victoria Beckam gagnant dix fois plus que David, son mari )

Cette situation s’inscrit dans la logique de l’émancipation financière des femmes

Rappelons quelques dates : 1804 : Le Code Civil de Napoléon affirme que l’homme est un « pater familias » tout puissant. La femme mariée n’a aucun droit. 1907 : La femme obtient de toucher directement son salaire. 1938 : La femme mariée n’est plus considérée comme « incapable majeure ». 1942 : La femme mariée est autorisée à ouvrir un compte en banque avec l’autorisation de son époux 1965 : l’homme ne peut plus s’opposer au travail de l’épouse 1970 : la femme peut ouvrir seule un compte en banque. L’autorité parentale est partagée « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille » 1983 : Les époux signent ensemble la déclaration de revenus. L’égalité professionnelle « A travail égal salaire égal » devient un principe. 1985 : Les femmes sont habilitées à gérer le patrimoine du couple à égalité avec leur compagnon. Elles peuvent notamment emprunter librement en engageant les biens communs. 1999 : Avec le PACS, les couples non mariés obtiennent un statut fiscal juridique.

Dans ce contexte, la question de l’argent dans le couple a évolué

L’argent a toujours été le symptôme de déficit affectif. Il est en effet plus facile de se disputer sur le terrain monétaire que sur celui des sentiments. Dans ce cadre, l’argent a aussi été l’objet de toutes les perversions : Un moyen de contrôle et d’emprise sur l’autre, le moyen de l’acheter ou celui de le priver. C’était souvent le cas dans le modèle traditionnel de la mère au foyer du baby-boom. L’autonomie financière des femmes, la conquête de leurs droits, la généralisation des divorces, ont eu raison de ce modèle d’inspiration patriarcale, où l’homme, pourvoyeur de richesse, était autant un père tout puissant qu’un mari détaché.

Cette évolution s’inscrit dans les métamorphoses de la famille

Après des décennies de politique familiale qui les incitait à demeurer au foyer, pour les femmes, l’autonomie financière est devenue une priorité En 1999, 11,5 millions de femmes travaillent en France ; elles n’étaient que 6,5 millions en 1960. On constate le même phénomène en Amérique du Nord et dans le reste de l’Europe, avec toutefois quelques variantes. Ainsi les femmes sont-elles plus actives dans les pays scandinaves qu’en Europe du Sud. L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail coïncide avec la généralisation de la contraception, la montée des divorces, le développement des familles recomposées et monoparentales, mais aussi avec une meilleure scolarité, la banalisation du matériel électroménager ou la croissance du secteur tertiaire. Aujourd’hui, les hommes et les femmes s’assument seuls, et la famille est passée « de la norme au lien », favorisant une « privatisation de la vie à l’intérieur de la famille » permettant à chacune et à chacun d’être soi-même tout en étant avec les autres. Dans les couples, le « libre ensemble » s’est développé et l’idée de vivre plusieurs vies au cours de son existence aussi. Même si le mariage fondé sur la fidélité tout au long de la vie reste un modèle,un mariage sur deux, à Paris, finit en divorce ; un sur trois sur tout le territoire français. Entre 1975 et 2005, le taux de divorce des 60 ans ou plus a augmenté de 28 % chez les femmes et de 39 % chez les hommes (source INED ). Chez les quinquagénaires, pour lesquels les taux ont presque doublé.Le taux de divorce après 30 ans de mariage est passé de 0,9 en 1972 à 4,6 en 2002 (source INSEE).

 Aujourd’hui la précarité menace tout le monde

La crise économique entraîne une augmentation du chômage et l’incertitude du lendemain. Mais les racines de la précarité sont plus profondes. Ainsi, selon l’INSEE (Février 2009), une personne sur vingt, en France, s’est retrouvée sans logement personnel au cours de sa vie. En métropole, 2 500 000 personnes ayant en 2006 un logement personnel déclarent en avoir été privées au moins une fois dans le passé : 78 % ont été hébergées par un tiers, 14 % dans un service d’hébergement, 11 % ont dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation. C’est ce qui explique aussi le fait qu’une personne sur deux déclare ne pas être à l’abri de devenir SDF…3

Comment réagit le couple face au chômage ?

L’INED a testé le cas des couples confrontés au chômage à l’aide d’indicateurs de temps et diversité des tâches domestiques. Les femmes au chômage déchargent l’homme d’une partie des tâches, mais, selon cette étude, l’inverse n’est pas vrai.2 Nous savons déjà que les hommes au chômage retardent leur mise en couples et les femmes au chômage retardent leur premier enfant. Mais il est clair que l’hypothèse du chômage est désormais intégrée par tous les couples, ce qui met aussi en relief les solidarités familiales. Ainsi, alors que l’enfant est devenu la base de la famille, en lieu et place du couple, l’organisation financière de la famille, incluant les parents, les beaux-parents et les grands-parents, et les relations qui leur correspondent, évoluent au fur et à mesure que l’enfant grandit et doit accéder à la gestion autonome de ses besoins financiers.

Voilà pourquoi et comment le modèle a changé, et quelques conseils

Depuis plusieurs décennies, la norme est celle du couple bi actif, bénéficiant de deux revenus. Il reste à celui ou à celle qui gagne plus que l’autre de ne pas traiter l’autre comme un enfant, et de ne pas faire, même inconsciemment sentir à l’autre qu’il est en dépendance. À chaque étape de construction du couple, amour naissant, institutionnalisation du couple, puis projet commun, les questions d’argent agissent comme un révélateur. On les retrouve dans les étapes ultérieures du couple, pour l’éducation et l’avenir des enfants, à la retraite. Et la crise qui éclate pour des raisons d’argent est souvent issue de sentiments refoulés accumulés inconsciemment dans le cycle de vie du couple. Dans l’amour, on ne peut attendre de reconnaissance financière. Et un couple ne fait jamais autant ses comptes que lorsqu’il se sépare. Raison de plus pour en parler, pas tout le temps, mais à des instants précis, en préférant une bonne explication à des ressentiments enfouis qui polluent la relation.

 Oui, l’argent reste un sujet sensible. 48% des couples et 57% même des couples avec enfants, reconnaissent avoir des conflits, petits ou gros, à propos d’argent4, mais, selon ce même sondage, 41% des couples mariés et 59% de ceux qui vivent en union libre déclarent gérer conjointement les finances du foyer. Et si 45% des ménages mettent leur argent en commun, 55% y renoncent même, gardant un compte séparé en marge du compte commun ou séparant tout. Un grand tabou se fissure enfin : depuis qu’une femme sur trois gagne plus que son mari, et que les unions se font et se défont, de plus en plus de couples parlent argent. En trente ans, on est passé de « monsieur paye » à « on partage » puis à « ça dépend’ . Et dans ce « ça dépend », c’est toute la nouvelle danse du couple qui se joue. On ajuste, on compense, on calcule, on corrige les inégalités du monde extérieur au prorata des revenus de chacun. Bref, le couple invente une nouvelle économie familiale. Et le mythe du couple fusionnel en prend un coup.

De la soumission au partenariat

La tendance, aujourd’hui, c’est le partenariat. Dès la mise en couple, un accord tacite de cohabitation prévoyant la répartition des dépenses, loyers, charges, impôts, dépenses alimentaires, mais aussi voiture, sorties, vacances se négocie naturellement. 5 millions de couples vivent en union libre, et font leur déclaration chacun de leur côté. Avec 140 000 contrats signés en 2008 et 400 000 depuis 10 ans, le succès du PACS, ( un PACS pour deux mariages)  et dont le nombre a, en 2008, même dépassé le mariage dans certains départements, va aussi dans ce sens. En cas de mariage, le plus souvent et conseillé par les notaires, il est de plus en plus admis de garder pour soi les biens immobiliers acquis avant le mariage. La transparence et la bonne foi deviennent primordiales. Il ne faut en aucun cas que l’un ou l’autre ait le sentiment qu’il s’agit de lui faire payer des charges contre sa volonté. Et si un des conjoint se retrouve au chômage, il sera davantage soutenu et pourra s’engager un peu plus dans les charges du foyer.

Alors, avez-vous mis clairement au point avec votre partenaire un accord financier pour le budget de la vie courante ? Avez-vous prévu un contrat de répartition du patrimoine dès le début ? Lorsque vous participez aux dépenses de la famille, ne le faites pas sous l’insistance de vos proches, mais clairement, par prélèvement ou par virement. Si vous recevez financièrement de la part de l’autre évacuez l’abcès empoisonné du sentiment de dépendance et prenez les mesures qui garantissent votre autonomie. Enfin, faites attention aux réflexes inconscients, comme le fait de vous mettre en situation de faiblesse financière pour vous attirer la protection de vos proches, de régler vos propres problèmes de dépenses compulsives ou d’endettement dans une relation de contrôleur des dépenses de l’autre, ou encore de substituer à un manque d’amour une relation financière tendue. En couple et en famille, sachons parler d’argent une bonne fois pour ne plus avoir à en parler tout le temps.

 Car ce qui compte le plus n’a pas de prix. 

Eric Donfu

 


1 le salaire médian désigne le palier divisant l’ensemble des salariés en deux parties égales : 50% d’entre eux gagnent moins que le salaire médian et 50% gagnent plus. Le salaire dit moyen est en général plus élevé, car les hauts salaires sont très supérieurs aux bas salaires.

3 Sondage BVA-Emmaüs- l’Humanité-la Vie, portant sur la question cruciale des sans-abri Réalisé du 3 au 4 novembre 2006 par BVA auprès de 1 008 personnes

2 Thèse sous la direction Olivia Ekert-Jaffé (INED) soutenue le 3 janvier 2001 : "Formation, devenir et organisation des couples confrontés au chômage"

4 Sondage TNS Sofrès réalisé pour la banque LCL, mars 2006


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